Intimidation, violence et abus : le difficile été du hockey junior canadien

Daniel Carcillo intente un recours collectif contre la LCH au nom des joueurs victimes de sévices.
Photo : Getty Images / Ronald Martinez
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
En ce début d’été 2020, les dénonciations et allégations d’intimidation et d’abus physiques, psychologiques et sexuels se succèdent au sein du hockey junior majeur canadien. Cette institution sportive est en train de connaître son moment #moiaussi. Et curieusement, les leaders du monde du hockey au Canada se font plutôt silencieux.
Au début de la semaine dernière, un ex-joueur des Rangers de Kitchener, Eric Guest, a publié sur Instagram une vidéo dans laquelle il racontait avoir été enfermé dans une salle de bain durant une fête d’équipe en 2016 et avoir été forcé de consommer de la cocaïne par un coéquipier plus âgé. Guest était alors âgé de 16 ans.
L’affaire a aussitôt déclenché une enquête policière.
Immédiatement après la publication de cette histoire, l’ex-joueur de la LNH Daniel Carcillo (qui a disputé son hockey junior dans la Ligue de l’Ontario) et l’ex-joueur de la Ligue de l’Ouest Garrett Taylor ont déposé une demande de recours collectif qui a semé la consternation à la grandeur du pays. Cette procédure judiciaire vise la Ligue junior de l’Ouest, la Ligue junior de l’Ontario et la LHJMQ. Jusqu’à présent, toutefois, aucun plaignant et aucune allégation ne vise des équipes du circuit junior majeur québécois.
Les allégations contenues dans cette demande de recours collectif sont tellement épouvantables que plusieurs médias ayant rapporté l’affaire ont jugé bon d’en prévenir leurs lecteurs au début de leurs articles.
La Ligue canadienne de hockey a dit vendredi être profondément troublée
par les allégations d’abus contenues dans la demande de recours collectif portée par Daniel Carcillo et a mis sur pied un comité spécial pour faire la lumière dans ce dossier.
Source : La Presse canadienne
Dans les rangs juniors, Daniel Carcillo a disputé sa saison recrue à Sarnia en 2002-2003. Garrett Taylor a joué la sienne à Lethbridge en 2008-2009. Dans les deux cas, les plaignants soutiennent que des dirigeants de leur équipe étaient au courant ou participaient aux abus dont ils étaient victimes.
Carcillo allègue notamment que les huit recrues de Sarnia ont été forcées de s’asseoir sur le plancher de la douche du vestiaire de l’équipe et que les vétérans urinaient et crachaient sur eux.
L’ex-joueur des Blackhawks et des Flyers raconte aussi, entre autres, que les vétérans battaient les recrues avec un bâton de gardien dont on avait coupé le manche et que les blessures infligées à ces derniers étaient si douloureuses qu’ils ne pouvaient s’asseoir ou assister à leurs cours.
Carcillo soutient aussi (il avait déjà publiquement dénoncé cette situation il y a quelques années) que durant les voyages en autobus, les huit recrues se faisaient déshabiller pour ensuite être forcées de s’empiler dans la cabine de toilette. On enrubannait ensuite leurs vêtements et on leur interdisait de sortir tant qu’ils n’avaient pas réussi à s’habiller. Pendant ce temps, les vétérans leur lançaient de l’urine, notamment, à travers les fentes d’aération.
Les vétérans du Sting de Sarnia, semble-t-il, aimaient aussi forcer les recrues à monter à bord d’un panier à linge sale (sur roulettes) qu’utilisait le préposé à l’équipement. Ils précipitaient ensuite le panier à pleine vitesse dans un mur, laissant parfois leurs jeunes coéquipiers inconscients.
Toujours selon Carcillo, des vétérans organisaient aussi des fêtes privées qui se transformaient en orgies durant lesquelles les recrues étaient obligées de se livrer à des actes sexuels.
L’entraîneur de l’équipe de Sarnia à cette époque, Jeff Perry, entraîne encore des équipes au Canada malgré le fait que son parcours ait été marqué de plusieurs plaintes d’abus verbal et psychologique.
Ce vendredi, le témoignage de Carcillo a été corroboré par son ex-coéquipier Dan Fritsche, qui était aussi une recrue à Sarnia en 2002-2003. Fritsche a aussi joué dans la LNH, notamment avec les Blue Jackets de Columbus.
Tout ce que j’ai lu était véridique. J’étais au milieu de cette atmosphère toxique. J’ai dû traverser toute cette merde à laquelle on soumettait les recrues, toutes ces choses dégoûtantes qu’on nous forçait à faire. C’était carrément horrible, et des gens qui auraient pu mettre fin à ces abus n’ont rien fait
, a déclaré Fritsche dans une entrevue accordée au site Athlétique.
Fritsche croyait avoir enseveli ce mauvais épisode de sa vie quelque part au fond de son subconscient. Mais les dénonciations de Carcillo et de Garrett Taylor ont ravivé son indignation. Et il soutient qu’il ajoutera probablement son nom à la liste des plaignants de la demande de recours collectif.
Nous avions 16-17 ans. J’y repense aujourd’hui et ça me rend malade. Ça vous donne le goût de tuer quelqu’un.
Du côté des Hurricanes de Lethbridge en 2008-2009, Garrett Taylor raconte avoir vécu une expérience différente, mais tout aussi dévalorisante.
Il allègue que son entraîneur Michael Dyck lui demandait de se battre avec les autres joueurs de 16-17 ans de l’équipe durant les entraînements afin de relever le niveau d’intensité. Ces demandes survenaient régulièrement selon Taylor, qui dit avoir subi une commotion cérébrale durant l’une de ces bagarres, et que ses coéquipiers ont aussi subi diverses blessures.
Dyck, qui est désormais l’entraîneur des Giants de Vancouver et de l’équipe canadienne des moins de 18 ans, aurait aussi donné sa carte de crédit aux vétérans pour acheter de l’alcool et organiser une fête d’équipe. Durant cette fête, les recrues ont dû s’habiller comme des femmes et boire à l’excès, certains jusqu’à en perdre conscience.
Des insultes racistes, sexistes et homophobes auraient été quotidiennement lancées à l’endroit des recrues par les autres membres de l’équipe.
Par ailleurs, au début de la saison 2009-2010 (Michael Dyck n’était plus l’entraîneur à ce moment), alors que l’autobus des Hurricanes était plein et prêt à partir pour disputer un match à l’étranger, Taylor raconte s’être fait chasser du bus devant tous ses coéquipiers. De façon humiliante, on lui aurait annoncé qu’il était rétrogradé et qu’il devait récupérer ses affaires et son équipement et se rapporter à une équipe junior A.
On l’aurait ensuite laissé seul derrière, sans argent et sans autre information. Il était âgé de 17 ans. Ses parents ont plus tard été prévenus par un parent d’un autre joueur de l’équipe.
En 2018, la mère de Garrett Taylor, Kim Taylor, avait témoigné qu'après cet épisode, son fils s’était mis à faire des crises de panique et à manifester des symptômes de trouble obsessionnel compulsif. Au point de devoir être placé en institution pendant 72 jours.
À ce jour, Garrett Taylor souffrirait encore de maladie mentale.
Dans le passé, tant la Ligue junior de l’Ontario que la Ligue junior de l’Ouest avaient annoncé le déclenchement d’enquêtes pour faire la lumière sur ces allégations de Carcillo et de Taylor, mais elles avaient essentiellement été balayées sous le tapis et personne n’en avait été tenu responsable.
Kim Taylor a raconté au confrère Ken Campbell, du magazine The Hockey News, qu’elle n’avait jamais vu le rapport commandé par la Ligue de l’Ouest et qu’aucun dirigeant de la ligue n’avait tenté de communiquer avec elle pour faire un suivi.
Ils ont toutefois placé un commentaire sur le site Internet de la ligue affirmant que toutes les allégations, sauf une, n’étaient pas fondées. Ils nous ont donc tous traités de menteurs
, a dit Mme Taylor.
Maintenant, l’affaire ne cesse de se corser. Jeudi, l’avocat torontois James Sayce, qui a préparé la demande de recours collectif, a indiqué à The Hockey News qu’il avait reçu beaucoup
d’appels de joueurs désireux de révéler les abus dont ils ont été victimes et d’ajouter leur nom à la liste des plaignants.
Toujours jeudi, un ancien joueur de la Ligue de l’Ouest a déposé une plainte officielle auprès de la ligue afin de détailler les abus physiques et sexuels dont il aurait été victime durant son année recrue. Cet ex-joueur aurait carrément été battu et humilié à plusieurs reprises par des vétérans de son équipe, jusqu’à ce que ses deux principaux tortionnaires finissent par être échangés.
Cet ancien joueur, qui a requis l’anonymat, a partagé sa plainte avec le réseau TSN, qui soutient que plusieurs des présumés agresseurs dénoncés dans cette plainte occupent aujourd’hui des postes importants dans le monde du hockey.
La Ligue canadienne de hockey (LCH) sort à peine d’un recours collectif dont le dénouement a été réglé à l’amiable, mais dont la facture s’est tout de même élevée à 30 millions de dollars.
Or, tout cela n’est rien en comparaison avec la catastrophe qui s’annonce.
Les dommages que le hockey junior pourrait subir si cette demande de recours collectif devait être approuvée et débattue dans une cour pourraient s’avérer immenses, tant au chapitre de l’image que d’un point de vue financier.
Par ailleurs, la longue période durant laquelle ces cas sont survenus, ainsi que leur nombre (l’avocat Sayce affirme recevoir de nombreux appels) laisse croire qu’un sérieux problème de culture existe au sein du hockey junior quant au traitement réservé aux plus jeunes joueurs.
La preuve en étant que les actes se répètent à travers le temps (les histoires de Guest, de Carcillo et de Taylor s’étalent sur une quinzaine d’années) même si les acteurs et les lieux sont différents. Il ne s’agit certainement pas de situations que vivent toutes les équipes, mais la culture du hockey junior et le manque d’information et/ou d’éducation offert aux joueurs et aux dirigeants d’équipes semblent faire en sorte que des cas d’abus continuent de surgir dans le temps.
Alors que plusieurs de ses entraîneurs étaient aux prises avec des allégations de racisme et de violence physique et psychologique l’hiver dernier, la LNH a agi très promptement.
Gary Bettman a notamment décrété le début d’une politique de tolérance zéro envers les comportements abusifs. Il a aussi été annoncé que les entraîneurs et dirigeants d’équipes allaient dorénavant devoir se soumettre, chaque année, à un programme d’éducation sur la diversité, l’inclusion, ainsi que les façons de combattre l’intimidation et le harcèlement.
Si un procès finit par avoir lieu au hockey junior, la question qui coûtera le plus cher aux dirigeants des ligues sera probablement la suivante : Vous avez reçu des plaintes et déclenché des enquêtes. Mais au bout du compte, qu’avez-vous fait concrètement pour que des gestes aussi répugnants cessent de se répéter?