La LNH et le nuage gris qui cache l’arc-en-ciel
Plusieurs organisations de la LNH souhaitent montrer leur appui à la communauté LGBTQ+ avant les matchs.
Photo : usa today sports / Eric Bolte
Le Canadien de Montréal tiendra le 6 avril prochain sa soirée reconnaissance envers la communauté LGBTQ+, une initiative organisée depuis plusieurs saisons déjà dans la Ligue nationale de hockey (LNH), mais qui suscite cette année la controverse.
Pour la première fois cette saison, des joueurs ont refusé de porter le chandail aux couleurs de l'arc-en-ciel lors de séances d’échauffement d'avant-match. Ivan Provorov, des Flyers de Philadelphie, a été le premier à le faire, en amont d'une rencontre face aux Ducks d’Anaheim.
Le Russe a donc été tenu à l’écart pendant l’échauffement, avant de prendre part au match. Son entraîneur John Tortorella était ensuite venu à sa défense, tout comme le commissaire de la LNH, Gary Bettman.
James Reimer, Eric Staal et Marc Staal ont par la suite fait de même, citant alors leurs croyances religieuses.
Lundi, Ilya Lyubushkin s'est ajouté à cette liste. Le défenseur des Sabres n'endossera pas l'uniforme en soutien à la communauté LGBTQ+, comme le reste de ses coéquipiers, en raison, dit-il, de sa citoyenneté. Le Russe craint des représailles, envers lui ou sa famille, à cause d’une loi du Kremlin qui interdit la promotion de l’homosexualité.
D’autres équipes ont carrément décidé de finalement exclure leurs joueurs des célébrations, comme c'est le cas pour les Rangers de New York. Ils ont décidé à la dernière minute de garder dans le placard certains chandails prévus pour l'occasion.
Ces soirées font partie de la campagne You Can Play
, auquel la LNH s’est associée en 2012, et qui fait la promotion de l’inclusion dans le sport.
Tous ces cas n’étonnent pas le chercheur David Brosseau, qui est étudiant à la maîtrise en sociologie à l’Université de Montréal.
Les joueurs de hockey sont socialisés pour répondre à certaines caractéristiques physiques et psychologiques. Ils sont socialisés dans une culture hégémonique, qui vont parfois à l’encontre de comment l’homosexualité est perçue. Ce n’est pas surprenant de voir des joueurs ne pas être à l’aise de promouvoir une culture avec laquelle ils n’ont pas grandi
, affirme celui qui déposera cet été un mémoire portant sur l’acceptation de l’homosexualité dans les cultures du hockey universitaire québécois.
Porter un chandail de la Fierté, ça ne vous engage pas à renier vos croyances, a pour sa part déclaré David Palumbo, membre du conseil d’administration de You Can Play. Ça signifie seulement que vous faites partie d’une organisation qui affiche clairement son soutien à une communauté qui a été marginalisée, et qui en a durement ressenti les effets, spécifiquement dans le sport.
En entrevue avec CBC, David Palumbo mise surtout sur les progrès effectués par la LNH en la matière, en considérant le fait que la majorité des joueurs acceptent de prendre part à ces soirées de reconnaissance.
C’est aussi l’avis de David Brosseau. Dans le traitement médiatique, on mise beaucoup sur ceux qui ont refusé de le porter. On parle moins de tous ceux qui le portent.
Selon lui, il serait déplorable de voir les équipes cesser d’organiser des soirées thématiques, avec des chandails spéciaux, par crainte de voir des joueurs se retirer de l’activité promotionnelle d'avant-match.
« Ces chandails donnent une belle visibilité à une cause qui est sinon absente. C’est un pas dans la bonne direction. Ce serait assurément un recul pour la communauté de voir ces chandails disparaître. »
Cette saison, le Wild du Minnesota a préféré ne pas impliquer ses joueurs dans la séance d’avant-match lors de sa soirée LGBTQ+ du 7 mars dernier. La décision de ne pas mettre de chandail à la disposition des joueurs a été prise le matin du match.
Les joueurs du CH doivent cette année encore porter un chandail spécial à l'occasion de leur soirée de la Fierté le 6 avril. Les uniformes sont ensuite mis aux enchères, et les profits sont distribués à l'organisme GRIS-Montréal, dont la mission est de sensibiliser la population aux enjeux LGBTQ+.
Il s'agit d'ailleurs d'une importante source de financement pour l'équipe communautaire dirigée par Marie Houzeau. On parle de plusieurs milliers de dollars. C'est un coup de pouce significatif, car on fonctionne par autofinancement. On ne reçoit pas beaucoup de fonds publics récurrents
, mentionne-t-elle.
Au-delà des profits engendrés par les encans, la visibilité qu'apportent ces soirées est encore plus importante, selon la directrice.
Ce sont de grandes opportunités pour faire passer des messages d’ouverture et d’inclusion auprès du grand public. Le Canadien, c’est une fierté nationale qui rejoint tout le monde, de toutes les régions, de toutes les religions, de tous les milieux. C’est intéressant de pouvoir compter sur l'équipe pour mettre en valeur nos messages.
Interrogée par Radio-Canada, l'organisation montréalaise n'a pas encore confirmé si elle allait demander à tous ses joueurs de porter le chandail de la Fierté, à la lumière des récents événements.
Le Tricolore joue justement lundi soir contre les Sabres de Buffalo et Lyubushkin. Le défenseur David Savard n'a pas voulu commenter la situation de son adversaire, mais a souligné l'importance des soirées LGBTQ+ dans la ligue.
Il faut montrer que tout le monde est accepté. C'est une journée qui est importante pour montrer notre soutien à cette communauté [...] Je soutiens ce mouvement, et je suis content qu'on fasse ça pour eux
, indique Savard.
La semaine dernière, les Blackhawks de Chicago ont annoncé qu'ils renonçaient finalement à porter un chandail de la Fierté par mesure de sécurité pour ses joueurs ayant des liens avec la Russie.
Le Canadien compte un seul joueur russe dans sa formation, soit le nouveau venu Denis Gurianov.
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Le cas d’Eric Staal
Après avoir refusé de porter un chandail aux couleurs LGBTQ+ la semaine dernière, le joueur des Panthers de la Floride Eric Staal s’est fait questionner au sujet d’une participation précédente à un événement du genre, alors qu’il était membre du Canadien.
Il a rétorqué ne jamais avoir porté de chandail de la sorte. Or, le 1er mai 2021, il a bel et bien revêtu un uniforme dont les couleurs habituelles du CH avaient été substituées par celles de l’arc-en-ciel.
Marie Houzeau avoue ne pas avoir suivi avec grande attention la carrière d'Eric Staal depuis son départ de Montréal. Mais elle n'a pas été étonnée d'apprendre sa récente volte-face.
Ça ne me surprend pas, car il suffisait qu'un joueur le fasse pour que ça crée un effet domino, et cela a entraîné depuis d'autres prises de parole du genre comme celle-là
, explique-t-elle.
La soirée conserve sa valeur malgré ces prises de position dommageables, mais ça crée quand même des dommages, quand on voit tous les commentaires débridés et homophobes qui suivent souvent la publication d'articles à ce sujet
, ajoute Marie Houzeau.