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Le rêve fou de ces Québécois qui voulaient représenter Haïti au Mondial de futsal

Un joueur tape des mains en criant.

Shaquille Michaud, capitaine de la sélection haïtienne aux qualifications de la Coupe du monde de futsal, encourage ses coéquipiers lors d'un match contre le Canada.

Photo : Adrien Douaire-Duchesne/Move Photography

Olivier Paradis-Lemieux
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

L’idée avait germé dans la tête d’Alain Grégoire : puisque Haïti n’avait pas pris part aux qualifications des deux dernières Coupes du monde de futsal, après avoir subi une cuisante défaite de 13-0 face au Costa Rica à celle de 2008, pourquoi ne pas monter une équipe de Québécois issus de la diaspora haïtienne, plus rompus à ce pendant intérieur du soccer joué à cinq? Convaincre la fédération nationale aura été leur moins grand souci. Récit d’une aventure folle… qu’ils sont déjà prêts à recommencer.

Il n'y a pas réellement de futsal en Haïti. Ça laissait la porte à Alain d’essayer et d’espérer, explique Alexandre Kénol, un passionné qui s’est retrouvé presque malgré lui entraîneur de la sélection, à une cinquantaine de personnes réunies à la Maison d'Haïti pour écouter leur récit.

De fil en aiguille, relate-t-il, Alain Grégoire a pu entrer en contact avec le président de la Fédération haïtienne de football (qui chapeaute comme la FIFA et la CONCACAF aussi le futsal), Yves Jean-Baert, mieux connu sous le nom de Dadou. Il a été clair avec le Québécois : il n’avait pas d’argent à mettre dans le futsal, voulant consacrer toutes ses ressources au soccer extérieur, mais il lui a donné sa bénédiction.

Si vous dites que vous êtes bons et que ça peut faire en sorte que la nation haïtienne et les diasporas haïtiennes puissent bien paraître, pourquoi pas, dit Alexandre Kénol pour résumer les propos de Dadou.

Ainsi, Alain Grégoire est revenu au Québec après avoir rencontré Dadou à Boston avec l’assurance que la sélection pourrait prendre part aux qualifications du Mondial. Le projet est toutefois mis sur la glace avec le report du tournoi, initialement prévu en 2020, en raison de la COVID-19. Ce n’est qu’au tournant de l’année que les qualifications sont officiellement annoncées, au Guatemala, au début du mois de mai 2021. L’équipe n’a que quelques mois pour être finalisée, s’entraîner et se préparer sérieusement à défendre les couleurs des Grenadiers.

Un joueur de futsal tape un ballon.

Le futsal se pratique dans un gymnase aux dimensions réduites par rapport à un terrain de soccer, met en opposition 5 joueurs de chaque côté comparativement à 11 et se joue avec un ballon plus petit et moins rebondissant.

Photo : Adrien Douaire-Duchesne/Move Photography

Les joueurs, qui avaient entendu parler de ce projet depuis longtemps, prendront du temps à croire qu’ils représenteront bel et bien Haïti, même que certains n’abandonneront toutes leurs réserves seulement une fois dans l’avion pour l’Amérique centrale.

Quand on m'a approché, la première fois, je me rappelle, c'était un match, un dimanche. C'était un match de championnat et Alain m'a approché pour me parler et savoir si ça m’intéressait de le suivre dans cette aventure, un peu curieuse. Pourquoi pas, raconte Shaquille Michaud, futur capitaine de la sélection haïtienne.

« Quand j’ai appris l'existence du projet, au début, c'était dur d'y croire. Mais il y a une petite partie de moi qui y croyait quand même… »

— Une citation de  Steve Jonathas, gardien de but de la sélection

Bernick Montfort, qui va marquer le premier but de la sélection face… au Canada, et Dylan Barthalémy étaient plus sceptiques face au projet.

Dans le fond, je ne croyais vraiment pas au projet, lâche tout simplement Bernick Monfort. Mais j’allais quand même [aux entraînements], parce que c’était du futsal, et que j’étais avec mes amis. Je ne croyais vraiment pas à ce projet jusqu’au dernier moment.

J'allais aux entraînements, même si, entre guillemets, on nous vendait des rêves… même si le rêve est devenu réalité. Je n'y croyais pas du tout, assure pour sa part Dylan Barthélémy.

Après le tirage au sort des qualifications du Mondial de futsal, les joueurs de la sélection haïtienne avaient publié cette vidéo en février dernier pour promouvoir leur projet.

C’est que, pour une sélection nationale, l’équipe avait les moyens de toute autre équipe qui tente désespérément de trouver des plateaux d’entraînement et du financement pour poursuivre ses activités, et en pleine pandémie de COVID-19.

Alain disait, ça c'est l'équipe nationale, mais on gère ça comme une équipe du coin ou une équipe du bled, souligne Alexandre Kénol. Les gars faisaient des entraînements, des fois il y avait un entraîneur, des fois pas. Des fois, il fallait donner quatre dollars ou pratiquer dans le froid…

Le premier entraîneur, Francisco Vela, directeur technique de l'AS Blainville, devra d’ailleurs laisser sa place au même moment, ou presque, où l’équipe reçoit la confirmation de la CONCACAF que les qualifications se tiendront au mois de mai. Sa conjointe est enceinte et il ne pourra se consacrer comme il le voulait au projet. Autre tuile simultanée : la CONCACAF annonce qu’elle n’a pas les fonds pour inviter les équipes aux qualifications, comme il est d’usage. La bourgeonnante sélection haïtienne se retrouve donc sans entraîneur et sans aucun soutien financier.

Une préparation en vitesse et en catimini

Alexandre Kénol décide alors de reprendre l’équipe… et de s’atteler à la remise en forme des joueurs.

On a tous des ventres de femmes enceintes de deux mois ou trois mois. Tous les joueurs, lance-t-il en riant.

« C'est là que l'aventure commence à savoir qu'est ce qu'on fait maintenant? Comment on peut s'entraîner? On est à trois mois des qualifications. On a trois mois pour se préparer pour une compétition mondiale. Et contrairement au Costa Rica, contrairement aux autres équipes que ça fait cinq ans qui travaillent sur le projet, nous, on commençait notre jour 1 le 20 janvier. Et on ne peut pas s'entraîner. »

— Une citation de  Alexandre Kénol, entraîneur de la sélection haïtienne de futsal
Gros plan de son visage

Alexandre Kénol

Photo : Adrien Douaire-Duchesne/Move Photography

En plein confinement, l’équipe essentiellement établie dans la région montréalaise combinera entraînements sur Zoom… et quelques petites anicroches aux règlements qui avaient alors cours contre la COVID-19 pour faire bonne figure au Guatemala.

On faisait des exercices par Zoom, on faisait des jumping jacks… J’allais dans mon garage parce que j’ai des voisins et je ne voulais pas qu’ils m’entendent sauter! Pour perdre du poids parce qu’on ne pouvait pas s’entraîner pendant la pandémie, relate Steve Jonathas.

On s'est entraîné en cachette parce que c'était impossible qu'on puisse se rendre là-bas sans aucune préparation pour se pratiquer. On faisait quatre entraînements par week-end, poursuit Alexandre Kénol.

Après avoir trouvé un gymnase privé dans la région, ils ont transformé les entraînements en tournage d'un documentaire sur leur aventure (voir la vidéo ci-bas), puisqu’il était possible de se réunir pour cette raison.

Pour nous, à l'interne, on croit que c'était un peu illégal, mais on devait le faire parce on va représenter la nation. Là-bas, ça ne va pas trop bien au pays. Ça va pas trop bien au niveau au niveau d’Haïti. Ici, on est aussi dans cette période de Black Lives Matter. On avait besoin de trouver des modèles noirs pour pouvoir montrer ce qu'on est capable de faire.

Autre effet pervers de la pandémie, les campagnes de financement sont difficiles, puisqu’il est impossible d’organiser une collecte de fonds en présentiel… pour un projet qui continue de faire davantage de sceptiques que de convaincus.

Malgré tout, l’équipe parviendra à amasser 33 000 $ en trois mois pour amener une délégation bénévole de 22 personnes au Guatemala. Une somme un peu juste pour faire voyager une équipe complète du Canada jusqu’en Amérique centrale, d'autant plus que certains ne peuvent pas prendre la route la plus directe, et donc la moins chère, en raison de leur statut d'immigrant. Ils ne peuvent passer par les États-Unis et devront faire escale au Panama.

On a dû se serrer les coudes. On se demandait qu'est ce qu'on allait manger là-bas? On a essayé de voir si on pouvait aller dans un autre hôtel, ou un Airbnb. Mais dans ce genre de compétition là, il fallait aller à l'hôtel de la compétition, dit Alexandre Kénol, tout en avouant avoir dû une fois de plus être créatif avec certaines règles pour éviter de débourser pour les trois tests PCR requis par la CONCACAF, qui auraient coûté 750 $ par personne au total.

En plus, certains joueurs n’avaient tout simplement pas de passeport ou étaient dans une situation précaire face à l’immigration qui aurait dû prendre, en raison des délais plus importants à ce moment en raison de la COVID-19, de 9 à 12 mois pour se régler, dont deux des cadres de l’équipe.

« On a eu la chance d'avoir un avocat en immigration qui, un peu comme nous, un bon fou, a dit : "OK, je sais pas comment je vais faire, mais on va le faire." »

— Une citation de  Alexandre Kénol, entraîneur de la sélection

Et il l’a fait.

Une fois l'équipe arrivée au Guatemala, le statut migratoire de certains membres de la délégation a fait réagir les douaniers du pays, qui ont décidé de les retenir à l’aéroport. Sans l’intervention du médecin de l’équipe, qui parlait couramment l’espagnol et qui comprenait la situation, l’équipe aurait pu être incomplète.

Quand il a entendu l’histoire que nos joueurs étaient restés à l'aéroport. Il était en pyjama. Il me dit : "Ils sont coincés?" C’est là qu’il s’habille, il met son veston. Il prend une enveloppe, une enveloppe d'argent. Et il s'en va. Les gardes veulent de l'argent, c'est sûr… Je ne sais pas qu'est-ce qui s'est dit, mais les joueurs ont pu rentrer dans le pays, conclut en une ellipse cet épisode, Alexandre Kénol.

Les voilà donc au Guatemala, prêts à prendre part aux qualifications.

Des joueurs prennent la pose dans un aéroport.

Une partie de la délégation haïtienne à son arrivée à l'aéroport au Guatemala

Photo : Adrien Douaire-Duchesne/Move Photography

La défaite des gros ventres

La sélection haïtienne avait deux matchs de groupe au Guatemala, le premier contre le même Costa Rica qui avait humilié l’équipe 13 ans plus tôt, et puis le deuxième… contre le Canada.

C’était David contre Goliath, résume l’entraîneur à propos du premier match face au futur gagnant des qualifications de la CONCACAF.

L’équipe se prend un 7-0, deux fois mieux que la sélection précédente, mais la gifle sur le terrain n’était qu’un soupçon de la déferlante qu’elle s’est prise sur les réseaux sociaux.

C'est une équipe de gros ventres. Aussi qu'on ne savait pas jouer au foot. "Gros cochon"… Désolé pour mon vocabulaire, mais honnêtement, les commentaires, pour le reste, étaient blessants. Ça nous a aussi motivés pour le match au Canada parce qu'on voulait montrer qu'on était capable de faire mes commentaires, détaille Steve Jonathas.

Le seul joueur de l’équipe qui résidait alors en Haïti – il a pu se rendre au Guatemala parce qu’il détenait un passeport américain… et il n’est pas retourné au pays après le tournoi – s’enferme dans sa chambre plutôt que de se joindre à ses coéquipiers après l’humiliation contre le Costa Rica. Derrière sa porte, il explique à ses coéquipiers qu’il est coutume pour les joueurs sur l’île qu’après les défaites, ils n’ont pas le droit de manger!

Mais, contre le Canada, les Grenadiers québécois savent qu’ils ont une chance.

On savait qu'on avait beaucoup de chance de gagner. Beaucoup, beaucoup, beaucoup de chances, insiste Bernick Monfort. Puis, on savait qu’ils seraient prêts physiquement, mais nous, on pouvait les prendre en contre-attaque.

D’ailleurs, c’est de cette façon que Bernick va marquer le premier but de la sélection haïtienne, qu’il raconte avec une fierté encore perceptible et en soulignant son premier but international.

À la mi-temps, Haïti mène même 2-0 contre le Canada et une victoire les place en excellente posture pour les tours éliminatoires.

« Je pense qu'on s'est laissé aller avec ça. On s'est laissé emporter. On pensait déjà que c'était fini pour le Canada. »

— Une citation de  Bernick Monfort, joueur de la sélection

Contre le Canada, on était à trois minutes de l'exploit, laisse tomber Alexandre Kénol.

L’équipe tient jusque dans les 10 dernières minutes, mais le manque de fraîcheur physique finit par les rattraper. Le Canada enfonce deux buts rapides aux 33e et 37e minutes. Puis, ne jouant pas de toute façon pour la nulle, Haïti s’en prend deux autres à la 40e. Le rêve du Mondial se termine de cette façon.

J’étais à genoux, mon cœur était brisé. J’avais ma main sur la tête et j’ai commencé à pleurer. On avait un couteau sur le cœur. On menait 2-0..., raconte Dylan Barthalémy.

C’était difficile à assimiler. Dylan a été le premier à pleurer… et le dernier à pleurer, se souvient Bernick Monfort. Il n’a même pas mangé tellement que ça faisait mal. Mais bon, c’était une très belle expérience.

Dans un gymnase, des joueurs sont sur le dos.

Les joueurs de la sélection haïtienne de futsal se laissent choir sur le sol du gymnase après leur défaite crève-coeur contre le Canada.

Photo : Adrien Douaire-Duchesne/Move Photography

« L'union fait la force. Ce n’est pas des blagues. Parce qu’honnêtement, je ne pense pas qu'avec un autre groupe d'hommes, réunis trois mois avant une compétition internationale, le plus haut standard de futsal pour une qualification de Coupe du monde, je ne pense pas que j'aurais pu réussir. »

— Une citation de  Alexandre Kénol

J'ai eu la chance d'avoir une cohorte de gars qui se sont dit : "C'est impossible, mais on le fait", poursuit l'entraîneur. On est allé chercher de l'argent, on a fait des activités, on a fait des marches. Tout le monde s’est donné. On a joué un peu sur la ligne pour pouvoir aller s'entraîner. C’était vraiment rocambolesque comme histoire, mais ce n’était pas terminé.

En effet, le retour au pays pour certains sera relativement aisé, mais pour d’autres, cauchemardesque. Deux des vétérans de l’équipe savaient qu’en quittant le Canada, en raison de leur statut face à l’immigration, il pouvait devenir compliqué pour eux de rentrer au pays. Mais puisqu’ils sont dans la trentaine, ils savaient que ce serait leur seule occasion de représenter leur pays d’origine.

Les gars qui devaient partir pour cinq jours sont restés six semaines au Guatemala, lâche enfin Alexandre Kénol après avoir longuement détaillé leurs diverses péripéties dans le petit pays d’Amérique centrale, dont celles avec un bon samaritain, qui souhaitait leur offrir un toit pour la semaine tout en les accueillant… avec un revolver (n'ayez crainte, ils sont retournés dormir à l’hôtel).

L’histoire improbable de la sélection haïtienne à la Coupe du monde de futsal s’arrête ici, mais l’équipe créée en quelques mois l’hiver dernier regarde déjà vers la prochaine présentation en 2024.

Reste à convaincre la fédération haïtienne de faire confiance à nouveau à cette équipe issue de la diaspora – ils en attendent d’ailleurs toujours des nouvelles – et d’avoir un appui financier plus substantiel cette fois pour pouvoir offrir une vraie préparation aux joueurs sans qu’ils aient besoin de sauter un entraînement pour organiser une collecte de fonds.

Ce qu'on voulait faire, c'était donner le sourire à notre communauté. Les Haïtiens d'ici et d'ailleurs. On sait qu'on a quand même rendu fiers les gens. En peu de temps, ces gars-là ont fait ça. Ce qui veut dire que, si on a une préparation adéquate, on est en mesure d'espérer, du moins la qualification.

Et quand est-ce qu’ils aimeraient obtenir l’aval de la fédération la prochaine fois?

Il faudrait l'avoir hier, dit en riant Alexandre Kénol.

Souhaitons-leur demain.

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