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Le Super Bowl, l’arbre qui cache la forêt?

Une caméra frappée du logo de la NFL

L'audience télévisée monstre de la NFL cache un portrait médiatique différent pour les autres sports professionnels en Amérique du Nord.

Photo : Getty Images / Scott Taetsch

Pierre-Yves Robert

Le duel Chiefs-Eagles s’annonce comme le point d’orgue d’une saison couronnée de succès pour la NFL tant sur le terrain que dans le salon des amateurs. Si les téléspectateurs sont au rendez-vous, la réalité diffère pour les autres sports professionnels aux États-Unis. Tour d’horizon d’un paysage médiatique en transformation.

Un monstre appelé football

Dix milliards de dollars américains (13,39 G$ CA), c’est le montant exorbitant que récolte la Ligue nationale de football chaque saison pour ses droits de retransmission à la télévision. Signée en 2021, l’entente liant la NFL aux câblodistributeurs s’échelonne sur 11 ans et rapportera 110 milliards (147,33 G$ CA) au circuit.

Les FOX, CBS, NBC, ESPN et ABC se partagent le bouquet. Pourtant, le nombre de foyers américains dotés d’une télévision câblée est en chute libre. Des 100 millions de familles abonnées au câble il y a 10 ans, le nombre est maintenant de 65 millions, et la tendance s’accélère, rapporte la firme Nielsen.

La NFL enregistre malgré tout des audiences records.

Ce qui garde en vie la télévision traditionnelle, c’est le sport professionnel, et particulièrement la NFL. C’est pourquoi des réseaux sont prêts à débourser autant pour du football, dit Luc Dupont, professeur au Département de communication de l'Université d'Ottawa et spécialiste en marketing sportif.

Et la formule fonctionne à plein régime.

Selon Nielsen, les finales d'association ont enregistré une moyenne de 50,7 millions de téléspectateurs. Il s’agit d’une hausse de 2 % par rapport aux chiffres de la saison précédente et du meilleur rendement depuis 2014, année au cours de laquelle la moyenne s'élevait à 53,7 millions de téléspectateurs.

Deux joueurs de football se font une accolade.

Le duel Cincinnati-Kansas City, opposant les quarts-arrière Joe Burrow et Patrick Mahomes en finale de l'Américaine, a été vu par une moyenne de 53 millions de téléspectateurs.

Photo : Getty Images / Kevin C. Cox

Lors des tours éliminatoires précédents, la moyenne était de 35,3 millions de téléspectateurs, en hausse de 5 % par rapport à la moyenne obtenue durant la période 2017-2021.

Avant même la présentation du Super Bowl LVII, c’est une audience de 215 millions de téléspectateurs uniques qui a regardé l’un des 284 matchs cette saison, et près de 70 % des foyers américains détenteurs de télévision câblée. Plus encore, lors des 5 dernières années, 92 des 100 émissions les plus regardées aux États-Unis étaient des matchs de la NFL, révèle la firme Sportico.

Comment expliquer cette popularité exceptionnelle?

« C’est un sport construit pour le monde des médias. »

— Une citation de  Luc Dupont, professeur au Département de communication de l'Université d'Ottawa

Premier jeu, arrêt, reprise, publicité, caucus, deuxième jeu… Si on cherchait à inventer un sport parfait pour la télé, on ne pourrait faire mieux que la NFL. Ça se regarde en groupe en direct, sans changer de poste, et l’espace publicitaire est important. Mais on sent bien qu’on assiste à un changement de fond dans les habitudes de consommation, souligne-t-il.

Une consommation en transformation

La grand-messe télévisée du Super Bowl camoufle le portrait changeant du sport en direct, où nombreux sont ceux qui voient les webdiffusions comme la solution pour récupérer l’attention des amateurs qui ont coupé le cordon du câble.

Deux géants s’affairent d’ailleurs à la chose dans la NFL : Amazon, qui s’est offert au coût de 13 milliards les matchs du jeudi soir en exclusivité sur Prime Video pour la prochaine décennie, et Google, qui diffusera sur YouTube ceux du dimanche dès l’automne 2023, moyennant une entente de 7 ans évaluée à 14 milliards.

Si des joueurs numériques veulent présenter des matchs, c’est pour permettre aux annonceurs de s’adresser à une nouvelle génération d’amateurs. L’âge des téléspectateurs augmente chaque année, tandis que près d'un million d’abonnements au câble sont résiliés chaque trimestre. Les géants numériques opèrent dans un marché global et cherchent à plaire aux plus jeunes, qui souvent n’ont jamais été abonnés au câble, ajoute Luc Dupont.

Ces ententes rappellent celle entre Apple et la Major League Soccer, faisant de la plateforme de diffusion continue AppleTV+ le diffuseur officiel des 29 clubs du circuit dès cette saison, moyennant 2,5 milliards de dollars américains pour 10 ans. Un pari pas très risqué, croit Luc Dupont, qui voit un vase communicant dans la présence d’Apple au Super Bowl.

Une femme habillée en noir tient un micro et regarde des personnes brandissant des téléphones intelligents aux abords de la scène.

Rihanna assurera le spectacle de la mi-temps du Super Bowl, présenté par Apple pour les cinq prochaines années.

Photo : getty images for diamond ball / Dave Kotinsky

La publicité au Super Bowl est importante dans la mesure où c'est une antenne sur l’économie du moment, rappelle Luc Dupont. Que cette entreprise remplace Pepsi comme commanditaire du spectacle de la mi-temps, c’est parlant. Ça démontre à quel point les ligues professionnelles explorent de nouveaux partenariats avec les plateformes numériques.

Surtout, l’entente entre Apple et la MLS survient au moment où l’audience de plusieurs ligues professionnelles s’effrite à la télévision. Dans la LNH, la moyenne de téléspectateurs américains a chuté de 22 % par rapport à la saison dernière, selon Associated Press. Une baisse importante pour la ligue et son statut de sport majeur, à la deuxième année de son entente américaine avec les réseaux ESPN et TNT.

La LNH est la ligue avec le plus grand défi devant elle, avance Luc Dupont. On ne veut pas passer en cinquième place en termes de popularité, mais la MLS pousse fort. On assiste à une accélération notable de la consommation du soccer. Avec la Coupe du monde en Amérique du Nord en 2026, le danger de passer derrière est grandissant.

ESPN débourse 410 millions par année pour les droits de diffusion de la LNH, tandis que Turner Sports (TNT) paie 225 millions. S’ils étaient 478 000 en moyenne à regarder un match de hockey l’année dernière, l’audience est de 373 000 par match cette saison.

ESPN et TNT offrent comme explication qu’ils ont décidé de présenter plus de matchs, donc l'effet de rareté diminue. Mais l’autre bout de la réponse, c’est que les abonnements à la télé sont en chute libre, et que la LNH n’occupe pas l’espace du streaming, dit-il.

Rappelant l’entente canadienne liant Rogers à la LNH pour une durée de 12 ans contre 5,2 milliards de dollars canadiens, Luc Dupont estime que le circuit Bettman a pris une chance avec ce contrat anormalement long, qui repoussait à la fin de la saison 2025-2026 le moment de réfléchir à une façon nouvelle d’occuper l’espace médiatique.

Une faillite qui pourrait coûter cher

L’audience du sport à la télévision est essentielle à la santé financière des ligues professionnelles. Les fortunes déboursées en droits de diffusion ruissellent dans les poches des équipes de chaque ligue, qui utilisent ces montants pour financer leurs activités quotidiennes.

Des ententes pharaoniques

  • La MLB recevra 12 milliards de FOX, de Turner Sports (TBS) et d'ESPN pour ses droits de diffusion entre 2022 et 2028, en plus d’ententes avec des services en ligne (ESPN+, Peacock, AppleTV+, Prime Video).
  • La NBA a des ententes avec ESPN et Turner Sports depuis 2016, qui sont valides jusqu’à la fin de la saison 2024-2025. Arrivées à échéance, elles auront rapporté 24 milliards à la ligue, qui chercherait à obtenir 75 milliards pour sa prochaine entente, rapporte CNBC, grâce à de nouveaux partenaires de diffusion en continu.

Une audience en baisse fait donc craindre des années d’austérité. Mais les difficultés financières pourraient bien être devancées, à la LNH comme ailleurs.

Bally Sports, un conglomérat qui chapeaute 19 réseaux locaux de télévision aux États-Unis, et qui possède les droits télévisuels de 42 équipes professionnelles aux États-Unis, dont 16 en NBA et 12 en LNH, risque la faillite.

Le cas échéant, le manque à gagner serait important pour les ligues professionnelles américaines. Bally Sports a déboursé 10,6 milliards en 2019 pour s’offrir les droits exclusifs de ces 42 clubs, et le contrat stipule que l’entreprise doit encore payer 2 milliards à ces équipes rien que cette année. Les frais versés par Bally Sports représentent environ 15 % des revenus totaux de la NBA, par exemple.

« Une plateforme de streaming pourrait reprendre tout ça. »

— Une citation de  Luc Dupont, professeur au Département de communication de l'Université d'Ottawa

Bally Sports c’est l’histoire d’une entreprise qui a payé trop cher, avant de subir deux années de COVID-19, et d’être victime du cord-cutting. Après trois prises au baseball, vous êtes retiré, et c’est un peu ce qui s’est passé. Mais qu’est-ce qui empêcherait un joueur comme Apple de reprendre les droits? Ça s’inscrirait dans la logique à laquelle on assiste présentement, indique Luc Dupont.

En attendant, les propriétés les plus lucratives ne risquent pas de disparaître du petit écran de sitôt. Mais en s’installant devant le Super Bowl, dimanche prochain, les amateurs regarderont l’un des derniers remparts du sport à la télévision.

C’est le dernier château fort de la télévision traditionnelle, et ça explique l’engouement autour, évoque Luc Dupont, qui trace un parallèle avec le Bye Bye au Québec. Quand la NFL va dire au revoir à la télévision traditionnelle, ce médium va traverser une séquence extrêmement difficile. Un jour, même le Super Bowl ne sera plus à la télé. Ce ne sera pas demain. Mais un jour, j’en suis convaincu.

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