Deux « survivantes » du couple Brubaker montent au créneau

La gymnaste Abby Pearson Spadafora
Photo : Gracieuseté Abby Pearson Spadafora
Un mois après l’abandon de la procédure d’appel du couple Brubaker et plus de trois ans après avoir déposé une plainte auprès de Gymnastique Canada, deux athlètes reviennent à la charge pour dénoncer l'inaction de leur fédération dans ce dossier.
Banni à vie par Gymnastique Canada, l’ancien directeur de l’équipe nationale de gymnastique artistique David Brubaker et sa femme Elizabeth, elle-même mise à l’écart jusqu’en 2024, auraient selon le communiqué publié mardi matin par les deux gymnastes longtemps été protégés par la fédération canadienne.
Abby Pearson Spadafora est au nombre de 5 des 11 gymnastes regroupées sous l’appellation de Bluewater Survivors [en référence au nom du Club qu’elles ont fréquenté à Sarnia, en Ontario, entre 1996 et 2017, NDLR].
Ces jeunes femmes avaient entamé une poursuite judiciaire à l’endroit du couple Brubaker, qui dirigeait ce club. Spadafora est la seule à signer le communiqué du jour de son nom. L’autre athlète demeure connue sous l’alias d’Athlète B
.
Spadafora et sa consœur anonyme expliquent comment, à compter du 15 janvier 2019 et pendant les 1180 jours qui se sont écoulés depuis, Gymnastique Canada s’est appliqué à réduire les plaignantes au silence.

Abby Pearson Spadafora
Photo : Gracieuseté Abby Pearson Spadafora.
Ne dites ou ne publiez rien qui concerne ce que vous vivez. Ne dites ou ne publiez rien à propos des abus que vous avez subis, parce que si vous le faites, ça sera utilisé contre vous à l’audience
, racontent-elles en expliquant que c’est par crainte de nuire à leur cause qu’elles ont alors gardé le silence.
Nous vaquions à notre quotidien en souffrant en silence à l’idée d’être soumises à un processus infernal
, ajoutent-elles.
Dans le communiqué, elles affirment qu’au lieu de protéger les victimes, Gymnastique Canada les aurait soumises de façon répétée à un processus au cœur duquel elles devaient constamment raconter, revivre intérieurement et prouver les détails des abus subis face à des panels composés d’étrangers.
Nous avons agi en "bons petits soldats" parce que nous avions été dressées pour ça. Mais ce temps est révolu. Aujourd’hui, nous retrouvons nos voix. Ces bons petits soldats sont devenus des femmes courageuses avec des voix qui vont se faire entendre.
Le communiqué réitère l’appui inconditionnel de centaines de gymnastes envers la démarche mise de l’avant par Gymnastics4Change Canada et l’organisation Global Athlete à l’origine de la lettre ouverte datée du 28 mars et adressée à Gymnastique Canada, à Sports Canada et à la ministre fédérale du sport, Pascale St-Onge.
Rappelons que plus de 450 gymnastes et entraîneurs, présents et passés ont apposé leur signature au bas de cette lettre qui dénonçait les abus et la culture toxique
en place à Gymnastique Canada, et qui réclamait l’instauration d’une structure indépendante pour accueillir et pour gérer les plaintes.
Ce nouveau plaidoyer d’Abby Pearson Spadafora et de sa consœur arrive dans la foulée du dépôt, mercredi dernier, d’une requête en recours collectif à la Cour suprême de Colombie-Britannique.
Gymnastique Canada n'avait pas encore répondu aux demandes de commentaires de Radio-Canada Sports au moment de publier.
À lire aussi :
Plus jamais ça
Au-delà du fait qu’elle et les 10 autres membres des Bluewater Survivors aient obtenu l’exclusion à vie de David Brubaker, c’est pour obtenir un réel changement de gouvernance à Gymnastique Canada et l’assurance que les jeunes gymnastes d’aujourd’hui n’auront pas à subir les mêmes abus qu'Abby Person Spadafora continue de se battre.
Gymnastique Canada s’est montrée tellement abusive à nos dépens en protégeant nos abuseurs plutôt que les victimes. Je suggère non seulement à toutes les victimes à se joindre au mouvement, mais je leur conseille d’embaucher chacun leur propre avocat. Pour ma part, je ne veux plus jamais passer par ça
, a-t-elle confié à Radio-Canada Sports.
Celle qui dit avoir subi des assauts verbaux, psychologiques, physiques et d’ordre sexuel dès l’âge de 7 ans veut que ça change.
J’ai été initiée au harcèlement et aux allusions à caractère sexuel dès mon plus jeune âge. Les abus sexuels ont commencé un peu plus tard. J’ai pratiqué la gymnastique jusqu’à l’âge de 19 ans, quand j’ai bénéficié d’une bourse de l’Université de l’Arizona
, a raconté la femme de 38 ans, aujourd’hui mariée et mère d’une fille de 12 ans et d’un garçon de 7 ans.

Abby Pearson Spadafora, alors jeune gymnaste
Photo : Gracieuseté Abby Pearson Spadafora
Les abus ont continué même après mes études. J’ai essayé de devenir entraîneuse en pensant que je pourrais protéger les petites filles. Mais là encore, les abus et le harcèlement sexuel ont continué. J’ai quitté le sport pendant un bout de temps, avant de l’abandonner complètement en raison d’une blessure subie alors que j'étais dans les rangs universitaires au sein de la NCAA.
Une opération ne lui avait pas permis de retrouver tous ses moyens. Abby Pearson Spadafora reconnaît qu’elle souffrait aussi de troubles alimentaires en plus d’entretenir des pensées suicidaires.
Après avoir rendu hommage à ses parents (son père est aujourd’hui décédé) pour leur soutien indéfectible qui lui a permis de traverser nombre d’épreuves, elle a répété ce qui la motive à ne pas lâcher le morceau pour susciter des changements majeurs dans son sport.
Il faut que les gens comprennent que l’instauration d’un organisme indépendant de gestion des plaintes doit voir le jour. Nous savons qu’il y a en ce moment même des entraîneurs qui abusent et sont encore protégés. Le système de traitement des plaintes doit changer. Les enfants ne peuvent pas être assujettis au processus dans son état actuel. Je soutiens chaque survivant et survivante, et je veux qu’ils sachent qu’ils ne sont pas seuls.
Si elle appuie l’idée à 100 %, Abby Pearson Spadafora n’a pas encore décidé si elle allait faire partie du recours collectif s’il est jugé recevable par la Cour suprême de Colombie-Britannique.
Elle garde espoir de voir les demandes des gymnastes obtenir une réponse positive.
Comme chacun des 450 signataires, je ne vais pas lâcher. Si nous abandonnons, des enfants continueront d’être abusés. Et je ne veux plus en voir un seul vivre ce que j’ai subi
, a-t-elle conclu.