Vive les vieux! Fernando Alonso illumine la nuit au royaume

Fernando Alonso n'en revient pas d'être monté sur le podium à Bahreïn.
Photo : Zak Mauger / Aston Martin
Quelle démonstration de pilotage, une leçon d’humilité pour la jeune génération! Fernando Alonso a montré à Bahreïn que l’expérience ne s’achète pas et que ça vaut de l'or. Lawrence Stroll peut se frotter les mains : il a mis la main sur le pilote le plus spectaculaire du plateau.
Alpine Renault doit se mordre les doigts d’avoir hésité en 2022 à accorder à Alonso un contrat pluriannuel.
L’homme d’affaires canadien doit être triplement heureux d’avoir répondu à Alonso le 28 juillet 2022 quand ce dernier lui a téléphoné pour lui proposer ses services. Un appel qui apparemment n’a duré que 10 minutes.
Heureux d’avoir pu engager un double champion du monde pour épauler son fils, heureux de constater à Bahreïn (lors des essais présaison et lors du premier week-end de course) qu’il ne s’était pas trompé et heureux de voir que l’équipe lui offre cette saison une voiture compétitive.
Heureux et soulagé. C’est ce dont avait besoin Aston Martin pour tirer le meilleur parti de Fernando Alonso. Une bonne voiture. L’AMR23 est bien née et plaît à l’Espagnol.
C’était la grande inconnue, pour ne pas dire la grande inquiétude de Lawrence Stroll. Après une saison 2022 très en deçà de ses attentes, il voulait qu’Aston Martin retrouve de sa superbe en piste, se rapproche des luttes pour le podium.
Et Fernando Alonso est un pilote exigeant. Il sait ce qu’il veut, et surtout ce qu’il ne veut pas. En plus de son contrat pluriannuel et d’un salaire proportionnel à sa feuille de route, si on se fie à ses contrats précédents, il a dû exiger les pouvoirs d'un pilote no 1 pour avoir les coudées franches. S'il veut aider Lance Stroll en piste, ce sera sa décision.
De plus, on comprend dans les propos de l‘Espagnol qu’il a dirigé l’équipe dès le mois d’août 2022 dans ses choix techniques pour la conception de la voiture de 2023. Pour pouvoir tirer le maximum de l’auto, compte tenu de son style de pilotage.
Alors que Red Bull et Ferrari ont peaufiné leurs voitures de 2022, nous avons une voiture toute nouvelle, c’est un tout nouveau concept, a-t-il indiqué dans le paddock de Sakhir, et nous pouvons espérer aller chercher plus de performance au cours de la saison. On peut dès maintenant être plus énergiques dans nos attentes.
Alonso a clairement expliqué à Dan Fallows sa façon de piloter. Dan Fallows, c’est l’autre grosse prise de Lawrence Stroll en 2022.
L’ingénieur britannique était responsable de l’aérodynamisme chez Red Bull. Il est aujourd'hui le directeur technique de l'équipe Aston Martin, ce qui a fait dire au patron de Red Bull, Christian Horner, sourire en coin : Vous ne trouvez pas que l’Aston Martin ressemble à notre voiture?
À qui le directeur d’Aston Martin, Mike Krack, a-t-il serré la main quand Fernando Alonso a franchi la ligne d’arrivée en 3e place? À Dan Fallows.
Aston Martin a bien transposé dans le design de l’AM23 le style de pilotage d’Alonso.
Depuis ses années de réussite chez Renault (2005 et 2006), l'Espagnol appuie le plus rapidement possible sur la pédale d'accélération. Pour cela, il a tendance à croiser et à décroiser rapidement le volant, afin d’aller chercher plus vite une meilleure traction sans partir à la faute.
Ainsi, avec un gros braquage, il peut enfoncer l'accélérateur très tôt pour profiter au maximum de la traction. Une façon de faire qui demande une parfaite confiance en sa voiture et un niveau d’attention extrême. Alonso a développé avec le temps un ressenti précis du comportement de ses pneus, ce qui l'aide à maîtriser les réactions de sa voiture, notamment au cours des survirages (quand les roues arrière veulent passer devant) en entrée de virage.
Aston Martin a adapté l’AMR23 à cette conception du pilotage. À Lance Stroll de s’adapter aux nouvelles caractéristiques de la voiture. En contrepartie, Fernando Alonso accepte, hors-piste, de jouer son rôle de grand frère et de soutenir le Québécois dans ses commentaires. Surtout qu'il le connaît depuis ses années chez Ferrari.
Lance a été le véritable héros de ce week-end, a dit Alonso. Qu’il ait pu marquer de gros points malgré ses fractures, c’est une preuve incontestable de sa détermination.
Pourtant, Lance Stroll n’a pas la réputation de faire preuve d’un engagement sans limites quand la voiture ne lui convient pas.
Pendant la course, les commentateurs britanniques n’ont pas manqué de rire de bon cœur des commentaires d’Alonso voulant que Lance ait l’étoffe d’un champion du monde.
En Lance, l’équipe a un tout jeune pilote, très talentueux, qui a la possibilité d’être champion du monde
, avait dit Alonso le 12 février sur le site de l’équipe canado-britannique.
Je n’ai pas vu de critiques sévères d’Alonso à propos du contact du premier tour quand Lance a retardé son freinage et l’a heurté à l’arrière. Le pilote de Mont-Tremblant a eu beaucoup de chance de ne pas crever le pneu arrière droit de la monoplace de son coéquipier.
Avec une si bonne auto, ce n’était pas le moment de heurter mon coéquipier, a admis volontiers Stroll. J’ai retardé mon freinage pour dépasser une voiture, Fernando a coupé à l’intérieur du virage pour tenter de dépasser un adversaire, et je l’ai touché. Heureusement, on a pu continuer et marquer de gros points.
Fernando va vite oublier cet incident; il est quand même monté sur le podium
, a dit Stroll en souriant.
Lawrence Stroll a été plus que servi à Bahreïn. Son fils a montré beaucoup de détermination, peut-être au-delà du raisonnable, et voir son équipe battre à la régulière Mercedes-Benz et surprendre Ferrari pour terminer derrière Red Bull a dû le conforter dans ses choix.
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J’ai ma petite théorie sur le courage dont a fait preuve Lance Stroll à Bahreïn pour traverser un week-end qui a dû être très souffrant pour lui.
Il a suivi les essais présaison et a suivi avec attention le travail du Brésilien Felipe Drugovich, qui l’a remplacé au pied levé dans la monoplace no 18. Le Brésilien est le champion en titre de F2, l’antichambre de la F1. Son but est de trouver un bon volant en F1. Il en avait un entre les mains à Bahreïn lors des essais présaison et a montré qu’il pouvait aider l’équipe à développer l’AMR23.
Il a fait le 10e temps de la troisième journée d’essais, à six dixièmes du chrono d’Alonso, qui, lui, s'est classé 9e ce jour-là. Pas de quoi rougir.
Drugovich, pilote de réserve de l'équipe, avait déjà conduit l’AMR21 et l’AMR22 et il a vite vu le potentiel de la nouvelle monoplace de l’équipe. Il était prêt à participer au premier Grand Prix de Bahreïn et Stroll l'a très bien senti.
Voyant le travail du jeune Brésilien, le Québécois a alors décidé qu’il devait récupérer son auto le plus rapidement possible, alors que ses médecins lui recommandaient le repos jusqu’au Grand Prix d’Azerbaïdjan le dernier week-end d’avril.
C’est pour cela qu’il a demandé à tous les professionnels de la santé qui l’ont suivi de faire des heures supplémentaires pour l’aider à prendre part au premier Grand Prix de la saison. Il les a tous nommés dans ses remerciements d'après-course.
Ce retour si hâtif l’a très bien servi. Au lieu de laisser Felipe Drugovich profiter de son travail en essais présaison pour s’illustrer, Stroll a fait parler de lui en bien, pour son courage, sa volonté de surmonter la douleur causée par des blessures importantes, soit des fractures aux deux poignets et à un orteil du pied droit.
Le site motorsport.com lui a donné une note de 9 sur 10, pour son courage, même s’il a failli sortir son coéquipier au premier tour
, écrit-on sur le site.
Lance Stroll a adapté son pilotage, travaillant beaucoup de la main gauche, et s’est montré rapide et précis en qualifications sur quelques tours. Mais allait-il pouvoir tenir le coup sur 57 tours? Oui. Il a tenu le coup, et en plus, a marqué de gros points. Il a eu mal et l’a avoué après la course. C’est tout à son honneur.
Le Québécois aurait pu tout perdre quand il a heurté son coéquipier au premier tour, mais sa bonne étoile, visiblement impressionnée par sa volonté, ne l’a pas lâché du week-end. Il le méritait.
Était-il apte à piloter une F1 à Bahreïn? La question se pose. Apparemment, il a passé le test imposé par la FIA avant le début des essais libres, soit de demander au pilote de s'extraire, sans aide, de son habitacle en 7 secondes, et en 12 secondes au total avec la remise du volant en place. J’aurais aimé voir la vidéo du test.
Samedi, il a admis qu’il commençait à peine à pouvoir marcher correctement sur son orteil cassé.
L’ancien pilote de F1 Martin Brundle, devenu analyste à la télévision britannique, a surveillé sur la grille de départ le Canadien quand il s’est extrait de son habitacle pour permettre à l’équipe de faire les derniers ajustements avant le tour de formation.
Ses mécaniciens n’ont pas voulu intervenir et Stroll a fait ce qu’il a pu pour sortir seul de la monoplace, mais Martin Brundle a été moyennement convaincu. A-t-il été un danger pour les autres pilotes? Peut-être que non, bien que la douleur lui ait visiblement fait faire quelques erreurs. L’adrénaline a fait le reste pendant la course.
Je n’ose pas imaginer ce qu’il aurait pu faire en cas de sortie de piste à haute vitesse. La FIA est là justement pour protéger les pilotes de leur propre témérité. Sa maman, Claire-Anne Callens, toujours discrète, surveillait son fils anxieusement du fond du garage. Heureusement pour tout le monde, tout s’est bien déroulé.
L’effort fourni par Lance Stroll à Bahreïn repousse d’autant sa convalescence, et ses blessures, bien réelles, vont le handicaper encore quelques semaines. Devra-t-il faire l’impasse sur le prochain Grand Prix, sur le circuit étroit et piégeux de Jeddah?
Ses blessures le protégeront bien sûr des mauvaises critiques dans les prochains Grands Prix en cas de contre-performance. Il peut donc sans crainte se préparer pour le prochain rendez-vous qu'il inscrira à son agenda avec l’esprit tranquille de celui qui sait qu’il a pris la bonne décision pour la suite de sa carrière.