L’abolition des bagarres dans la LHJMQ, mieux vaut tard que jamais
Igor Mburanumwe (89), des Tigres de Victoriaville, se bat contre Lane Hinkley.
Photo : Ligue canadienne de hockey
Ça s’est passé le 23 septembre dernier au Centre Marcel-Dionne à Drummondville. Pour leur premier match à domicile, les Voltigeurs recevaient leurs grands rivaux, les Tigres de Victoriaville.
À mi-chemin en troisième période, les Tigres jouissaient d’une avance de 5-1 et un porte-couleurs des Voltigeurs, Lane Hinkley, n’a pas apprécié une mise en échec tentée par un défenseur des Tigres, Igor Mburanumwe.
Hinkley s’est immédiatement dirigé vers Mburanumwe, et les deux ont jeté les gants. Puis les choses ont mal tourné. Dès le début du combat, Mburanumwe a perdu pied et a dû poser un genou sur la patinoire. Au même moment, Hinkley lui a servi une solide droite à la mâchoire et l’a instantanément assommé.
La scène ne laissait aucun doute : la situation était grave.
Le soigneur des Tigres s’est précipité sur la patinoire avant même que l’un des arbitres s’adresse au banc pour demander des secours. Hinkley ne célébrait pas comme le font habituellement les hockeyeurs qui remportent un combat. Il semblait affolé et s’est adressé à son adversaire avant qu’un juge de lignes l’éloigne de la scène.
C’est un moment très inquiétant pour les Tigres. Mburanumwe a subi une droite directement au menton et s’est immédiatement écroulé sur la patinoire. Très inquiétant pour les Tigres, alors que pour le moment, Mburanumwe ne bouge pas sur la patinoire. […] Ce n’est pas un moment agréable à voir
, a commenté l’analyste des matchs des Voltigeurs.
Dans les gradins, pendant un instant, un dirigeant d’équipe a cru que Mburanumwe allait partir sur une civière et que l’affaire allait faire scandale. Il a cru que le débat sur la pertinence des bagarres au hockey junior venait d’être définitivement scellé.
Toutefois, Mburanumwe a repris connaissance. Il était ensanglanté et on l’a raccompagné jusqu’au vestiaire.
Puis la saison s’est poursuivie, comme si de rien n’était.
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À lui seul, cet événement illustre à quel point il était temps pour la LHJMQ d’abolir les bagarres.
Selon le Journal de Québec, cette décision a enfin été prise par l’Assemblée des membres du circuit junior québécois au cours des derniers jours.
En 2020, un débat enflammé entourant l’abolition des bagarres avait eu lieu au sein de la LHJMQ, mais les dirigeants d’équipes en étaient ressortis divisés.

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Il y a trois ans, 10 des 18 équipes s’étaient prononcées pour l’abolition des bagarres. Toutefois, les statuts de la ligue stipulaient qu’une majorité de 12 équipes était nécessaire pour adopter une telle modification aux règles. Cet épisode avait révélé un clivage entre les organisations québécoises et celles des Maritimes sur cette importante question.
Les deux tiers des dirigeants des 12 équipes québécoises s’étaient prononcés en faveur de l’abolition des bagarres et les deux tiers des dirigeants des 6 équipes des Maritimes avaient voté pour le statu quo.
Parmi les entraîneurs et dirigeants d’équipes, Patrick Roy, et c’est tout à son honneur, est celui qui s’était montré le plus cinglant à l’endroit de ceux qui empêchaient la LHJMQ de progresser.
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Depuis longtemps, le gospel de nombreux observateurs de la scène du hockey junior arguait qu’il n’était pas nécessaire d’abolir les bagarres parce que, de toute manière, il y en avait de moins en moins.
En 2008, la ligue avait rejeté un rapport dont la principale recommandation consistait à donner 10 minutes de pénalité supplémentaires aux joueurs impliqués dans une bagarre. La proposition avait été rejetée. Elle a cependant été adoptée 12 ans plus tard, sous la pression du gouvernement québécois.
Selon le raisonnement qu'on suivait à l’époque, la LHJMQ n’avait pas de problème de bagarres puisque le taux de combats par match était passé de 2,4 en 1993-1994 à 0,9 en 2007-2008. En chiffres absolus, on parlait quand même de 567 combats!
Au fil des ans, à force de resserrer la réglementation, le taux de bagarres est graduellement passé à 0,66 par match en 2012-2013, puis à 0,37 en 2017-2018, et enfin à 0,14 cette saison.
Cela signifie tout même que 86 ou 87 combats auront eu lieu sur des patinoires de la LHJMQ cette saison, et ce, sans tenir compte des séries éliminatoires.
Des combats impliquant des étudiants qui doivent aller en classe le lendemain; des combats impliquant parfois des mineurs; et des combats qui n’augmenteront pas les chances des joueurs de décrocher un poste dans la LNH.
Tout cela alors que la science a démontré hors de tout doute que les coups à la tête et les commotions cérébrales ont des effets dévastateurs sur le cerveau.
Si les Suédois, les Finlandais ou les universitaires américains n’ont pas besoin de se battre durant leur période de développement, pourquoi avons-nous persisté dans cette voie aussi longtemps?
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Pour toutes ces raisons, il faut saluer les esprits progressistes de la LHJMQ qui, deux ans et demi plus tard, ont fini par obtenir gain de cause et par faire pencher la balance du bon côté.
Il y a 20 ou 25 ans, ceux qui prônaient l’abolition des bagarres au hockey junior, comme le regretté agent Gilles Lupien, passaient pour des illuminés et des empêcheurs de tourner en rond.
Au cours des dernières années, toutefois, le député Enrico Ciccone, un ancien client et collègue de Lupien, a persisté en déposant à l’Assemblée nationale deux projets de loi pour interdire les bagarres. Le gouvernement Legault n’y avait toutefois pas donné suite.
Il était donc étrange, la semaine dernière, d’entendre le premier ministre affirmer qu’il n’était pas à l’aise avec les bagarres au hockey junior.
Mais bon, ce qui importe au bout du compte, c’est que la décision ait finalement été prise et qu’un immense progrès soit sur le point de survenir dans notre petit monde du hockey.
Il sera maintenant intéressant de voir comment réagiront les ligues juniors de l’Ouest et de l’Ontario. Si leurs dirigeants continuent à laisser leurs joueurs se battre, ce sont eux qui se retrouveront du mauvais côté de la clôture. Pas le Québec.