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Chronique

Devant les tribunaux, les hockeyeurs juniors ne lâchent pas le morceau

Gros plan de deux chandails de hockey.

Des chandails de la LCH

Photo : La Presse canadienne / Peter Power

Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

La Cour d’appel fédérale a été saisie la semaine dernière d’un dossier qui a fait couler beaucoup d’encre et qui risque toujours de bouleverser les structures commerciales du hockey professionnel nord-américain.

En septembre 2020, un hockeyeur qui venait de terminer son stage au sein de la Ligue junior de l’Ouest, Kobe Mohr, avait déposé une demande de recours collectif à la Cour fédérale.

Invoquant la Loi canadienne sur la concurrence, le plaignant soutenait que les trois principaux circuits professionnels nord-américains (la LNH, la LAH et l'ECHL), ainsi que les trois ligues canadiennes de hockey junior majeur (Ouest, Ontario et Québec) avaient illégalement conclu des arrangements empêchant les hockeyeurs âgés de 18 à 20 ans de pratiquer leur sport professionnellement. 

Ainsi, au nom de tous les joueurs ayant déjà signé un contrat avec une équipe junior majeur, le plaignant réclamait un dédommagement global de 825 millions de dollars.

Il s’agit d’une cause majeure. Collectivement, les ligues visées par cette demande de recours collectif brassent des milliards de dollars et, pour se défendre, elles sont individuellement représentées par les plus grands cabinets d’avocats au pays.

Toute l’affaire tourne autour d'une question centrale. Les arrangements actuels forcent de jeunes hockeyeurs d’élite à jouer pour 70 $ par semaine, tandis que dans un marché libre, ils pourraient monétiser leur talent. Ces arrangements unissant les ligues sont-ils raisonnables?

***

Les hockeyeurs membres des trois ligues de hockey junior majeur canadiennes sont généralement âgés de 16 à 20 ans. Cependant, l’âge minimal d’admissibilité au repêchage de la LNH est fixé à 18 ans.

Lorsqu'un joueur junior majeur est sélectionné au repêchage par une équipe de la LNH, il peut accéder à cette ligue dès l’âge de 18 ou 19 ans. Par contre, s’il ne décroche pas un poste dans la LNH, ce joueur est contraint de retourner jouer avec sa formation junior à 70 $ par semaine.

On ne lui permet pas d’accéder au deuxième niveau professionnel, celui de la Ligue américaine, avant l’âge de 20 ans. Par ailleurs, une clause contractuelle prévoit une amende pouvant aller jusqu’à 500 000 dollars si un joueur quitte son équipe junior pour aller jouer professionnellement en Europe avant l’âge de 20 ans. Encore là, on le menotte et le contraint à jouer pour 70 $ par semaine.

Dans sa demande de recours collectif, Kobe Mohr invoquait notamment la partie VI de la Loi sur la concurrence, dont certaines dispositions concernent directement le sport professionnel. L’article 48 (1), entre autres, qualifie d’acte criminel tout complot, coalition ou accord ayant pour effet de :

  • a) limiter déraisonnablement les possibilités qu’a une autre personne de participer, en tant que joueur ou concurrent, à un sport professionnel ou pour imposer des conditions déraisonnables à ces participants;
  • b) limiter déraisonnablement la possibilité qu’a une autre personne de négocier avec l’équipe ou le club de son choix dans une ligue de professionnels et, si l’accord est conclu, de jouer pour cette équipe ou ce club.

Clairement, pour quiconque comprend la structure du hockey nord-américain, la toile d’araignée que se sont tissée les ligues au fil des ans sert leurs intérêts et entre en contradiction avec les articles de la Loi sur la concurrence. En conséquence, une apparence de droit suffisamment forte semblait exister pour permettre aux procureurs de Kobe Mohr de plaider la cause des hockeyeurs juniors devant un tribunal.

D’autant plus qu’à cette étape de la procédure, un juge n’a pas à rendre de décision sur le fond. Il n’a qu’à prendre connaissance des arguments préliminaires qui lui sont présentés et à déterminer si les plaignants jouissent d’une apparence de droit. Le juge doit donc laisser la chance au coureur et interpréter les arguments présentés le plus généreusement possible.

***

Sauf qu’en mai dernier, ce n’est pas ce qui s’est produit.

Le juge en chef de la Cour fédérale, Paul Crampton, a décrété un arrêt des procédures. Il s’est rangé aux arguments des procureurs des ligues en décrétant qu’il était absolument clair et évident que la demande de Kobe Mohr n’avait aucune chance de succès, ajoutant même que certains éléments de sa démarche constituaient un abus de procédure! 

L’argument le plus étonnant du juge Crampton était que le droit canadien de la concurrence ne concerne pas les acheteurs de services. Pourtant, si les acheteurs d’un type de marchandise ou d’un type de service complotent ou se coalisent pour abaisser leur prix d’achat, ils ont bel et bien le pouvoir de dénaturer le marché et de tuer toute concurrence.

Les procureurs de Kobe Mohr ont donc porté cette décision devant la Cour d’appel fédérale la semaine dernière. Et ils appuient leur demande, entre autres, sur le fait que la décision du juge Crampton est sans précédent et ne s’appuie sur aucune jurisprudence.

Il sera donc fort intéressant de voir ce qu’en diront les juges de la Cour d’appel. Pour une cause de ce type, peu complexe, il ne faudrait pas se surprendre qu’une décision soit rendue avant les Fêtes. 

Il coule de source que la LNH et toutes les ligues concernées par cet appel vont se battre avec énormément d’ardeur pour ne pas avoir à se rendre à l’étape du procès. Parce que, au bout du compte, les joueurs jouissent bel et bien d’une apparence de droit. 

***

Dans un contexte plus large, il faut aussi se rappeler qu’en juin dernier, tout juste après l’étonnante décision du juge Crampton, le droit nord-américain s’est résolument déplacé à la faveur des jeunes athlètes.

Le 21 juin, dans une décision unanime, la Cour suprême des États-Unis a donné raison à un groupe d’athlètes-étudiants plaidant que la NCAA n’avait pas le droit de limiter les bénéfices financiers ou autres (liés à l’éducation) devant leur être consentis en échange de leur participation au sport universitaire. 

Dans une décision concurrente de celle de la majorité, le juge Brett Kavanaugh avait même écrit : La NCAA ne se situe pas au-dessus de la loi.

Et il avait ajouté que le modèle de la NCAA, qui prive les athlètes-étudiants de salaires alors qu’ils génèrent des milliards de revenus chaque année, serait carrément illégal dans à peu près n’importe quel autre secteur de l’industrie américaine.

Par ailleurs, grâce à de nouvelles dispositions législatives visant à contrer le monopole de la NCAA, les athlètes-étudiants américains sont libres, depuis quelques mois, de conclure des ententes commerciales afin de monétiser leur image.

Il s’agit d’une véritable révolution.

On ignore encore ce que donneront les procédures intentées par les hockeyeurs juniors canadiens.

Mais compte tenu du ton récemment adopté par la Cour suprême américaine, les dirigeants de la LNH, de la LAH, de l'ECHL et des ligues de hockey junior majeur (dont certaines équipes sont implantées au sud de la frontière) devraient remercier le ciel qu’aucun recours semblable à celui de Kobe Mohr n’ait encore été intenté aux États-Unis. 

Un bandeau annonçant le balado de Radio-Canada Sports : Tellement hockey

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