Un pas de recul pour les événements de course à pied

Des participants à l'Ultra Trail Gaspesia 100, à Percé
Photo : Événements Gaspesia
Si la crise de la COVID-19 incite de plus en plus de gens à sillonner au pas de course les rues du voisinage, on ne compte plus les événements annulés ou reportés pour les adeptes. Au Québec seulement, une soixantaine d’épreuves sont touchées. Des pertes pour les organisateurs de la province qu’on estime à un million de dollars, selon le directeur général de la Fédération québécoise d’athlétisme, Marc Desjardins.
Vendredi midi, sur sa page Facebook, le directeur des courses d’Événements Gaspesia, Jean-François Tapp, annonçait la plus récente annulation : l’Ultra Trail Gaspesia 100, une course en sentiers de trois jours qui devait avoir lieu à Percé, du 19 au 21 juin. L’événement phare de l’organisation attendait 1000 participants.
Pour M. Tapp, il n’était pas question de reporter l’événement à l’automne, une saison déjà surchargée de courses à pied. Un report aurait été tout à fait irrespectueux
pour les autres organisateurs, selon lui.
C'est sûr que ça crée une hécatombe, confie-t-il. De ne pas pouvoir tenir l'Ultra Trail Gaspesia 100, ça fait fondre nos revenus annuels de 70 %. C'est notre plus gros événement.
Les 500 personnes déjà inscrites pourront maintenir leur inscription pour l’an prochain ou encore pour 2022. Les participants pourraient aussi transférer leur inscription dans l’une des différentes activités qu’offre Événements Gaspesia tout au long de l’année.
Mais Jean-François Tapp l’avoue : la décision de reporter les inscriptions n'a pas été instantanée.
On y a réfléchi beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup, dit-il. Parce que lorsqu’on calcule, on le voit bien que ça nous met dans le pétrin pour l'année prochaine. Mais étant donné la taille de notre organisation, on peut se le permettre. On se dit : "Tant pis, on recule."
La flexibilité n’est pas permise à toutes les organisations. Comme le marathon d’Ottawa et la fin de semaine des courses, le plus gros événement du genre au Canada, qu’on a dû annuler cette semaine.
Dans ce cas-ci, le marathon ne rembourse pas les frais d'inscription. L’organisme offre plutôt un rabais de 50 % pour l’an prochain. Ce qui a provoqué un tollé auprès de participants scandalisés.
Ce n’était pas autant un choix qu'une réalité, explique la porte-parole de l'événement, Annie Boucher. Si on remboursait les 18 000 participants, les organisateurs craignaient qu'on ne soit pas capables de survivre à la perte et de pouvoir présenter un événement en 2021. Ce ne serait juste pas viable. Nous sommes un organisme à but non lucratif. Donc, il n'y a pas de marge de manoeuvre. Ce n'est pas comme le marathon de Boston.
Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’une grosse portion de l'argent provenant des inscriptions est déjà partie.
Le marathon d’Ottawa, tenu à la fin mai, avait déjà dépensé 75 % des recettes anticipées, poursuit Annie Boucher.
L'argent qui a été déboursé pour les 18 000 inscriptions a été dépensé à l’avance en s'attendant à ce qu'on ait un autre 15 000 inscriptions qui arriveraient dans les derniers mois. Donc, on a acheté les 30 000 médailles. Il y a aussi des campagnes de marketing, les publicités. Dès le mois de septembre, on a commencé à faire de la publicité pour les inscriptions.
Et c’est le même processus qui s’applique à tous les événements de course. Même les plus petits comme en Gaspésie, que ce soit pour les permis de courses, les droits de passage, les locations d’autocars. Le directeur de l’Ultra Trail Gaspesia 100 avait déjà dépensé les deux tiers des 50 000 $ reçus.
« Quand on s'inscrit à une course, on a l'impression qu'on consomme l'événement aussitôt que le chrono décolle, puis que ça se termine quand on finit de manger le lunch et de boire la petite bière après avec la médaille au cou. Les gens, dans leur esprit, c’est ce qu'ils paient. Ce n'est pas faux. Mais pour être en mesure de produire ça, il y a beaucoup de travail qui doit se faire à l'avance, qui implique des sommes d'argent. Puis les participants ont tendance à l'oublier. Je comprends leur frustration de ne même pas pouvoir profiter d'un report. »
Jean-François Tapp comprend aussi les contraintes de la grosse machine du marathon d’Ottawa.
La série Défi Entreprises, qui a dû annuler ses cinq événements prévus fin mai et début juin au Québec, se retrouve aussi dans le même bateau.
Même si dans les faits, seulement 5000 personnes se sont inscrites, on attendait 20 000 participants aux événements. Les 20 000 chandails sont donc déjà achetés.
Et comme pour Ottawa, il y a une permanence. Quatre salariés y travaillaient jusqu’ici à temps plein.
Évidemment, c’est pire pour les événements qui ont une permanence, note Daniel Riou, fondateur de Défi Entreprises. On a des locaux à payer, on a des gens à payer. On fait des investissements en termes de publicité qui sont répartis sur les neuf mois. Les inscriptions arrivent généralement dans les trois derniers mois. Tout l'argent qui avait à être investi l'est déjà. Les revenus ne sont pas là.
Si Défi Entreprises offre un remboursement aux participants, la plupart d'entre eux ont préféré demeurer inscrits pour l’an prochain.
L’organisation, plus petite que celle d’Ottawa, a pu éviter quelques coûts, comme des dépôts pour les frais de chronométrage. Cela amortit la chute.
En péril? Ça dépend, répond Daniel Riou.
Si on ne peut pas tenir d'événement avant septembre 2021, on va être dans le trouble. Mais je pense qu'on ne sera pas tout seul.
En attendant, Défi Entreprises lance un événement virtuel ouvert à tous et gratuit. Si ça ne règle pas le problème de revenus, c'est une façon de faire vivre la marque dans les réseaux sociaux.
Le marathon d’Ottawa propose aussi un événement virtuel pour ses participants inscrits qui recevront leur chandail et médaille par la poste.
Pour sa part, Événements Gaspesia annonce la création de deux événements hivernaux pour compenser les pertes encourues et dynamiser le tourisme à Percé, qui vient de perdre 500 000 $ en retombées économiques.
Une chose est certaine : fini les pigistes. L’Ultra Trail Gaspesia 100 de 2021 se déroulera avec la passion de bénévoles.
Étonnamment, aucune de ces organisations ne craint la perte des partenaires financiers. Le marathon d’Ottawa affirme n’avoir reçu que des messages de solidarité de la part des partenaires.
Ils nous assurent qu’ils seront avec nous en 2021
, indique sa porte-parole.
Quant à l’afflux des participants l’an prochain, deux hypothèses s’affrontent : la crainte des foules ou, au contraire, le ras-le-bol du confinement.
Bien malin celui ou celle qui pourra le prédire. Chose certaine, plusieurs ont déjà plus de kilomètres que prévu au compteur en cette ère de confinement.