Le ski alpin canadien au début d’une nouvelle ère

Laurence St-Germain montre sa médaille d'or au slalom des Championnats du monde de ski alpin.
Photo : Getty Images / AFP/JEFF PACHOUD
C’est le début de quelque chose pour le ski alpin canadien. Ce constat, c'est Geneviève Simard, l’ancienne championne canadienne, aujourd'hui analyste à Radio-Canada, qui le fait après la récolte historique du Canada aux Championnats du monde.
Quatre médailles, deux d’or et deux de bronze, dans quatre disciplines, allant du super-G au slalom en passant par la descente et le slalom géant en parallèle par équipe mixte. Sept athlètes canadiens médaillés dans ces mondiaux de Courchevel et de Méribel dans les Alpes françaises, c’est du jamais vu.
Le fait que James Crawford, Cameron Alexander, Jeffrey et Erik Read, Valérie Grenier, Britt Richardson et Laurence St-Germain aient remporté des médailles à ces Championnats du monde montre la profondeur de l’équipe
, explique Geneviève Simard.
On peut dire que c’est une nouvelle ère, estime-t-elle. On a un beau mélange, des vétérans, des jeunes recrues, et dans plusieurs disciplines. C’est ça qui est excitant.
« J’espère que les commanditaires vont arriver, ça va un peu faciliter les choses. »
Ces quatre médailles sont le travail de toute une équipe qu’on ne voit pas sur les pistes et sur les écrans de télévision : les entraîneurs, les préparateurs physiques, les psychologiques et les indispensables préparateurs des skis dont le travail de moine dans l'ombre à farter les planches peut donner à l’athlète la clé d’une victoire.
L'arrivée d'Erik Guay au C. A. de Canada Alpin
Dans les faits, la nouvelle ère du ski canadien, dont parle Geneviève Simard, a commencé il y a quatre ans après la retraite d’Erik Guay et de Manuel Osborne-Paradis. On se demandait vraiment alors où s’en allait le ski canadien, sans relève apparente.
En novembre 2019, Erik Guay a été nommé au conseil d’administration de la fédération nationale, Canada Alpin, à la direction du plan de haute performance et du développement des athlètes.
Un tout nouveau conseil, plus près des préoccupations des athlètes.
Je savais que je ne pouvais rien demander de mieux comme entourage, disait-il au moment de sa nomination. Il nous faut des gens qui connaissent le côté gouvernance, et des gens comme moi qui s’occupent davantage du côté athlétique. Peu de gens ont plus d’expérience que moi sur les pistes. Je constate que le ski canadien a besoin de quelques changements actuellement pour que l’avenir soit reluisant.
Quatre ans plus tard, force est de constater que le ski canadien a évolué dans le bon sens, malgré des budgets qui n’ont rien à voir avec les grandes nations européennes du sport.
On est une nation qui évolue avec peu de budget, dit Geneviève Simard. On ne peut pas se comparer aux grandes nations. Avec le peu qu’on a, on réussit à faire de grandes choses. C’est très encourageant pour l’avenir.
À titre purement comparatif, le budget de la fédération suisse, Swiss Ski, était pour la saison 2020-2021 de 85 millions de dollars canadiens pour toutes les disciplines (source Swiss Ski). En 2020, le budget de Canada Alpin se chiffrait à 14,33 millions, uniquement pour le ski alpin (source Canada Alpin).
Canada Alpin a subi des compressions budgétaires dans la foulée de l'affaire Bertrand Charest, cet ex-entraîneur condamné à la prison pour crimes sexuels sur certaines de ses athlètes, au point qu’il a fallu faire des choix déchirants, soit puiser dans le budget consacré au développement pour mettre de l’argent dans l’élite. Pour ne pas perdre une athlète comme Marie-Michèle Gagnon, par exemple, qui a fait le choix de finir sa carrière en vitesse.
La skieuse de Lac-Etchemin a dû vivre avec une réduction dans les camps d'entraînement, une décision qui a mis en péril l’existence de l’équipe féminine de vitesse.
La Québécoise a tenu bon dans ces années difficiles. Aujourd’hui, à la veille de sa retraite, elle peut être fière de son parcours (deux victoires en Coupe du monde au combiné) et de son travail de mentor qui a permis à la Franco-Ontarienne Valérie Grenier de s’épanouir.
En novembre 2022, la ministre fédérale des Sports, Pascale St-Onge, a annoncé que le gouvernement allait octroyer 6,278 millions à Canada Alpin pour l'exercice 2022-2023 afin de promouvoir le ski alpin auprès de la population et pour appuyer les athlètes de haut niveau.
Forte d'une saison 2022 fructueuse, la fédération canadienne a décidé de redéfinir sa vision pour les saisons 2023 et 2024 : devenir un pays de premier plan en ski de compétition, c'est-à-dire figurer parmi les cinq premières nations au classement des médailles aux Jeux olympiques d’hiver et aux Championnats du monde, soit de deux à trois podiums.
Aux mondiaux de 2023, le Canada a atteint l'objectif fixé en finissant au 5e rang des médailles avec quatre podiums.
Tableau des médailles des Championnats du monde de 2023 :
- Suisse 7 (3-3-1)
- Norvège 9 (2-3-4)
- États-Unis 4 (2-2-0)
- Italie 4 (2-1-1)
- Canada 4 (2-0-2)
Canada Alpin a embauché en mars 2022 la Norvégienne Karin Harjo comme entraîneuse-chef du programme féminin.
Elle est devenue non seulement la première femme à ce poste à la fédération canadienne, mais aussi dans le circuit de la Coupe du monde. Cette Norvégienne qui a grandi aux États-Unis avait auparavant aidé les Américaines Lindsey Vonn et Mikaela Shiffrin à remporter des médailles aux Championnats du monde et aux JO.
Je constate que l’équipe canadienne a connu une solide progression ces dernières années. Je compte implanter une culture d’excellence
, avait-elle dit lors de sa nomination en mars 2022.
Autrement dit, faire comprendre aux skieuses canadiennes qu’elles peuvent battre les meilleures du monde.
Elle a bâti une équipe qui monte au classement, comme le prouvent les résultats de Valérie Grenier, de Britt Richardson, d’Ali Nullmeyer, de Laurence St-Germain pour ne nommer qu’elles. Les skieuses sont régulièrement dans le top 30, même si avant le titre mondial de la skieuse de Saint-Ferréol-les-Neiges, il manquait des podiums pour confirmer le travail accompli ces dernières années.
La saison 2022 avait été la meilleure pour le programme de ski alpin en plus d’une décennie grâce à trois podiums en Coupe du monde, 34 tops 10 et une médaille olympique (le bronze de Crawford au combiné alpin), ainsi que 11 tops 10 et une médaille d’or aux Championnats du monde juniors à l'épreuve en parallèle par équipe mixte.
La saison 2023 est encore meilleure.
Crawford a fait des pas de géant depuis deux ans. Il est aujourd’hui la locomotive de l’équipe masculine de vitesse, avec des performances remarquées en Coupe du monde.
Il sait aujourd’hui qu’il peut battre les meilleurs, notamment le Norvégien Aleksander Aamodt Kilde, la référence de la discipline. Sa médaille d’or au super-G de ces mondiaux le prouve de façon éloquente.
Tout comme Laurence St-Germain, qui elle aussi sait maintenant qu’elle peut dépasser n'importe qui, même Mikaela Shiffrin, la skieuse la plus décorée du ski alpin féminin et bientôt tout genre confondu.
L'acharnement de Laurence St-Germain
Cette médaille d’or aux mondiaux, qui n’était pas a priori à sa portée, va enlever une couche de pression sur les épaules de Laurence St-Germain, même si les attentes seront plus élevées.
Ça me donne plus de confiance, car je sais maintenant que je peux le faire
, a-t-elle dit à Radio-Canada après sa victoire.
La 18e au classement de la Fédération internationale de ski (FIS) en slalom a sans doute convaincu les sceptiques au sein de la fédération canadienne qui ne croyait plus en elle. Car théoriquement, en dehors du top 15, point d'avenir dans l'équipe nationale.
À 28 ans, dans la discipline exigeante du slalom, elle peut difficilement se projeter trop loin en avant. Voudra-t-elle essayer de poursuivre sa route jusqu’aux Jeux olympiques de 2026 à Cortina d’Ampezzo?
La Québécoise s’investit dans ses études en génie biomédical à Polytechnique Montréal après un diplôme en sciences informatiques de l'Université du Vermont.
Il ne faudrait pas s’étonner qu’elle décide de quitter le ski de haut niveau pour se consacrer à ses études, car depuis 10 ans elle travaille fort, sans grands moyens financiers, à devoir toujours prouver à sa fédération qu’elle a sa place dans l’équipe nationale, bien servie par un talent évident et par une volonté hors du commun.
Écartée une première fois de l'équipe canadienne, elle a dû s'exiler aux États-Unis et passer par le programme NCAA pour poursuivre son rêve. Ce sont ses résultats qui l'ont ramenée dans le giron de l'équipe canadienne. On ne peut qu'admirer sa pugnacité.
Erik Guay doit être très heureux de voir la progression des équipes nationales sur la scène mondiale.
« Laurence peut être fière d’elle, mais le Canada aussi peut être fier de ce qu’il a accompli dans ces mondiaux. Ça montre la profondeur de cette équipe. »
Avant de réussir à en atteindre le sommet, une montagne peut paraître inaccessible, hors de portée.
Quand Valérie Grenier a gagné son premier slalom géant en Coupe du monde, le 7 janvier à Kranjska Gora, quand James Crawford a triomphé en super-G aux mondiaux, quand Laurence St-Germain l'a imité neuf jours plus tard en slalom, ils ont atteint le sommet de leur Everest. Enfin.
Ces athlètes d'exception possèdent un élément tellement important qui leur manquait jusqu’à présent : quoi faire pour gagner.
Maintenant, ils savent que le sommet n’est plus inaccessible.