Leonard-Duran : les 40 ans d'une soirée historique de boxe au stade olympique

Roberto Duran et Sugar Ray Leonard s'échangent des coups au centre du ring.
Photo : Bettmann archive / Bettmann
Il y a 40 ans, le stade olympique de Montréal accueillait ce qui est encore considéré par ceux qui l’ont vécu de près comme le plus grand événement de l’histoire de la boxe au Canada.
Cela se passait quatre ans après les Jeux olympiques. L’une des grandes vedettes de cette inoubliable quinzaine a été l’Américain Sugar Ray Leonard, sacré champion olympique des poids super-légers. Devenu professionnel, il avait choisi d’y revenir pour défendre son titre des mi-moyens du World Boxing Council (WBC).
Un mois plus tôt, un dénommé Lévesque, René de son prénom, s’était fait fort de promouvoir les aspirations du Québec comme nation avec la tenue d'un référendum. Le combat s’était soldé avec un résultat à sens unique, 60 % des juges n'avaient pas vu les choses comme lui.
Le 20 juin 1980, un autre Lévesque, Régis celui-là, allait se retrouver aux premières loges pour une soirée où des Québécois allaient frayer, sur une même carte, avec deux des plus gros canons de la boxe mondiale.
Même si les grands patrons de l’événement sont les Américains Bob Arum et Don King, on peut dire que la promotion locale avait été l’affaire de deux hommes : Jean-Yves Perron, mandaté par la Régie des Installations olympiques (RIO) et Régis Lévesque.
La RIO cherchait des façons d'occuper et d'utiliser le stade que plusieurs qualifiaient d'éléphant blanc. Elle avait donc été à la tête de cette soirée qui reste, à ce jour, son unique aventure dans la promotion de la boxe.
Le journaliste Pierre Gobeil [alors directeur des Sports au quotidien La Presse, NDLR] avait mené campagne pour que Montréal accueille Leonard contre Duran. Perron avait fait appel à moi et on a travaillé fort durant trois mois pour préparer ça
, se souvient Régis Lévesque.
« C’était très différent pour moi parce que j’avais l’habitude de travailler tout seul. Je pouvais vous dire combien de monde on pourrait attirer rien qu’en nommant les deux boxeurs de la finale. Cette fois-là, j'ai pas vraiment eu mon mot à dire parce que c’était un événement international. »
Lévesque raconte que les décisions liées à la promotion de la soirée se prenaient souvent à quatre ou cinq dans un bureau, sans beaucoup d’obstination. Il affirme que tout le monde s’attendait à une foule de 40 000 spectateurs. Ils avaient été 46 317 à franchir les tourniquets.
Outre la finale, la carte comportait quatre autres duels : le Canadien d'origine jamaïcaine Trevor Berbick et l'Américain John Tate chez les lourds, le Torontois Clyde Gray et Roger Leonard, le frère aîné de Sugar Ray, chez les super-mi-moyens, Fernand Marcotte et Eddie Melo, dans la catégorie des poids moyens, ainsi que les poids légers Gaëtan Hart et Cleveland Denny en ouverture d'une soirée tenue sous une pluie diluvienne.
À lire aussi :
Que d'eau!
Le stade attendait toujours que l’on daigne lui donner son toit. Pendant que la fameuse toile de kevlar dormait dans les garages au sous-sol, la Régie des installations olympiques (RIO) débattait sur la nécessité et sur la manière de compléter, ou non, l’œuvre selon les plans de l’architecte Roger Taillibert.
Ce n’est qu’en avril 1987, soit près de 11 ans après les Jeux, que le stade recevra enfin son couvre-chef.
Toujours est-il qu’au soir du 20 juin 1980, les centaines de détenteurs des places les plus chères aux abords du ring, dont le prix au guichet atteignait les 1000 $, ont passé la soirée recouverts de chics sacs de poubelles bleus en guise d’imperméables.
Y mouillait à siaux! Y'avait une toile carrée suspendue au-dessus du ring, monté entre le monticule et le deuxième but du terrain de baseball, pour garder les boxeurs au sec. Mais c’est tout. Ceux qui étaient au niveau du terrain ont fini la soirée trempés comme des lavettes
, raconte Lévesque.
« Il y avait des panneaux de bois partout autour du ring. Le plancher était détrempé. J’étais dans la première rangée avec Benoît Côté, nos femmes et mon fils Daniel. De temps en temps, j’entendais crier pas loin de nous autres. On s'tournait pis y'avait une femme de New York ou d’ailleurs qui venait de glisser sur le derrière dans sa belle robe à 5000 ou 10 000 piasses! »
Inoubliable
Au-delà de cette anecdote qui le fait encore rigoler 40 ans plus tard, Régis Lévesque conserve une grande fierté d’avoir participé à cette soirée historique.
Des reporters et des journalistes étaient venus par centaines de partout dans le monde. Le WBC avait profité de la semaine qui avait précédé le combat pour tenir son congrès à Montréal.
Tout au long de la semaine, des séances d’entraînement publiques avaient eu lieu au Centre sportif Paul-Sauvé. Entre 1500 et 2000 amateurs par jour s’y rendaient pour épier les moindres faits et gestes de Leonard et de Duran.
L’une de ses séances avait été transportée au Complexe Desjardins, où près de 4000 curieux avaient étiré leur heure de dîner pour goûter un peu à cette atmosphère qui enveloppait la métropole.
Comme il n’était pas l’organisateur principal, Régis Lévesque n’avait pas caché le fait que Roberto Duran était son favori. Il croyait vraiment que le Panaméen aux « mains de pierre » allait l’emporter.
Oui, j’avais un préféré. Mais c’était rare de croiser deux personnes en ville qui étaient du même bord. C’était dur de gager 100 piasses sur ce combat-là tellement c’était serré
, souligne celui qui a passé beaucoup de ses temps libres à parier sur le résultat des courses sous harnais à l’hippodrome Blue Bonnets.
« Beaucoup pensaient que Leonard gagnerait. Duran a un peu fait pencher la balance de son côté en arrivant à l’aéroport. Devant les journalistes, il avait dit en français : "Bonjour Montréal et Bonjour Guy Émond." »
Chroniqueur très suivi par les lecteurs du Journal de Montréal, Émond n’avait cessé de vanter les mérites de Duran au cours des mois précédant le combat. Celui que tout le monde appelait Ti-Guy avait fait de même pour monter Eddie Melo en épingle.
Il est vrai que les opinions étaient très partagées entre Leonard et Duran qui avait déjà détenu des titres mondiaux dans trois catégories avant cet affrontement.
Le soir venu, c’est à une véritable guerre de tranchées à laquelle les amateurs ont été conviés. Leonard usait de sa vitesse et de son agilité pendant que Duran répliquait avec sa vaste expérience et sa hargne légendaire.
En fin de compte, Duran a ajouté un chapitre à son épopée avec une décision unanime des juges (146-144, 145-144, 148-147) au bout de 15 rounds d’enfer.
C’était en effet la durée des combats de championnat du monde à cette époque.
La couleur locale
Dans l’esprit de plusieurs, l’ambiance observée au stade olympique était aussi attribuable à l’attachement d’une grande partie des spectateurs pour les boxeurs qu’ils avaient appris à aimer en les suivant sur la scène locale.
Fernand Marcotte avait 31 ans en ce mois de juin 1980 quand il s’est mesuré à Eddie Melo, qui n’avait pas encore 20 ans, pour la troisième et dernière fois.
Ce combat devait faire un maître une fois pour toutes. Melo et Marcotte s’étaient partagé les honneurs des deux premiers duels tenus en octobre 1978 et en juin 1979.
Pour la petite histoire, Régis Lévesque avait fait grand bruit à l’été 1978. Il indiquait à qui voulait l’entendre que le combat contre Marcotte aurait lieu à l’Auditorium de Verdun parce que Melo n’avait que 17 ans et que la Commission athlétique de Montréal ne sanctionnerait pas un combat avec un mineur sur son territoire.
Or, vérification faite auprès de Jessica, la fille de Melo, son père, décédé dans des circonstances dramatiques en 2001, était né le 31 juillet 1960. Eddie Melo avait donc déjà 18 ans au moment du premier choc contre Marcotte, le 31 octobre 1978.
Rien n’aurait donc pu empêcher la présentation de ce combat à Montréal. Avec tout le battage médiatique que cela avait entraîné, plus de 4000 spectateurs s’étaient entassés dans le vieil amphithéâtre de Verdun.
Marcotte se souvient
Quinze mois avant de monter dans le ring contre Melo pour la dernière fois, Marcotte s’était frotté à Sugar Ray Leonard.
« Je garde le souvenir d’une super soirée. C’était un très gros événement. J’étais jeune et je ressentais l’immense engouement des amateurs. »
Complètement dans sa bulle dans les heures avant le combat, Marcotte dit ne pas avoir gardé de souvenirs de sa marche vers le ring ou du bruit de la foule. Mais il n’a pas oublié le résultat nul décrété par les juges, une décision qui lui apparaît injuste même 40 ans plus tard.
Il souligne toutefois que la bourse de 54 000 $ touchée pour ce duel a été l’une des plus importantes de sa carrière.
Quant à Melo, il n'a plus été le même par la suite. Il n’a gagné que 5 de ses 11 combats suivants (5-5-1) avant de rentrer chez lui en Ontario, où il a terminé sa carrière. Il a livré ses deux derniers affrontements en 1986 au Portugal, pays où il avait vu le jour.
Eduardo Manuel de Melo est mort sous les balles d’un tireur, à sa sortie d’un bar de Mississauga, le 6 avril 2001. Il avait 40 ans.
La mort dans l’âme
Dans l’esprit de plusieurs, la soirée du 20 juin 1980 est aussi synonyme de drame.
Cleveland Denny, un Guyanais de 24 ans et résident de Montréal, s’était affaissé à la toute fin du duel qui l’avait opposé à Gaëtan Hart, qui n’avait alors que 26 ans.
Pour l’anecdote, les deux boxeurs partageaient la même date de naissance à deux ans d’écart, soit le 9 novembre.
Mis hors de combat, Denny n’a jamais repris connaissance. Il est mort 16 jours plus tard à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont.
On s’en doute, il ne s’est pas passé beaucoup de journées depuis sans que quelqu’un ne parle à Hart de ce triste incident.
D'autant plus que six semaines auparavant, il avait mis un terme à la carrière de Ralph Racine aux prises avec des séquelles neurologiques. N'eût été l'intervention de l'arbitre Guy Jutras, l'issue se serait peut-être avérée plus dramatique.
Malgré tout, le boxeur originaire de Buckingham, en Outaouais, garde aussi en mémoire l’ampleur de cette soirée, l’une des deux plus grandes de sa carrière de boxeur.
« Le fait de me battre à Montréal, au stade olympique, devant une énorme foule et sur la même carte que Leonard et Duran, mes idoles de jeunesse, reste le plus gros moment de ma carrière. »
D’un naturel calme avant ses combats et apprécié des amateurs de boxe montréalais, Hart a pleinement savouré le moment. Il avait touché 20 000 $ pour ce combat, l'une des deux plus grosses bourses de sa carrière.
En remportant son combat, il s’est retrouvé classé parmi les 10 meilleurs poids légers (135 lb) du monde. Sa performance et le dénouement du combat face à Denny avaient retenu l’attention des promoteurs américains.
L’automne suivant, j’étais censé affronter Hilmer Kenty pour le titre WBA. Il était présent au stade olympique ce soir-là. Mais quand il a vu la fin du combat, il n’était plus trop intéressé à se battre avec moi
, a expliqué Hart.
C’est ainsi qu’il a ensuite répondu à l’offre de se mesurer à Aaron Pryor, pour tenter de mettre la main sur la ceinture des super-légers (140 lb) de la WBA. En 1980, on ne dit pas non à un chèque de paie de 35 000 dollars US [42 000 $ CA de l'époque, NDLR].
Invaincu en 26 combats, et avec 24 K.-O., avant de se retrouver face à Hart, en novembre à Cincinnati, Pryor terrassait tous ses adversaires dans les premiers rounds à cette époque-là. Hart a quand même tenu jusqu’au sixième.
Celui qui a été immortalisé dans le film Le Steak (1992) du cinéaste Pierre Falardeau demeure réaliste, conscient qu'il n'était pas dans la même ligue que Prior.
J'ai donné tout ce que j'avais. Je suis convaincu que sans la soirée du 20 juin 1980, je n’aurais jamais obtenu la chance de me battre pour un titre mondial
, a-t-il conclu.