Pourquoi encore parler de la place des femmes dans le sport?

Annie Guglia en pleine action
Photo : facebook.com/anniegugliaskateboarder
Quand on m’a approchée pour écrire cette chronique dans le cadre de la Journée internationale des femmes, on m’a demandé mon avis sur la place des femmes dans le sport.
En cette semaine où l’on célèbre la Journée internationale des femmes (8 mars), Radio-Canada Sports donne la parole à des chroniqueuses invitées, qui partagent leurs réflexions sur la place des femmes dans le monde du sport.
Annie Guglia est une spécialiste de la planche à roulettes qui espère se qualifier pour les Jeux de Tokyo, où son sport sera du programme olympique pour la première fois.
La première chose qui m’ait passé par la tête, c’est qu’en 2021, on parle encore de la place des femmes
dans le sport. Selon moi, ça ne devrait plus être un sujet qui porte à discussion. Ça devrait être égal 50-50, sans aucun doute. Mais pourquoi ne l’est-ce pas?
Collectivement, on pense encore que le sport est plutôt pour les hommes. Pourquoi? Parce que c’est physiquement exigeant? Le sport, à la base, est un jeu. C’est pour avoir du plaisir, pour se surpasser, pour bâtir notre confiance en nous, pour apprendre à travailler en équipe ou encore pour aider à développer notre autonomie, notre concentration et plein d’autres belles qualités. Il n’y a vraiment pas de raison pour que ce soit considéré principalement une affaire d’hommes.
C’est tout simplement une construction sociale.
C’est dans nos têtes.
Et c’est ancré dans nos discours.
On dit aux jeunes garçons qu’ils doivent être forts, rapides, agiles. Quand le garçon court mal, on dit qu’il court comme une fille. Quand une fille est habile en sport, on dit qu’elle est aussi bonne qu’un garçon. Quand on parle de sport ou d’activité physique aux femmes, on dit que c’est pour perdre du poids ou pour avoir une petite taille et un beau derrière, tandis que pour les hommes, c’est pour devenir fort et musclé, pour avoir confiance en eux ou pour aller jouer entre boys
. Pourquoi ne va-t-on pas jouer entre girls
? Pourquoi ne pas utiliser l’activité physique pour être fortes et avoir confiance en nous?
C’est ce genre de choses là qui fait en sorte qu’en tant que jeunes filles, on intériorise toutes collectivement que le sport et l’activité physique, ce n’est pas pour nous, et qu’une fille est moins bonne qu’un garçon à la base. Pire encore, quand on se fait dire qu’on est bonne pour une fille
, on intériorise ça aussi et on se dit qu’on est assez bonnes
comme ça et on pousse moins fort pour se surpasser.
En skateboard spécifiquement, la différence de calibre entre les hommes et les femmes est très grande si on compare le meilleur homme et la meilleure femme en 2021. Il y a plusieurs raisons qui n’ont rien à voir avec la capacité physique des femmes à faire un kickflip backside noseblunt. Oui, il y a des différences physiologiques, mais les facteurs externes et sociétaux sont bien plus éloquents.
Quand j’ai commencé la planche à roulettes il y a environ 20 ans, il n’y avait que deux femmes professionnelles et, honnêtement, je ne suis même pas certaine qu’elles pouvaient subvenir à leurs besoins avec leur salaire. Les réseaux sociaux n’existaient pas encore, donc je devais attendre un an, parfois deux, avant de pouvoir avoir une nouvelle vidéo de mes idoles.
De plus, on se faisait régulièrement dire :Tu fais du skateboard? Mais c’est pour les gars, ça! Es-tu lesbienne? Tu fais ça juste pour te pogner un chum
ou, mon préféré, Come on "nom de gars", t’es ben poche, même elle est capable!
J’ai d’ailleurs moi-même cessé de poursuivre mon rêve de devenir une planchiste professionnelle à l’âge de 17 ans, quand j’avais le choix entre m’inscrire au cégep ou continuer de courir après une carrière imaginaire. À l’époque, les bourses pour les Coupes du monde en planche chez les femmes dépassaient rarement 1000 $, tandis que pour les hommes, elles étaient facilement de 10 000 $.
Je ne savais pas encore ce que je voulais faire dans la vie, mais je savais que je voulais faire plus que 1000 $ une fois de temps en temps. De plus, pendant longtemps, les grandes compétitions comme les X Games télédiffusaient seulement les hommes et faisaient s’élancer les femmes le dimanche matin, sans public ni caméra. Comme j’ai toujours eu une facilité à l’école, le choix a été triste, mais simple.
Dans les autres sports, j’ai l’impression que c’était la même chose : manque de visibilité, manque de soutien, difficile de trouver des modèles qui nous ressemblent dans les médias traditionnels. C’est de moins en moins vrai, heureusement. Mais j’ai lu récemment que seulement 5 % de l’espace médiatique était réservé aux femmes (Source: @fillesdesport).
C’est difficile de devenir ce qu’on ne peut pas voir, d’où l’importance d’offrir de la visibilité à une grande diversité d’athlètes. Et il faut arrêter : les femmes ne sont pas une diversité
. Ça devrait être au moins près du 50-50.
En ce moment, le futur brille pour les femmes dans le skate. Les jeunes ont maintenant accès à des infrastructures de qualité dans la plupart des grandes villes du monde, contrairement à mon époque. De plus, grâce aux réseaux sociaux, grâce à leurs parents qui ont grandi avec l’idée que la planche à roulettes n’est pas seulement pour les punks, les surfeurs en Californie et Avril Lavigne, et grâce à la société qui promeut de plus en plus les femmes dans le sport, les jeunes planchistes féminines repoussent déjà les limites de ma génération.
Au moment où l'on se parle, la deuxième femme dans le monde en skateboard street est une Brésilienne… de 11 ans. Elle est suivie de près par plusieurs Japonaises du même âge. La deuxième femme au Canada est une jeune Torontoise de 11 ans qui s’appelle Fay Ebert. Je vous invite à la suivre, elle est très impressionnante!
Je me fais parfois demander si ça me fait peur, ce à quoi je réponds : au contraire! Ce qui me ferait peur, ce serait de n’avoir aucune relève, car cela voudrait dire que malgré tous les efforts des femmes de ma génération, aucune jeune fille ne s’est sentie inspirée ou interpellée par nos histoires, nos accomplissements et nos efforts à dépasser les limites de celles qui étaient là avant nous.
Pour moi, l’une des choses les plus socialement utiles qu’une athlète professionnelle peut faire, c’est de partager sa passion et son histoire pour inspirer la future génération.
Si je peux vous laisser avec une dernière pensée : à toutes les jeunes filles et femmes qui lisent ceci, sachez que ce que vous faites est valide. Peu importe que vous souhaitiez vous rendre aux Jeux olympiques ou simplement pratiquer un sport pour le plaisir, vous avez le droit et votre niveau de performance ne détermine pas votre valeur dans le sport. Vous avez autant le droit que n’importe qui de vous amuser, de trouver une activité qui vous fait sentir forte, confiante et en santé.
Si vous avez une passion que vous souhaitez pousser à un autre niveau, ne vous arrêtez jamais parce qu’on tente de vous abaisser ou qu’on vous fait un commentaire désobligeant, au contraire. Sachez que, pour chaque personne qui vous met des bâtons dans les roues, au moins 50 se sentiront inspirées par ce que vous faites. Rappelez-vous qu’on ne met pas des bâtons dans les roues à quelqu’un qui n’avance pas. Un commentaire négatif est un signe que vous avancez.
Cela est votre signe pour commencer ce que vous avez toujours rêvé d'essayer, pour renouer avec une activité qui vous manque ou pour pousser plus fort ce que vous faites déjà pour votre bien-être et votre bonheur. Pour moi, c’est le skateboard, et vous?
Vous êtes valides.
Vous êtes fortes.
Vous êtes belles.
Bonne journée internationale des droits des femmes!
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