Accusations de viol collectif impliquant des hockeyeurs juniors

Le logo des Voltigeurs de Drummondville
Photo : La Presse canadienne / Mike Dembeck
Comment éduque-t-on nos garçons? Pourquoi la culture du hockey est-elle malsaine? Ces questions, qui ont fait la manchette dans tout le pays durant la majeure partie de l’année, refont surface parce que, incroyablement, le monde du hockey junior est à nouveau éclaboussé par des accusations de viol collectif.
Cette fois, les événements se seraient produits à l’automne 2016 à Drummondville. Une adolescente de 15 ans aurait alors été agressée sexuellement par trois jeunes hommes, dont deux portaient les couleurs de l’équipe locale dans le hockey junior majeur, les Voltigeurs de Drummondville.
Au moment de la présumée agression, deux des trois joueurs étaient d’âge mineur. Le troisième, Noah Corson, était majeur. Cet ancien joueur des Voltigeurs est le fils de l’ex-joueur du Canadien Shayne Corson.
Noah Corson est accusé d’avoir agressé sexuellement une plaignante de moins de 16 ans en compagnie d’autres personnes. Il a renoncé à son enquête préliminaire et doit comparaître au palais de justice de Drummondville en juin prochain. Aucune réponse à l'accusation n’a encore été déposée par l’accusé.
Aujourd’hui âgé de 24 ans, Corson poursuit sa carrière dans les rangs professionnels mineurs. Il porte les couleurs du Thunder de l’Adirondack dans l'ECHL.
L’équipe, qui est liée aux Comets de Utica, le club-école des Devils du New Jersey, a publié un court communiqué mardi affirmant avoir été mise au courant des accusations qui ont été déposées contre le joueur.
L’agent de Corson a informé l’organisation que Noah sera absent pour une durée indéterminée, et ce, dès maintenant, écrit le directeur des communications des Comets. L’organisation ne fera pas d’autres commentaires pour le moment.
Par l’entremise de ses agents Nicola Riopel et Étienne Lafleur, Noah Corson a décliné notre demande d’entrevue.
Considérant qu’il y a des accusations pendantes devant le tribunal et que le dossier devrait procéder quelque part l’été prochain, on va s’abstenir de faire des commentaires. Noah nie les allégations d’agression sexuelle et il entend se défendre adéquatement devant le tribunal
, a fait savoir Étienne Lafleur.
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Quant aux deux autres agresseurs, leur identité ne peut être dévoilée conformément à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA). Ces derniers ont toutefois reconnu leur culpabilité l’année dernière devant le tribunal pour adolescents. Ils étaient accusés d’agression sexuelle.
Selon l’exposé des faits produit par les deux accusés d’âge mineur, la plaignante ne connaissait pas les deux joueurs des Voltigeurs avant de les rencontrer le soir de l’agression. Elle fréquentait le troisième jeune homme depuis quelques semaines, mais elle n’était pas en couple avec lui.
Après avoir passé une partie de la soirée dans un restaurant à vocation sportive, le groupe s’est déplacé au domicile de la victime. Des initiatives sexuelles ont alors été entreprises auprès de la victime et ont progressé jusqu’à une activité sexuelle de groupe à laquelle la victime n’a pas consenti.
Durant l’agression, l’un des accusés d’âge mineur a capté une vidéo avec son téléphone cellulaire.
Un à un, les trois hommes ont ensuite quitté la chambre de la victime et l’un des deux accusés d’âge mineur a remarqué que la victime pleurait.
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La plaignante, dont l’identité fait l’objet d’une ordonnance de non-publication, poursuivait ses études secondaires à l’époque. Elle dit avoir traversé une période extrêmement difficile après cette agression. À ce jour, elle en ressent encore des séquelles.
J’ai d’abord tenté de l’effacer de ma mémoire
, confie-t-elle.
Elle dit avoir reconnu deux de ses agresseurs, plusieurs semaines plus tard, au Centre Marcel-Dionne. Elle venait d’assister à un match des Voltigeurs lorsqu’elle est passée devant un mur sur lequel étaient affichées les photos des joueurs de l’équipe.
Je les ai identifiés comme ça, sinon je n’aurais jamais su qu’ils étaient des hockeyeurs […] Je me suis mise à pleurer direct. J’imagine que de réaliser qu’ils étaient juste là, que je venais de les encourager pour qu’ils gagnent... on dirait que tout a remonté d’un coup
, raconte-t-elle.
Au printemps 2017, aux prises avec des idées suicidaires, la victime dit avoir été admise en psychiatrie dans un établissement montréalais.
Il lui a fallu plus d’un an avant de se sentir capable de parler de cette agression à ses proches. La psychologue de son école l’a ensuite référée à un Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) où elle a été suivie pendant plus de trois ans.
Suite à ces événements, j’ai développé une sorte de phobie sociale. Je suis entrée dans un bar pour la première fois cet automne et ça a été difficile. Encore aujourd’hui, même quand je vais dans un endroit public comme un restaurant, il faut que je sois en mesure de voir tous ceux qui sont dans la pièce. Il ne faut pas que j’aie l’impression que quelque chose puisse m’arriver depuis l’arrière. C’était la même chose à l’école. (Après l’agression), il fallait tout le temps que je sois assise à l’arrière de la classe
, explique-t-elle.
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Tant les dirigeants actuels des Voltigeurs de Drummondville que ceux de l’époque disent n’avoir jamais été informés de ces allégations, ni des enquêtes, ni du processus judiciaire qui s’en est suivi. Même son de cloche du côté de la Ligue de hockey junior majeur du Québec.
Quand la victime a porté plainte, les deux hockeyeurs avaient quitté l’organisation depuis longtemps. Noah Corson a été libéré par les Voltigeurs et soumis au ballottage au début de janvier 2017. Il avait ensuite été réclamé par Baie-Comeau.
Le journal L’Express de Drummondville avait alors rapporté que les entraîneurs des Voltigeurs n’étaient pas satisfaits de l’attitude et des habitudes de travail de Noah Corson. En entrevue avec Radio-Canada Sports, l’entraîneur et directeur général des Voltigeurs à cette époque, Dominique Ducharme, a corroboré cette version des événements.
Si nous avions entendu parler de cette histoire, nous aurions rapidement contacté les Voltigeurs de Drummondville et nous aurions élaboré un plan. Mais nous ne l’avons jamais su. C’est inexcusable qu’une situation comme celle-là soit survenue et j’ai des pensées pour la jeune femme qui a eu à subir cela
, a indiqué le commissaire de la LHJMQ, Gilles Courteau.
Jamais, au grand jamais, quelqu’un de l’organisation n’a été mis au courant de cela. J’ai été renversé, je n’en reviens toujours pas. C’est contre toutes les valeurs de l’organisation. On dénonce les situations comme celles-là et s’il y a collaboration à avoir avec l’enquête, on va collaborer
, a affirmé le président des Voltigeurs, Éric Verrier.
Tendance inquiétante
En l’espace de quelques années, c’est la troisième fois que des corps policiers ouvrent des enquêtes ou que des accusations sont portées à la suite d'allégations d’agressions sexuelles commises par des hockeyeurs de la LHJMQ.
En 2015, une jeune femme avait fait une sortie médiatique pour dénoncer un viol collectif qui, alléguait-elle, avait été commis par quatre joueurs des Olympiques de Gatineau.
La police de Québec n’avait pas porté d’accusations en 2015. Mais en septembre dernier, la présumée victime a révélé à des journalistes qu’elle avait été contactée à nouveau par le même service de police, qui souhaitait reprendre sa déposition.
À ce jour, aucune accusation n’a été portée dans ce dossier.
Par ailleurs, en octobre 2021, deux joueurs de 19 ans des Tigres de Victoriaville, Nicolas Daigle et Massimo Siciliano, ont été accusés d’avoir agressé sexuellement une jeune femme de 17 ans.
Les faits allégués se seraient produits en juin 2021, à Lac-Beauport, alors que les Tigres célébraient leur première conquête de la Coupe du Président.
Ce dossier chemine toujours devant les tribunaux. Une date de procès devrait être fixée à la mi-février.
Le 22 septembre dernier, la LHJMQ a annoncé la présentation d’ateliers sur le consentement et les violences sexuelles auxquels ont été tenus de participer les joueurs, les entraîneurs et le personnel des équipes.
Ces ateliers ont été animés par la réalisatrice, documentariste, autrice et politicologue Léa Clermont-Dion.
Selon la LHJMQ, l’objectif de ces ateliers consiste à conscientiser les membres de la ligue sur les impacts des agressions, mais également sur l’importance du respect dans les relations et sur le concept du consentement.
Hockey Canada ne donne pas l'exemple
Depuis le mois de mai dernier, la culture du hockey est fortement remise en question à la grandeur du pays.
Les dirigeants de Hockey Canada (la plupart ont démissionné depuis) ont illustré à quel point cette culture est déficiente. Le printemps dernier, ils ont conclu une entente à l’amiable, assortie d’une clause de confidentialité, avec une jeune femme alléguant avoir été agressée sexuellement par huit joueurs d’Équipe Canada junior en juin 2018.
Poursuivie conjointement pour une somme de 3,55 millions, Hockey Canada a rapidement réglé l’affaire sans savoir ce qui s’était réellement passé et sans connaître l’identité des présumés agresseurs. Ces derniers ont ainsi été protégés.
Les dirigeants de HC avaient été mis au courant de cette présumée agression en juin 2018 dans les heures suivant sa commission. Ils avaient alors commandé une enquête privée qui n’avait pas abouti, notamment parce que la fédération n’avait pas obligé les joueurs d’Équipe Canada junior à collaborer.
En 2018, l’enquête menée par la police de London n’avait donné lieu à aucune accusation. Dans la foulée des révélations médiatiques de mai dernier, le corps policier a toutefois repris l’enquête, dont on ne connaît toujours pas les résultats.
La LNH a aussi mené une enquête sur cette affaire, mais ses conclusions n’ont toujours pas été révélées.
Le tollé public soulevé par cette histoire a aussi incité Hockey Canada à commander une nouvelle enquête au même cabinet d’avocats qui s’était fait confier ce mandat en 2018. Encore là, aucune conclusion n’a été rendue publique.
Par ailleurs, d’autres allégations de viol collectif impliquant des joueurs d’Équipe Canada junior ont aussi refait surface l’été dernier. Selon ces allégations, qui seraient appuyées par une vidéo, une jeune femme inconsciente aurait été agressée par environ six joueurs de l’équipe canadienne, à Halifax, durant le Championnat mondial junior de 2003.
Une enquête policière a été déclenchée à la suite de ces allégations. Aucune accusation n’a été portée à ce jour.
En tenant compte d’un récent relevé effectué par nos collègues de l’émission The Fifth Estate, de CBC, au moins 14 enquêtes policières ont été déclenchées au Canada depuis 1989 concernant des allégations d’agressions sexuelles collectives commises par au moins 45 hockeyeurs juniors.
Onze de ces enquêtes ont mené à des accusations devant les tribunaux.