Le CH, le bout du rouleau et le respect

Martin St-Louis
Photo : Getty Images / David Berding
Les choix de trames narratives sont assez limités quand vous couvrez ou dirigez une équipe en reconstruction.
Quand de bonnes performances surviennent, c’est signe que les jeunes apprennent, qu’une nouvelle culture s’installe et que de meilleurs jours sont à venir. Et quand les défaites s’accumulent, elles sont jovialement présentées comme des leçons qui rapporteront éventuellement des dividendes.
Toutefois, il y a probablement une limite à la quantité de beaux apprentissages qu’une équipe peut faire au cours d’une saison. Et, à en juger par la lourdeur qui se dégage soudainement de leur jeu, les joueurs du Canadien de Montréal semblent avoir atteint cette limite.
Mardi, durant un match soporifique disputé à Philadelphie, une séquence de jeu s’est poursuivie pendant près de 10 minutes sans que les officiels aient à donner un coup de sifflet. Mais le CH et les Flyers étaient à ce point dénués d’intentions que le descripteur du match, Pierre Houde, a lancé en ondes qu’il avait l’impression de parler tout en ne disant rien.
Les braves supporteurs qui se sont déplacés au Centre Bell jeudi soir ont un peu ressenti la même chose.
En jouant assez prudemment, les Panthers l’ont emporté 5-2. Ce match était en quelque sorte une formalité. C’était l’un de ces soirs où l’une des équipes se présentait à l’aréna parce que le calendrier disait de le faire. Il est d’ailleurs presque miraculeux que le CH, qui n’a généré que quatre minuscules occasions de marquer, ait pu inscrire deux buts dans cette rencontre.
Après le match, Martin St-Louis semblait au diapason avec ses joueurs. Même lui semblait avoir perdu cette belle énergie qui le caractérise. L’entraîneur-chef a tenu son point de presse sur un ton monocorde et presque résigné.
St-Louis a notamment expliqué qu’il y a des limites à la quantité d’émotion qu’une équipe exclue des séries peut artificiellement générer pour maintenir un haut niveau de compétition. Et il a souligné qu’on ne peut pas feindre le sentiment d’urgence qui anime une équipe, comme les Panthers, qui luttent pour s’assurer d'une place dans les séries.
Cela dit, il est aussi très difficile de tirer de belles leçons collectives quand la moitié de la classe est constamment absente.
Martin St-Louis a été nommé entraîneur-chef le 9 février 2022. Lorsque la saison prendra fin le 13 avril, il aura passé 119 matchs derrière le banc de l’équipe. Et incroyablement, il n’aura pas eu l’occasion de diriger une formation complète une seule fois.
Selon le site Man-Games Lost, les joueurs du CH rateront collectivement plus de 600 matchs cette saison. Cela s’ajoute aux 730 absences survenues la saison dernière, ce qui constituait un record.
Il y a quelques semaines, pour illustrer à quel point la situation du club est anormale, Man-Games Lost a publié un gazouillis à la fois humoristique et effarant. On y soulignait que si la tendance se maintenait, les Rangers de New York auraient besoin de disputer 870 matchs supplémentaires (l’équivalent de 10 saisons et demie) pour égaler le nombre de matchs ratés par les joueurs montréalais cette saison.
Ce message a été publié le 10 mars et il est loin d’avoir mal vieilli. Depuis cette date, Brendan Gallagher, Jordan Harris, Jake Evans et Kirby Dach sont revenus au jeu. Mais Josh Anderson et Kaiden Guhle ont vu leur saison prendre fin et Dach a été blessé à nouveau. Puis, jeudi, le vétéran David Savard n’a pas été en mesure de terminer la séance d’échauffement précédant l’affrontement contre les Panthers.
Pas moins de sept joueurs, soit le tiers de l’équipe, ont vu leur saison prendre fin prématurément en raison de blessures sérieuses. On a dépassé depuis longtemps le stade des bras meurtris qui tendent le flambeau. La clinique du Tricolore est en perpétuel code orange.
C’est un peu de la malchance. Tu recommences à avoir des joueurs, et tu perds Josh, tu perds Dach, et là, on perd Savard. Mais la ligue s’en fout. La ligue continue. Ce n’est pas facile. Mais ce sont des répétitions qu’on ne peut pas acheter. Nos jeunes prennent de l’expérience
, disait avec philosophie Martin St-Louis.
Sur le même sujet :
Il est assez surréaliste d’en arriver à la conclusion qu’une équipe de 28e place, qui semble piquer du nez à deux semaines de la fin du calendrier, ait surpassé les attentes ou maintenu une certaine dignité. Jamais, en 1000 ans, je n’aurais imaginé écrire une chose pareille.
C’est pourtant le cas.
Personne ne s’attendait à ce que cette équipe gagne. En même temps, personne ne s’attendait à voir le Canadien se battre et se débattre avec autant d’ardeur aussi longtemps.
Placées dans des circonstances aussi difficiles, avec des ressources aussi limitées, bien d’autres formations auraient remballé leurs affaires quelque part au mois de janvier.
Peu importe ce que les deux prochaines semaines lui réservent, cette équipe mérite du respect. Et une bonne dose d’indulgence.