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Chronique

Depuis cinq mois, Max Verstappen ruminait sa rancune

Un pilote en cagoule, de profil, regarde à sa droite.

Max Verstappen

Photo : Getty Images / Mark Thompson

Au lendemain du Grand Prix du Brésil, on ne parle que de ça. Le refus de Max Verstappen d'obéir aux ordres à la fin de la course.

Roulant en 6e place, le Néerlandais tentait de rattraper Fernando Alonso dans l’Alpine-Renault, avec son coéquipier Sergio Pérez pas loin derrière.

Il n’y est pas arrivé, et son ingénieur de course Gianpiero Lambiase lui a alors demandé de laisser passer le Mexicain, qui n'avait que 4 secondes de retard.

Décision logique pour que Pérez aille chercher deux points de plus, ce qui l’aurait placé juste devant Charles Leclerc au classement des pilotes, avec une course à disputer à la saison, dimanche, à Abou Dhabi.

De plus, Pérez avait laissé passer Verstappen au 67e tour pour que le Néerlandais aille chercher Alonso. L'équipe voulait rendre la politesse à son pilote no 2.

Les monoplaces d'une même équipe s'approchent d'un virage à gauche.

Max Verstappen devant Sergio Pérez à Sao Paulo

Photo : Getty Images / Chris Graythen

Verstappen n'a toutefois pas répondu à l'appel répété de son ingénieur et a gardé sa 6e place. Résultat, Pérez a raté l'occasion de marquer un point de plus et il est à égalité avec Leclerc à 290 points au 2e rang du classement.

Une fois la ligne d’arrivée franchie, voici ce qu’a dit le Néerlandais à son ingénieur :

Je vous l’ai déjà dit la dernière fois, les gars, ne me demandez pas encore ça, c’est clair? a-t-il lancé. J’ai mes raisons, et j’assume ma décision.

De son côté, Pérez a dit à son ingénieur : On sait maintenant quel genre d’homme il est.

Max Verstappen est le genre d’homme à ruminer sa rancune.

Le directeur de l’équipe, Christian Horner, a senti le besoin de présenter ses excuses à Pérez par radio.

Pourquoi au juste? Pour ce point perdu? Pour le refus du champion du monde d’obéir à l’ordre qu’on lui avait donné? Pour une autre raison qu’il était seul, avec le conseiller F1 de Red Bull Helmut Marko, à connaître?

Clairement, Verstappen a fait référence par radio à une discussion qui avait déjà eu lieu. Il avait donc averti ses supérieurs de son intention de ne pas faire de cadeau à son coéquipier. À Sao Paulo, son geste était donc prémédité.

Red Bull F1 doit-elle sanctionner d'une façon ou d'une autre son pilote no 1? En défiant l'autorité, il a montré qui avait le dernier mot dans l'équipe.

Christian Horner doit bien réfléchir à sa riposte s'il veut maintenir son autorité au sein du groupe. Les journalistes vont l'attendre de pied ferme à Abou Dhabi.

Trois hommes, dont un en combinaison de pilote, discutent devant des écrans et des casques.

Christian Horner, Max Verstappen et Helmut Marko dans le garage de Red Bull

Photo : Getty Images / Mark Thompson

Après le Grand Prix du Brésil, dans un paddock enflammé, les médias ont tenté de comprendre le pourquoi du comment de ce geste a priori antisportif de Verstappen.

Aux médias, le Néerlandais a d'abord dit : On vient d'en parler, c'est réglé. J'aiderai Checo à Abou Dhabi.

De son côté, Pérez a répondu : Après ce que j’ai fait pour lui, c’est vraiment décevant. Si Max est double champion du monde, c’est aussi grâce à moi.

Pérez faisait référence au Grand Prix d’Abou Dhabi de 2021. Il avait alors fait son travail de pilote no 2 en gênant Lewis Hamilton aux 20e et 21e tours.

Il lui avait fait perdre 6 secondes en l'espace d'un tour et demi pour permettre à Verstappen de rattraper son retard sur le pilote de Mercedes-Benz. Verstappen s'était lors écrié par radio : Checo is a legend (Checo est une légende).

L'incident de Monaco

À Sao Paulo, dimanche, les médias néerlandais ont talonné Verstappen pour comprendre. Quelles étaient ces raisons dont il avait parlé dans son message radio? Une chicane entre les deux, une manœuvre en piste? Et ils ont évoqué l’incident de la séance de qualification à Monaco. Coincé, le champion du monde n’a pas voulu nier.

Donc, Verstappen attendait le bon moment pour faire payer à son coéquipier une manœuvre suspecte à ses yeux, datant du… 28 mai à Monaco, à la fin de la séance de qualification. Rancunier, dites-vous?

Le 28 mai, Pérez aurait volontairement frappé le rail au virage du Portier à l’entrée du tunnel pour empêcher Verstappen de faire un dernier tour chronométré qui lui aurait peut-être donné la pole. Le Mexicain (3e) était finalement parti devant Verstappen (4e), qui avait gagné la course le lendemain, alors que Verstappen avait fini 3e.

Deux voitures accidentées bloquent une piste de course à l'entrée d'un tunnel, une troisième voiture doit s'arrêter.

Sergio Pérez frappe le mur en qualification à Monaco, Carlos Sainz fils le percute ensuite, les deux bloquent la piste, et Max Verstappen doit s'arrêter.

Photo : TSN / Formula One

Après le Grand Prix de Monaco, Verstappen père avait maugréé que l'équipe Red Bull avait favorisé Pérez dans sa stratégie d'arrêts aux puits, faisant perdre de précieux points à son fils, qui pourtant était devant son coéquipier au classement du championnat.

Selon le journaliste néerlandais Erik van Haren, Pérez aurait avoué son geste délibéré en qualification à ses patrons, Christian Horner et Helmut Marko. Mis au courant, Verstappen a décidé de lui faire payer sa faute au moment opportun. Ce moment est arrivé à Sao Paulo.

Dimanche, après le Grand Prix, les deux pilotes se sont parlé en présence de Christian Horner et ont réglé leur différend. Le Néerlandais a eu sa revanche. Pérez a visiblement accepté son sort.

En lavant leur linge sale à chaud, ils ont pu nettoyer toute trace de culpabilité d’un côté et de rancune de l’autre et tourner la page.

C’est pour cela que Verstappen n’a pas hésité à dire qu’il aiderait son coéquipier à Abou Dhabi dimanche, si l’occasion se présente. Comme si toute la rancune accumulée pendant plus de cinq mois avait disparu.

L'occasion se présentera-t-elle? L’équipe ayant déjà remporté les deux titres, Christian Horner tient-il absolument à ce que Pérez termine 2e au classement des pilotes pour assurer le doublé à Red Bull? Comment l'équipe s'y prendra-t-elle? Imposera-t-elle une stratégie à respecter?

Les consignes d’équipe (les ordres donnés aux pilotes) font partie de la réalité de la F1, même si elles peuvent être dommageables pour la crédibilité du sport.

Le fait qu’il y ait deux pilotes au service d’une équipe impose parfois qu'ils se plient aux ordres. Il y a un championnat des constructeurs, payant pour les équipes, qui les oblige à marquer le maximum de points à chaque épreuve. Chaque point marqué vaut en 2022 à peu près 1,2 million de dollars. Éliminez le classement des constructeurs et ce sera chacun pour soi en piste.

Les équipes ont la liberté de privilégier un ordre de passage à la ligne d’arrivée quand il s’agit de maximiser les points. Ce qui se passe à l'intérieur des murs d'une équipe ne concerne qu'elle. À elle d'assumer les conséquences de ses actes.

Le Crashgate de Singapour en 2008 a fait très mal à Renault. (Le directeur de l'époque avait demandé à son pilote no 2 de partir en tête-à-queue et de bloquer la piste pour faire sortir la voiture de sécurité et aider son pilote no 1 à revenir sur le peloton).

C'est quand il y a collusion entre deux équipes qu'on touche à l'intégrité du sport. Un scénario évoqué, mais jamais prouvé lors de la dernière épreuve en 1997 pour aider Michael Schumacher à remporter le titre.

Ce n’est pas la première fois dans l’histoire de la F1 qu’un pilote refuse d’obéir aux ordres.

En 1982, à la fin du Grand Prix de Saint-Marin, Ferrari avait figé la position de ses pilotes, Gilles Villeneuve devant Didier Pironi, mais le Français, fort du soutien du directeur sportif de l’équipe, avait attaqué le Québécois et remporté la course.

Villeneuve, furieux et se sentant trahi, n’avait plus adressé la parole à son coéquipier jusqu’à sa mort deux semaines plus tard en Belgique.

Deux monoplaces de la même équipe négocient un virage à gauche.

Malgré la consigne, Didier Pironi roule devant Gilles Villeneuve à la fin du Grand Prix de Saint-Marin à Imola en 1982.

Photo : YouTube

Dimanche, au Brésil, Red Bull a pensé au championnat des pilotes, et voulait que Pérez passe devant Leclerc au classement.

Parfaitement au courant, Verstappen a choisi plutôt ce moment pour se venger, sachant qu'il reste une course au calendrier.

Ce geste, pour tout autre pilote, mériterait sanction. Mais sans doute pas pour le double champion du monde. Pour le moment, le Néerlandais est roi et maître en sa demeure et il en profite pour le meilleur et pour le pire.

Il est intouchable, comme Michael Schumacher était intouchable chez Ferrari en son temps.

En 2001 et en 2002 en Autriche, Ferrari sans arrière-pensée avait donné l’ordre à Rubens Barrichello de laisser passer l'Allemand.

Dans les deux cas, le Brésilien avait ralenti dans les derniers mètres. En 2002, il voulait montrer qu’il méritait la victoire. Le public avait hué les pilotes de Ferrari sur le podium.

Dans ce « doublé de la honte » (pour reprendre la une d'un journal de l’époque), le parti pris pour Schumacher était évident et assumé chez Ferrari.

Deux monoplaces de la même équipe sont l'une derrière l'autre.

Michael Schumacher devant Rubens Barrichello à l'arrivée du Grand Prix d'Autriche en 2002

Photo : Getty Images / AFP

Si aujourd’hui, les équipes laissent plus volontiers les pilotes se battre, il reste qu’il y a aussi des considérations d’ordre financier. Le plafond budgétaire instauré en 2021 s’ajoute à la réflexion des équipes pendant l’épreuve.

Tout accrochage coûte cher. Quand c’est entre deux adversaires, comme Verstappen et Lewis Hamilton au septième tour, c’est la loi de la course. Quand c’est entre coéquipiers, c’est inadmissible.

Alpine-Renault a vu ses pilotes Fernando Alonso et Esteban Ocon s’accrocher deux fois dans la course sprint de samedi. Ce qui a coûté un aileron avant, une pièce aérodynamique estimée à 150 000 $.

Alonso et Ocon ont été publiquement semoncés par le directeur de l'équipe, et le lendemain, pendant la course, Ocon a dû confirmer qu'il avait bien compris le message lui intimant l'ordre de ne pas attaquer son coéquipier. Ce qu'il a fait, obligé.

Mais Esteban Ocon n'est pas Max Verstappen...

Comme en 2013

La FIA a déjà tenté d’interdire les consignes d’équipe dans les années 2000, ce qui avait incité les écuries à inventer des messages codés, incompréhensibles pour le commun des mortels. Celui qui vient rapidement en mémoire est le fameux Multi 21 de 2013.

Ce n’est pas la première fois que l’équipe Red Bull se bute au refus de son pilote numéro un. Le 24 mars 2013, Christian Horner avait imposé en Malaisie à Sebastian Vettel un ordre par message codé (Multi 21) pour qu’il reste derrière son coéquipier Mark Webber.

Vettel avait ignoré l’ordre, avait attaqué et dépassé l’Australien, puis avait gagné la course.

Deux monoplaces de la même équipe roulent sur un circuit.

Mark Webber devant Sebastian Vettel au Grand Prix de Malaisie de 2013

Photo : Getty Images / Clive Mason

L’Allemand avait décidé de se venger après un incident survenu la saison précédente au Grand Prix du Brésil disputé le 25 novembre.

Au départ de la course sur une piste humide, Webber avait poussé Vettel vers le muret des puits, bien que ce ne soit pas évident sur les reprises. L'Allemand avait perdu trois places (de P4 à P7) et était ensuite parti en tête-à-queue au virage no 4 après un accrochage. Il avait pu quand même remporter son troisième titre ce jour-là, mais il avait quitté Sao Paulo en colère.

Quatre mois plus tard, Vettel a eu sa revanche.

Neuf ans après, l’histoire se répète. Max Verstappen a lui aussi eu sa revanche cinq mois plus tard. Du côté de Red Bull, on aime les plats qui se mangent froids.

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