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Les bosseurs s’unissent et réclament une culture d’excellence

Mikaêl Kingsbury effectue un saut à l'entraînement aux Jeux olympiques de Pékin

Mikaël Kinsgbury à l'entraînement aux Jeux olympiques de Pékin en 2022

Photo : Getty Images / Cameron Spencer

Diane Sauvé

Quand on regarde les résultats du Canada en ski de bosses, on se demande qui, à part Mikaël Kingsbury, peut aspirer au podium sur la scène internationale.

Les chiffres des dernières années parlent d’eux-mêmes. Pour la saison 2017, les athlètes canadiens, excluant Kingsbury, sont montés 17 fois sur le podium. Ce chiffre est passé à zéro l’an dernier. En fait, le dernier podium canadien, à part ceux de l'homme aux 76 victoires en Coupe du monde et aux 21 globes de cristal, remonte à décembre 2020 avec la troisième place de Jordan Kober à la Coupe du monde d'Idre Fjäll, en Suède.

Devant cette tendance négative et dans un rare mouvement de grogne, les bosseurs de l’équipe nationale ont fait front commun. Ils ont exprimé leurs frustrations et préoccupations dans une lettre adressée au conseil d’administration de Freestyle Canada en avril dernier.

Le ton de cette lettre, dont Radio-Canada Sports a obtenu copie, est sans équivoque.

Avec les dirigeants et entraîneurs actuels, nous ne voyons pas cette tendance [à la baisse] changer de direction. […] Les athlètes espèrent que le C. A. reconnaîtra que les membres de cette équipe ont été traités injustement, de façon inadéquate et non professionnelle, écrivent les athlètes.

Un skieur exécute un saut vers l'avant.

Kerrian Chunlaud exécute un saut à la Coupe du monde de Tazawako, au Japon.

Photo : Getty Images / Matt Roberts

Je n'étais franchement pas à l'aise de laisser les jeunes dans l'état où l'équipe est, affirme le vétéran Kerrian Chunlaud [...] C’est simplement se sentir dans une culture de haute performance, une culture d'excellence. Il faut revenir à ça.

Les athlètes reprochent notamment à la fédération canadienne sa communication très opaque et son manque de transparence.

On cite en exemple un changement des critères de sélection olympique cinq semaines avant les Jeux, mais annoncé aux athlètes seulement trois semaines plus tard. Des dates de camp d’entraînement communiquées à la dernière minute qui causent ainsi un stress inutile et de l’anxiété sur le plan financier.

Une skieuse dévale une pente de bosses.

Une skieuse canadienne aux Jeux olympiques de Pékin

Photo : Getty Images / Ezra Shaw

Par ailleurs, les athlètes critiquent les décideurs pour ne pas les avoir inclus dans le processus décisionnel en temps de pandémie.

Ils s’en prennent aussi à la planification des camps d'entraînement, comme avant d’entamer la saison olympique au glacier d'Hintertux, en Autriche. L’équipe n’avait pas envoyé d’entraîneur en éclaireur pour s’assurer de la qualité du site, une pratique courante auparavant. Résultat : aucune bosse sur la piste quand les athlètes se sont pointés!

« J'ai vécu ça comme un des plus gros manques de respect. C'est une vraie blague. On est arrivé là-bas, il n'y avait rien de prêt. Ça fait juste créer des tensions inutiles dans l'équipe aussi. C’est peut-être le meilleur exemple du manque d'organisation depuis quatre ans. »

— Une citation de  Kerrian Chunlaud, skieur acrobatique de l'équipe canadienne

Il faut noter que plusieurs athlètes, comme Chunlaud, doivent payer les coûts pour leurs déplacements et leur hébergement. Ce camp a coûté, selon le père du skieur, entre 4500 et 5000 $.

Les bosseurs font aussi état de relations détériorées entre eux et le personnel. Cela a nui à la chimie et à la confiance entre les deux parties.

Ne pas avoir d’avenue pour communiquer quand nous croyons que quelque chose doit être remis en question nous fait perdre considérablement. Non seulement en performance, mais en croissance personnelle et en expérience de vie, soutiennent-ils

Je n'en ai pas dormi la nuit!

Une entraîneuse regarde devant elle.

Audrey Robichaud est maintenant entraîneuse à Ski Acro Québec

Photo : Radio-Canada

C’est ce manque d’écoute dans l’équipe qui a choqué l’ex-bosseuse Audrey Robichaud. Représentante des athlètes au conseil d’administration, elle dit avoir ressenti une urgence de la part de ses anciens coéquipiers.

« Je n'ai pas dormi la nuit, ça me bouleversait à 100 %. Il y a des athlètes qui ont dit : "S'il n'y a pas de changement, je ne vois pas le point de continuer." […] Si ton athlète n'est pas heureux, puis ton athlète ne va pas bien, oublie ça, les médailles! »

— Une citation de  Audrey Robichaud, membre du conseil d'administration de Freestyle Canada

Robichaud, qui a participé aux Jeux olympiques de 2006, 2014 et 2018, est malgré tout heureuse de voir que les athlètes se sont unis pour faire part de leur message. Ainsi, Freestyle Canada n'a pas eu le choix de l’accepter.

Audrey Robichaud

Retraité de la compétition depuis la fin de la saison 2017-2018, Audrey Robichaud consacre maintenant son temps à ses études et au métier d'entraîneur.

Photo : Radio-Canada

Il est difficile pour l’ancienne skieuse, maintenant entraîneuse à Ski Acro Québec, de désigner un seul facteur pour expliquer le manque de résultats de l’équipe nationale de bosses. Après son départ à la fin de la saison 2018, raconte-t-elle, le personnel d'entraîneurs a changé et la structure aussi. Les filles et les gars s’entraînaient chacun de leur côté, ce qui n’est plus le cas maintenant. L’effet d’émulation et la cohésion ont disparu, selon elle.

Chunlaud dit avoir spécialement senti ce manque d’unité à l’approche des Jeux de Pékin.

« Je pense que c'était devenu énormément divisé [...] C’était chacun de son bord, l’un contre l’autre [...] Il y avait moins d’énergie collective à se pousser vers le haut.  »

— Une citation de  Kerrian Chunlaud, skieur acrobatique de l'équipe canadienne

Des changements

Le directeur général de Freestyle Canada, Peter Judge, rappelle que cette lettre des bosseurs lui est parvenue il y a 10 mois et que depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts.

Un homme regarde devant lui lors d'une conférence de presse.

Peter Judge

Photo : Gracieuseté : FIS

Celui qui est en poste depuis 2004 avec une pause de quatre ans (2014-2018) affirme avoir eu un franc dialogue avec les athlètes en plusieurs occasions et sous plusieurs formes. Il croit avoir répondu à leurs questions et leur avoir donné plus d’information qu’il n'en faut.

Quand les athlètes affirment que les dirigeants actuels et le personnel en place ne pouvaient pas renverser la tendance négative, Peter Judge répond qu'il ne croit pas nécessairement que c'était le cas.

« Mais, selon notre propre analyse, nous avons apporté des changements que nous songions à faire de toute façon. »

— Une citation de  Peter Judge, directeur général de Freestyle Canada

Parmi ces changements, notons le départ de deux entraîneurs et l’arrivée de Philippe Marquis en mai dernier, quelques semaines après la lettre des athlètes.

La venue du médaillé de bronze en bosses en parallèle aux mondiaux de 2015 était presque devenue une nécessité, selon Chunlaud. Sa présence aidera la communication.

Pour Peter Judge, l’enjeu ne se situe pas vraiment là. Si les résultats sont à la baisse chez les bosseurs, ce n’est qu’un creux de vague naturel, comme on voit dans plusieurs sports.

Trois skieuses sourient sur le podium.

Les soeurs Chloé, Justine et Maxime Dufour-Lapointe sur le podium à la Coupe du monde de Val Saint-Côme le 23 janvier 2016

Photo : La Presse canadienne / Paul Chiasson

Il y a aussi un autre phénomène, selon lui, quand on regarde le programme féminin.

« Nous avons eu les sœurs Dufour-Lapointe pendant presque deux décennies [15 ans, NDLR]. C’était merveilleux. Mais ça a pour conséquence de laisser un vide derrière. Les plus jeunes ne peuvent pas se tailler une place dans l’équipe. Alors, on perd du monde dans ce parcours. »

— Une citation de  Peter Judge, directeur général de Freestyle Canada

Il affirme aussi que le financement de base de Freestyle Canada, soit 800 000 $, n’a pas bougé en près de 20 ans.

Des départs qui font mal

De son côté, Philippe Marquis estime que la pandémie a créé beaucoup d’isolement chez les athlètes, alors qu’ils avaient besoin du contraire.

Un homme avec une tuque du Canada regarde devant lui.

Philippe Marquis

Photo : Radio-Canada

Je pense que tout le monde est un peu tombé dans une zone de confort aussi. La pandémie, c'était peut-être l'excuse facile aussi. "On ne peut pas faire un camp d'entraînement, on ne peut pas faire ça. Continuez de faire vos trucs, on va faire une supervision un peu plus à distance."

Selon lui, les départs hâtifs de jeunes athlètes de l’équipe comme Olivier Lessard, Valérie Gilbert et Sofiane Gagnon ont aussi créé un vide. Mais ces retraites sont aussi peut-être symptomatiques, ajoute-t-il.

Quand tu as des jeunes qui ont performé en Nor-Am, qui commencent à avoir de l'expérience en Coupe du monde et qui veulent passer à autre chose, c'est ma perception, mais je pense que le problème est un peu plus important qu'on pense, affirme Philippe Marquis.

« On a peut-être un problème sur la façon dont on voit notre programme. On veut certainement s'assurer qu'on a une connexion plus étroite avec nos athlètes. »

— Une citation de  Philippe Marquis, entraîneur chez Freestyle Canada

Le skieur de Stoneham, qui est monté 13 fois sur le podium en Coupe du monde, mise beaucoup sur la communication et sur le suivi des athlètes. Le personnel réduit à cinq entraîneurs fait en sorte que c’est un peu plus centralisé.

C’est de retrouver cette confiance-là dans notre équipe en ce moment, de rebâtir une culture qui nous rend unis. C'est de mettre en place des barèmes dans lesquels on peut performer, mais en ayant du fun. Les dernières années ont été difficiles à ce niveau-là.

Elle est sur le point de descendre la piste.

La bosseuse Justine Dufour Lapointe

Photo : Radio-Canada

Celui qui s’occupe surtout des plus jeunes skieurs Next Gen indique que le Canada a dominé sur le circuit Nor-Am et qu’une vague de jeunes skieurs se fait les dents avec l’équipe nationale. Il veut aussi assurer un lien plus étroit avec les provinces. Audrey Robichaud l'a déjà noté.

Une lettre qui a fait du bien

Kerrian Chunlaud a noté du positif depuis quelques mois, notamment au chapitre de la communication qui s'est accrue au sein de l’équipe.

Certains ajustements ont été faits. Mais après, est-ce que ça va s'inscrire dans le long terme? Je ne sais pas. Est-ce que je vais être là pour les voir? Je ne sais pas non plus.

Tous s'entendent pour dire qu'il faudra être patient.

D'un oeil extérieur, moi, j'ai vraiment l'impression qu'en termes d'équipe, il y a encore du chemin à faire, beaucoup de chemin à faire, lance Audrey Robichaud. C'est long, c'est tellement long construire ça.

Kerrian Chunlaud insiste sur une chose : le sujet est clos chez les athlètes. Les discussions nécessaires ont eu lieu.

Maintenant, il a surtout très hâte, comme tous ses coéquipiers, de skier vendredi et samedi devant les siens, sous les lumières de Val Saint-Côme.

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