Canada Soccer : des témoins demandent le statut de lanceurs d’alerte

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Photo : The Canadian Press / DARRYL DYCK
Les questions entourant la gestion des finances de Canada Soccer prennent une tournure préoccupante. Des témoins ont peur pour leur sécurité.
Depuis plusieurs semaines à Ottawa, les membres du comité permanent du Patrimoine tentent de faire la lumière sur une entente commerciale extrêmement controversée conclue par Canada Soccer avec la compagnie Canadian Soccer Business (CSB). Cette entreprise est détenue par les propriétaires des équipes de la Première Ligue canadienne (CPL), soit le circuit professionnel masculin au pays.
En gros, l’histoire de CSB et de Canada Soccer est celle d’une entreprise commerciale qui plonge profondément sa paille dans le milkshake d’un organisme sans but lucratif (la fédération) pour en tirer des profits.
Canada Soccer a cédé la totalité de ses droits de commandite et de télévision à CSB pour une période de 19 ans, soit de 2019 à 2037. En contrepartie, Canada Soccer recevra une redevance annuelle fixe variant entre 3 et 4 millions de dollars.
Compte tenu des faibles montants versés à Canada Soccer, et en tenant compte du fait qu’une partie de la Coupe du monde masculine sera disputée au Canada en 2026, cette entente laisse présager que CSB sera éventuellement extrêmement rentable.
Ainsi, on peut prédire que des sommes importantes, qui devraient normalement servir aux équipes nationales et au développement du soccer canadien, aboutiront plutôt dans les poches d’entrepreneurs privés. J’ai abordé ce sujet dans cette récente chronique.
Or, cet épineux débat a pris une autre tournure la semaine dernière.
Les membres du comité permanent du Patrimoine ont reçu un mémoire de plus de 70 pages dont les auteurs ont requis le statut de lanceurs d’alerte. Les auteurs demandent par ailleurs que leur identité soit protégée parce qu’ils ont des craintes réelles
que leur sécurité soit menacée.
Les auteurs du mémoire demandent qu’une enquête judiciaire soit menée sur les activités de Canada Soccer.
Par ailleurs, selon une autre source digne de foi, d’autres membres en vue de la communauté du soccer feraient l’objet de pressions indues visant à limiter leurs interactions avec les parlementaires.
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Lundi, le directeur général Earl Cochrane et deux membres du conseil d’administration de Canada Soccer comparaissaient par vidéoconférence devant le comité du Patrimoine.
Alors qu’elle interrogeait M. Cochrane, c’est la députée conservatrice Marilyn Gladu qui a révélé l’existence du mémoire remis aux membres du comité.
Le document couvre plusieurs aspects de la gestion de Canada Soccer, dont les finances et les iniquités entre les programmes masculin et féminin.
Lors des audiences de lundi, l’intervention de la députée Gladu concernait la manière dont Canada Soccer avait géré, en 2008, le cas de l’entraîneur de l’équipe nationale U-20 Bob Birarda. À cette époque, il faisait l’objet de nombreuses et sérieuses allégations de comportements inappropriés, de nature sexuelle, auprès de ses joueuses.
Malgré la gravité de la situation, quand Birarda a été démis de son poste, Canada Soccer a présenté son départ comme une décision mutuelle de l’entraîneur et de l’organisation. Par voie de communiqué, Canada Soccer lui a même souhaité bonne chance dans la poursuite de sa carrière!
Quelques mois plus tard, Birarda dirigeait des adolescentes de 13 ans en Colombie-Britannique. L’entraîneur abuseur a continué de sévir durant plusieurs années.
Et 14 ans plus tard, en novembre dernier, Birarda a été condamné à deux ans de prison, ainsi qu'à trois ans de probation pour, notamment, avoir agressé sexuellement trois de ses anciennes joueuses, âgées de 16 et 18 ans, ayant fait partie du programme provincial de la Colombie-Britannique.
En ce qui concerne le contrat liant Canada Soccer à CSB, les auteurs du mémoire rappellent que dans l’univers du soccer, d’autres contrats semblables se sont avérés extrêmement problématiques.
Ils expliquent que l’entente qui divise le monde du soccer canadien est un calque d’une entente conclue aux États-Unis, au début des années 2000, entre US Soccer et Soccer United Marketing (SUM). Chez nos voisins du sud, ce sont les propriétaires des équipes de la MLS qui sont propriétaires de SUM.
Entre 2002 et 2022, SUM a versé des redevances totalisant quelque 145 millions de dollars à US Soccer. Les redevances annuelles étaient de 3 millions au début du contrat et elles ont atteint un sommet de 30,25 millions en 2021.
Ça semble beaucoup. Sauf qu’en deux occasions durant cette période, des blocs d’actions de SUM ont été vendus, et ces transactions ont permis d’établir la valeur de cette entreprise à… 2 milliards de dollars! Cela donne une idée des immenses bénéfices qui étaient engrangés par la compagnie à même les ventes de commandites et de droits télévisuels de la fédération américaine.
En 2022, US Soccer a décidé de larguer SUM. Et tout de suite après, en concluant un seul contrat télévisuel avec le groupe Turner, elle a été en mesure de s’assurer de revenus équivalents à ce qu'elle touchait en redevance annuelle durant son association avec SUM.
Si l’on ajoute tous les contrats de commandite que US Soccer empoche dorénavant dans leur entièreté, dont un contrat avec Nike qui rapporterait à lui seul plus de 50 millions annuellement, on comprend pourquoi elle jouit désormais de budgets considérables pour appuyer ses programmes.
Par ailleurs, les auteurs du mémoire remis au comité du Patrimoine soulignent que de considérables problèmes d’éthique surgissent lorsqu’on place une entreprise commerciale sous le chapeau d’un organisme sans but lucratif. Et c’est exactement ce qu’ont fait Canada Soccer avec CSB et US Soccer avec SUM.
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Les auteurs du mémoire rappellent aussi qu’au cours des 40 dernières années, la FIFA est devenue une organisation extrêmement corrompue, notamment en raison d’une entente semblable avec la firme de marketing International Sports and Leisure (ISL).
À compter du début des années 1980, ISL empochait de véritables fortunes en vendant les droits de commandites et de télévision de la FIFA. Tellement, que les dirigeants de cette firme de marketing versaient des millions en pots-de-vin aux dirigeants de la fédération internationale afin de préserver l’exclusivité de leur contrat.
(Une parenthèse ici pour souligner que le fait d’empêcher d’autres entreprises de marketing de proposer leurs services peut aussi contribuer à priver une fédération de revenus. En concluant un contrat exclusif de 19 ans avec CBS, Canada Soccer s’est aussi privée des bénéfices d’une telle compétition.)
À la fin des années 2000, six anciens dirigeants d’ISL ont été accusés de fraude, de détournement de fonds et de falsification de documents par les autorités suisses. Ensuite, en 2012, des documents de la poursuite ont révélé que l’ex-président de la FIFA João Havalange et son gendre Ricardo Teixeira (ex-membre du comité exécutif de la FIFA et ex-président de la Fédération brésilienne) avaient touché plus de 44 millions en pots-de-vin de la part d’ISL.
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Les auteurs du mémoire dressent le portrait d’une fédération où règne le copinage et au sein de laquelle le pouvoir a été détenu au cours des 20 dernières années par une poignée d’hommes, dont certains grimpent les échelons au sein de la FIFA. Parmi eux :
- Victor Montagliani (vice-président de Canada Soccer de 2005 à 2012 et président de 2012 à 2016) qui est maintenant président de la CONCACAF et qui occupe un poste de vice-président au conseil de la FIFA.
- Peter Montopoli (secrétaire général de Canada Soccer de 2008 à 2021) qui a été nommé chef des opérations de la Coupe du monde de 2026 pour le Canada.
- Nick Bontis (élu président en 2020 après avoir été vice-président du conseil des directeurs depuis 2012) qui a obtenu un poste de vice-président du conseil de la CONCACAF en février dernier, quelques jours avant de démissionner de la présidence de Canada Soccer.
Or, selon d’anciens membres du conseil d’administration de Canada Soccer, l’entente liant la fédération à CSB a été imaginée par Montagliani, et Bontis en était un ardent promoteur.
Bontis devait témoigner devant le comité permanent du Patrimoine lundi. Mais la semaine dernière, par l’entremise de ses avocats, il a fait savoir au comité qu’il n’était pas dans un état d’esprit satisfaisant pour témoigner. Il se disait perturbé par le décès d’une personne accusée de l’avoir criminellement harcelé durant une période de 14 mois.
Le comité a adopté lundi une résolution visant à faire témoigner Bontis d’ici la fin du mois de mars.
Il sera intéressant de voir ce que les membres du comité permanent du Patrimoine feront avec le mémoire qui leur a été remis. Les élus semblaient s’en inspirer lundi lorsqu’ils ont questionné trois représentants de Canada Soccer.