Victoire de Teddy Riner : la Russie a-t-elle exigé des excuses de l’IJF?

Teddy Riner a remporté à Doha son 11e titre mondial.
Photo : Getty Images / KARIM JAAFAR
Depuis le 11e titre mondial de Teddy Riner, acquis à Doha le 13 mai, le débat fait rage pour savoir s'il y a eu erreur d'arbitrage ou ingérence de la Russie dans la décision de la Fédération internationale (IJF) de présenter ses excuses.
Teddy Riner a gagné son 11e titre mondial en prolongation contre Inal Tasoev.
C'est à 3:42 de la prolongation que le Français, épuisé tout comme son adversaire, a réussi à retourner le Russe sur la tranche pour le waza-ari.

Teddy Riner (en blanc) se bat contre Inal Tasoev pour la médaille d'or aux Championnats du monde.
Photo : Getty Images / KARIM JAAFAR
S'il y a polémique et débat aujourd'hui, c'est que quelques secondes plus tôt, Tasoev avait fait tomber Riner en contre-attaque et pensait avoir obtenu le point gagnant, mais l'arbitre a laissé le combat se poursuivre.
Riner avait tenté une prise de hanche (harai-goshi) contrée par son adversaire qui a fait rouler le Français.
Au moment de l'action, l'analyste à la télévision française, l'entraîneur de l'Équipe de France des moins de 23 ans Éric Despezelle, a dit : Attention, avec les nouveaux règlements, Tasoev ne peut pas plonger comme ça, il perd son appui. Pas certain que pour l'arbitre, ce soit un waza-ari.
Ils ont appliqué les nouveaux règlements datant de septembre 2022
, a confirmé l'arbitre international Jean-Jacques Rusca après le combat.
Même analyse de France Judo. Tasoev a perdu ses appuis dans le mouvement, pas de waza-ari
, a dit la fédération nationale.
Inal Tasoev, à la recherche de son premier titre mondial, n'a pas contesté la décision. Comme il se battait sous bannière neutre, il était le seul à pouvoir déposer plainte. Il ne l'a pas fait.
Pourquoi des excuses?
Pourtant, le 17 mai, à la surprise générale, la fédération internationale a admis, dans un communiqué, qu'il y avait bien eu erreur d'arbitrage.
En prenant en considération les règles d'arbitrage en vigueur et l'opinion d'experts du judo, nous estimons qu'un point pour la contre-attaque de Tasoev aurait pu être accordé
, explique l'IJF, qui contredit donc la démarche de son corps arbitral.
La Commission d'arbitrage de l'IJF s'excuse profondément pour sa décision et informe que ce type d'action sera comptabilisé à l'avenir, conformément aux règles en vigueur
, souligne-t-elle.
Cette rétractation de l'IJF a fait la une des journaux et a alimenté les discussions dans le monde du judo.
Les excuses dérangeantes (disturbing) de l'IJF
, a titré le journal britannique UK Daily News.

Les excuses dérangeantes de la fédération internationale après la victoire de Teddy Riner aux Championnats du monde, titre le UK Daily News.
Photo : UK Daily News
Véritable erreur d'arbitrage ou ingérence de la Russie, froissée que son athlète n'ait pas obtenu le titre?
Il faut savoir que le président de la fédération internationale Marius Vizer est un ami de longue date (depuis 25 ans) du président russe Vladimir Poutine, grand adepte des arts martiaux (judo, sambo, karaté) et ceinture noire huitième dan.
Le président Poutine était jusqu'au 27 février 2022, trois jours après le début de l'opération militaire de la Russie en Ukraine, président honoraire et ambassadeur de l'IJF.
Il est utile de rappeler que Marius Vizer a choisi de réintégrer les athlètes russes et bélarusses dans les compétitions internationales, malgré la guerre en Ukraine qui se poursuit, en suivant la recommandation du CIO, et l'a justifiée le 27 janvier par communiqué.
L'IJF encourage la paix, l'amitié et l'unité partout où les valeurs du judo sont nécessaires. La réintégration des judokas de Russie et du Bélarus repose sur des arguments inattaquables, affirme la fédération internationale. L'un des piliers de la charte olympique est la participation sans discrimination des athlètes, sans exception.
Il y avait donc des athlètes de Russie aux mondiaux que l'Ukraine a boycottés.
Après le titre donné à Teddy Riner, y a-t-il eu discussion au plus haut niveau pour exiger qu'Inal Tasoev reçoive un prix de consolation?
L'IJF a choisi de présenter ses excuses par communiqué, mais sans retirer le titre au Français ni donner une deuxième médaille d'or au Russe.
L'IJF a-t-elle voulu éviter un incident diplomatique avec un pays allié au risque de miner sa crédibilité et la légitimité de son corps arbitral?
Des règles absurdes
Cette hypothèse se répand dans les officines des fédérations nationales, mais le Français David Douillet, double champion olympique et quadruple champion du monde, ne franchit pas ce pas.
Non, non, je ne crois pas
, a-t-il dit à la radio française RMC.
Celui qui a aussi été ministre des Sports s'en prend aux règlements de plus en plus nombreux et complexes.
Le monde du judo s'est mis en émoi, car ce sont des passionnés, des hyper techniques. J'ai reçu des centaines d'images, des dizaines de vidéos. Ce qui pollue le truc, c'est des règles qui deviennent absurdes.

David Douillet (à gauche) et Teddy Riner lors des Jeux olympiques de 2012
Photo : Getty Images / EMMANUEL DUNAND
On perd l'essence même du combat et tout devient discutable. C'est complètement débile. Il faut arrêter ça
, lance-t-il.
On assiste depuis plus d'une décennie à une aseptisation de la discipline. On fait un sport de combat, rappelle-t-il. Or, le nombre de golden scores le prouve, on est face à des athlètes qui ne savent plus trop comment attaquer, de quelle manière. Ils sont sur le reculoir. Ça bride les initiatives.
Parce qu'on a décidé que le judo était trop influencé par les techniques de lutte notamment apportées par les athlètes des pays de l'Est, on a voulu supprimer globalement tout ce qui se passe en dessous de la ceinture. Et on se rend compte maintenant que des décisions comme celle du combat de Teddy sont devenues discutables.
Selon David Douillet, il faut redonner une marge de manoeuvre aux judokas.
Aujourd'hui, si je montais sur un tapis, je ne mettrais pas un pied devant l'autre, assure-t-il. Je ne saurais pas ce qu'il faut faire, ce qu'il ne faut pas faire et comment le faire, où il faut le faire, si j'ai le droit, si je n'ai pas le droit. C'est une horreur.
Arrêtons d'aseptiser, arrêtons de mettre des règles, et gardons l'essence même de notre discipline. C'est scandaleux
, conclut l'ancien champion français haut et fort.
France Judo et Teddy Riner n'ont pas encore commenté la décision de l'IJF de présenter ses excuses.
Une chose est certaine. Ce 11e titre mondial de la vedette incontestée chez les poids lourds a donné un gros coup de projecteur au judo à un an des Jeux olympiques de Paris.