Choisir les sports de ses enfants, même un dilemme pour les anciens athlètes olympiques

Le fils aîné de Dominick Gauthier lors d'un entraînement de soccer
Photo : Dominick Gauthier
Il y a quelques semaines, je partageais un souper avec une idole devenue une amie, Sylvie Bernier. Elle était chef de mission adjointe aux Jeux olympiques de 2006 à Turin et était présente lors de la victoire de ma conjointe, Jennifer Heil. Voilà comment les liens se sont consolidés entre nous.
J’en profite d’ailleurs pour mentionner que le travail d’une chef comme Sylvie perdure bien au-delà de la cérémonie de clôture. Je le vois par cette symbiose qui s’installe chaque fois qu’elle parle avec Jennifer, même 16 ans plus tard.
La raison pour laquelle je parle de Sylvie, c’est parce que je lui racontais les défis que nous vivions en tant que parents avec la sélection des sports pour nos enfants. Soudainement, elle m’arrête et dit : Dominick, tu devrais écrire là-dessus, il y a tellement de parents qui vivent la même chose que vous et ils vont voir que même des parents olympiens ne sont pas à l’abri de ces questionnements.
Avec le sourire, elle m’a promis d’accepter les plaintes si jamais je vous ennuyais avec mes histoires parentales, alors je plonge!
Mes garçons ont 7 et 9 ans, l’âge auquel le sport devient de plus en plus sérieux dans notre société. Mon plus vieux est loin de maîtriser ses tables de multiplication que déjà devrait-il choisir le sport dans lequel il voudrait exceller? En écrivant, je me rends bien compte que ça n’a aucun bon sens, mais la société sportive nous dit autrement. On oublie rapidement que le sport devrait avant tout être un jeu, surtout à cet âge-là.
Nous sommes deux parents très sportifs et nos enfants ont grandi dans cet environnement. Faire du sport au quotidien fait partie de notre mode de vie et nous croyons fermement que le sport, c’est aussi l’école de la vie.
L’objectif de cette chronique n’est pas de faire la promotion de l’activité physique. Si vous me lisez ici dans la section des sports de Radio-Canada, les chances sont que vous comprenez bien l’importance des saines habitudes de vie. Je veux plutôt vous parler d’une question qui m’empêche de dormir la nuit depuis un certain temps : est-ce que nous avons pris les bonnes décisions pour permettre à nos enfants de s’épanouir et d'avoir du succès dans le sport qui les passionne?
Je dois avouer que lorsque je parlais avec Sylvie, mon questionnement était un peu plus dramatique et qu'il ressemblait plus à : Sylvie, je capote, j’ai tellement peur qu’on ait détruit la carrière sportive potentielle de nos enfants parce qu’on a été trop relaxe.
Pourtant, depuis toujours, je prône l’importance de laisser les enfants jouer et découvrir le plus de sports possible. Je sais très bien que c’est par la pratique de différents sports ou par le jeu libre qu’ils développeront les aptitudes nécessaires pour être des athlètes complets s’ils le désirent.
Mes enfants sont agiles comme des singes sur les structures que l’on retrouve dans les aires de jeux au parc du coin. Leurs habiletés physiques sont exceptionnelles que ce soit sur des skis, un vélo, une planche à roulettes ou même en surf, mais ils sont loin d’être les meilleurs dans quoi que ce soit.
Mon plus vieux a presque un traumatisme chaque fois qu’il arrive près d’un terrain de soccer. Il voit bien que les jeunes de son âge font déjà courber le ballon comme bon leur semble. Je le réconforte en lui disant que ses coéquipiers pratiquent sérieusement ce sport depuis quatre ou cinq ans, à raison de plusieurs fois par semaine.
Son regard me dit qu’il n'est pas vraiment d'accord avec mon argument. Je lui rétorque qu’il a une panoplie d’habiletés que les autres n’ont pas et que cela fera de lui un athlète plus polyvalent à long terme… Il n’est pas plus convaincu.
Plusieurs recherches sur le développement de l’athlète montrent qu’un jeune qui pratique plusieurs activités avant l’âge de 12 ans finira par devancer celui ou celle qui ne se concentrait que sur un seul sport tout en diminuant les risques de blessures.
Cela dit, dès que mon enfant manque une passe, il me regarde en voulant dire : Tu vois papa, je suis nul et ils ne voudront plus jamais me passer le ballon.
Et ce souvent avec deux ou trois larmes dans les yeux. Ouf! Mon cœur saigne. J’ai des doutes.
Nous voulons que notre enfant surmonte ses peurs et qu’il élimine ce narratif négatif qui lui traîne dans la tête depuis la première fois où il a mis les pieds sur un terrain de soccer à l’âge de 5 ans. On lui a dit maintes fois que nous n’aspirons aucunement à ce qu’il devienne un joueur de soccer professionnel, mais qu’il doit poursuivre et jouer jusqu’à ce qu’il soit assez à l'aise avec le ballon afin de possiblement découvrir le plaisir de ce sport magnifique.
Le compromis que nous avons fait est qu’il ne jouera que deux fois par semaine au lieu de quatre comme le reste de l’équipe. Notre objectif est qu’il participe aussi aux autres activités qui s’offrent à lui après l’école comme le codage informatique, les cours de guitare et le basketball. Déjà, il me semble que l’horaire de notre jeune de 9 ans est bien rempli.
À son âge, je suis persuadé que mon enfant perdrait la passion pour quelconque activité qu’on lui imposerait de pratiquer quatre fois par semaine. En même temps, je me demande si c’est possible pour lui d’aimer un sport s’il voit que les autres progressent plus rapidement.
Alors, comment puis-je naviguer dans ce monde de sports fédérés en tant que parent qui désire voir ses enfants performer dans le sport, mais tout en voulant que cela vienne de motivations internes et non pas par des forces externes?
Je crois sincèrement que cette motivation interne est la meilleure façon de voir son enfant s’épanouir, peu importe le résultat. À nous de leur ouvrir les portes, à eux d’y entrer. La seule chose que Jennifer et moi souhaitons est de voir nos enfants arriver aux entraînements avec un sourire et de les voir partir déçus que ce soit déjà terminé.
Du même coup, j’ai assez côtoyé de médaillés d’or pour vous dire que cela est un critère primordial si vous rêvez de voir votre enfant devenir un jour champion olympique ou athlète professionnel.
Je pense d’ailleurs qu’il ne faut pas être gêné d’avoir ces aspirations pour notre progéniture. Ce n’est pas si différent que d’espérer voir son enfant devenir médecin ou encore ingénieur informatique pour Google.
La différence est qu’on ne verra jamais un parent entrer dans une classe pendant un examen pour encourager son enfant ou pour crier contre le professeur. Les débordements se produisent souvent lorsqu’un parent vit un rêve par procuration, qu’il se projette dans la carrière potentielle de son enfant.
Autant qu’on espère voir notre enfant trouver son chemin à l'école, on peut espérer la même chose dans le sport et on ne devrait pas se sentir mal d’avoir ce désir pour eux. C’est la façon dont on les soutient en tant que parents qui est trop souvent malsaine.
Le système sportif en général est un peu malsain en soi, car on impose une surspécialisation en très bas âge et on oublie trop vite l’aspect du jeu.
Devenir le meilleur d’un club ou d’une région à 9 ou 10 ans, c’est assez simple. Si un enfant pratique un sport de trois à quatre fois par semaine depuis qu’il a 5 ans, c’est assez évident qu’il sera parmi les meilleurs de son groupe avant l’adolescence.
Oui, les recherches nous montrent qu’à long terme, ce n’est pas la bonne recette pour le succès. Mais dans les faits, être parent et voir son enfant perdre du terrain sur les autres, ce n’est vraiment pas rassurant.
Je ne prétends pas avoir la recette miracle du bonheur ou du succès sportif de mes enfants. Je peux comprendre comment plusieurs parents peuvent se faire prendre à ce jeu qu’on nous impose, d’une certaine façon, parce que même nous, qui sommes très sportifs et conscients de notre rôle de simples accompagnateurs dans ce cheminement sportif, le sommes.
La Norvège semble l’avoir bien compris. Ils ont même créé un document intitulé Droits des enfants dans le sport, dans lequel on accorde aux enfants le droit de choisir les sports qu’ils pratiquent ainsi que l’intensité de leur entraînement.
Il y a des efforts remarquables qui sont faits ici au Québec dans plusieurs sports, mais tant que cela ne sera pas fait de façon holistique par notre système sportif dans son ensemble avec une certaine cohésion entre la province et le fédéral, il sera difficile d’y arriver.
Il s’agit possiblement d’un vœu pieux, car chaque sport ne voudra pas perdre des participants au profit d’un autre sport. C’est la base du problème, selon moi.
On peut quand même rêver et, au pire, ça m’aura fait du bien de vous en parler.