Hockey Canada craint que les élus fassent dérailler l’enquête policière

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Photo : La Presse canadienne / Jeff McIntosh
L’affaire du présumé viol collectif commis en 2018 par des joueurs d’Équipe Canada junior (ECJ) est en train de prendre des allures de roman politico-policier.
Dans une lettre sans équivoque dont Radio-Canada a obtenu copie, Hockey Canada a fait savoir mercredi aux membres du Comité permanent du Patrimoine canadien que les élus risquent de faire dérailler l’enquête de la police de London – et donc d’empêcher une éventuelle condamnation des présumés agresseurs – s’ils persistent à exiger que la fédération leur remette des documents extrêmement sensibles.
Lundi matin, sans que l’on sache trop pourquoi, le député conservateur Kevin Waugh a demandé à ses collègues du Comité permanent d’adopter une motion obligeant Hockey Canada à remettre au comité, dans un délai de 24 heures, le rapport d’enquête du cabinet d’avocats torontois Henein Hutchison.
C’est à Henein Hutchison que Hockey Canada avait confié le mandat de faire la lumière sur le présumé viol collectif commis à London durant l’été 2018 après un gala de la Fondation de Hockey Canada.
Le cabinet avait enquêté une première fois sur cette affaire en 2018. Mais parce que les anciens dirigeants de Hockey Canada n’avaient pas obligé les joueurs d’ECJ à collaborer, l’enquête avait échoué. Et la fédération avait balayé cette histoire sous le tapis.
Durant l’été 2022, après que le scandale eut éclaté sur la place publique, Henein Hutchison a eu le mandat de reprendre l’enquête. Et cette fois, elle a été terminée.
Le processus d’enquête est toutefois totalement indépendant de Hockey Canada.
En décembre dernier, le rapport a donc été remis à un comité de discipline indépendant formé de deux anciens juges et d’un ancien avocat. C’est ce trio qui doit décider des sanctions sportives
à infliger aux hockeyeurs qui auraient participé à la présumée agression sexuelle collective.
Ça fait trois mois que le rapport a été remis au comité de discipline. Et aucune décision n’a encore été rendue.
Beaucoup de gens, dont le député Waugh, trouvent que l’attente a suffisamment duré.
Sauf que dans la hiérarchie des enquêtes menées au sujet de ce présumé viol collectif, ce n’est pas celle qui a été déclenchée par Hockey Canada qui est la plus importante. Celle qui compte le plus, c’est l’investigation que mène le service de police de London.
Depuis sa nomination à titre de président du conseil d’administration de Hockey Canada en décembre dernier, l’ex-juge Hugh Fraser a plusieurs fois répété que la fédération doit faire preuve de prudence et que son processus disciplinaire ne doit en aucun cas compromettre l’enquête policière.
En mai 2018, dès le lendemain de la présumée agression dans une chambre d’hôtel de London, les policiers de cette ville avaient été saisis de l’affaire. La présumée victime avait collaboré à l’enquête, mais la police avait finalement décidé qu’il n’y avait pas matière à porter d’accusations.
Toutefois, exactement comme cela a été le cas du côté de Hockey Canada, la police de London a décidé de rouvrir son enquête quand le scandale a surgi sur la place publique. Et dans ce cas aussi, la seconde enquête a pris une autre tournure.
La présumée victime s’est soumise à un test de polygraphe qui, selon son avocat, s’est avéré concluant.
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Et l’automne dernier, la police de London s’est adressée aux tribunaux pour obtenir le droit de consulter certains documents essentiels au complément de son enquête. La police disait alors à la Cour avoir de bonnes raisons de croire que cinq des huit hockeyeurs identifiés par la présumée victime avaient participé à une agression sexuelle collective.
Et certains des documents convoités par la police émanaient justement de l’enquête du cabinet Henein Hutchison.
Henein Hutchison a livré le travail de ses enquêteurs à la police de London sous scellé. Je comprends que ce matériel reste sous scellé en attendant une audience au terme de laquelle la Cour autoriserait la police à consulter le matériel d’Henein Hutchison. Je ne sais pas à quel moment la Cour déterminera si le matériel peut être consulté parce que [l’enquête d’Henein Hutchison] est un processus confidentiel
, écrit l’avocat de Hockey Canada, Andrew Winton, dans une lettre adressée à la présidente du Comité permanent du Patrimoine canadien, Hedy Fry.
Les inquiétudes de Hockey Canada concernent le fait que la distribution du rapport d’Henein Hutchison au comité accroît considérablement le nombre de personnes qui auront accès au rapport.
Et alors que ce nombre s’accroît, les risques de fuites aux médias ou à d’autres instances s’accroissent aussi, et cela pourrait avoir pour effet de nuire au résultat de l’enquête policière en cours, dont la possibilité pour la police d’avoir accès au matériel d’enquête d’Henein Hutchison. Ce serait extrêmement malheureux que la demande du comité interfère de cette façon avec une enquête criminelle et, potentiellement, compromette l’intégrité de l’enquête
, ajoute le conseiller juridique de Hockey Canada.
Dans sa lettre, la fédération fait aussi valoir que la brave participation
de la présumée victime à l’enquête qu'elle a commandée avait été obtenue en lui donnant l’assurance que le processus était confidentiel et indépendant.
Selon Hockey Canada, si le document devait faire l’objet de fuites, il existe un risque réel que les présumés agresseurs ne puissent être tenus responsables de leurs actes criminels, tant devant les tribunaux que devant le comité de discipline indépendant.
Cela dit, Hockey Canada dit ne pas avoir l’intention de refuser d’obtempérer à la demande du Parlement. Toutefois, la fédération prévient les membres du comité du Patrimoine : s’ils tiennent vraiment à recevoir le rapport d’Henein Hutchison, ce seront eux qui seront tenus responsables si les choses tournent mal.
Si, après avoir été alerté des inquiétudes soulevées dans cette lettre, le comité insiste pour que le rapport soit livré […], Hockey Canada le fera. Par contre, si les inquiétudes soulevées dans cette lettre ou d’autres conséquences imprévues devaient survenir à la suite de la remise du rapport au comité […], Hockey Canada affirme respectueusement que le comité portera seul la responsabilité de ces conséquences
, déclare l’avocat de Hockey Canada.
Les nouveaux dirigeants de Hockey Canada disent comprendre la frustration des Canadiens en ce qui a trait aux longs délais nécessaires avant la conclusion des processus d’enquête de la police de London et de la fédération.
Nous sommes engagés à tenir responsables de leurs actions tous les joueurs ayant commis des actes criminels ou ayant enfreint le code de conduite de Hockey Canada. Mais pour que ce soit possible, il est d’une importance critique que les deux processus puissent suivre leur cours sans interférence
, conclut la lettre adressée aux parlementaires.
Le nouveau conseil d’administration de Hockey Canada a été encensé à la grandeur du pays depuis sa nomination en décembre dernier. Et le nouveau président du conseil, l’ex-juge et ex-athlète olympique Hugh Fraser, jouit d’un grand capital de respect à Ottawa.
Il sera intéressant de voir si les parlementaires tiendront compte de la très sérieuse mise en garde qui leur a été faite.