Éducation physique au primaire : les écoles peinent à atteindre les 2 h/semaine

Des jeunes de l'école Barthélémy pendant un cours d'éducation physique
Photo : Radio-Canada / Etienne Bruyère
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Une étude de l'Université de Sherbrooke en 2013 indiquait que 69 % des écoles primaires du Québec offraient deux heures d'éducation physique par semaine, comme recommandé par le ministère de l'Éducation. Où en sommes-nous maintenant? C'est bien difficile de le savoir, car il n'existe aucune nouvelle étude ni de données à cet effet.
En 2012, l'école Notre-Dame-de-Grâce, de Montréal, n'offrait que 55 minutes d'éducation physique par semaine à la plupart de ses élèves. Loin des deux heures recommandées par le ministère de l'Éducation.
Sept ans plus tard, malgré un nouveau gymnase, l’établissement n’atteint toujours pas cet objectif parce que 14 nouvelles classes ont aussi été ajoutées.

Le nouveau gymnase de l'école de Notre-Dame-de Grâce
Photo : Radio-Canada / Etienne Bruyère
« Je ne pourrai pas offrir deux heures d'éducation physique par semaine à l'ensemble de l'école, déplore la directrice Johanne Carmichael. On est une très grosse école. Mes élèves de deuxième cycle (3e et 4e années) ont seulement une heure parce que sinon je manque de plages horaires. »
À l'école Saint-Barthélemy de Montréal, certains élèves doivent marcher vers un autre pavillon pour leurs cours d'éducation physique. En théorie, les jeunes du pavillon des Érables en font 1 h 30 min par semaine. Mais pour ceux qui doivent se déplacer, ça glisse à 1 h 10 min.
La surpopulation des écoles est un problème aigu, constate la directrice Marie-Josée Normandin.
À la CSDM, on est maintenant en croissance. On a 25 plages horaires. Dès la minute qu'on a plus de 25 groupes, on n'a pas d'espace.
Ce n'est pas tout, l'école Saint-Barthélemy doit aussi jumeler des groupes et enseigner en tandem.
C'est la même contrainte à l'école Préville de Saint-Lambert. Deux groupes, une cinquantaine d'élèves, se retrouvent donc régulièrement dans le même gymnase. L'espace et le bruit peuvent alors devenir difficiles à gérer.
« On est habitué, mais j'ai des bouchons, admet Nancy Brown, professeure d’éducation physique dans cet établissement. Quand il y a beaucoup trop de bruit, j'ai fait faire des bouchons moulés que j'utilise à l'occasion. »
Malgré tout, cette année, l'école Préville a réussi à majorer son offre à deux heures d'éducation physique pour tous ses élèves. Mais là non plus, rien n’a été facile. L'opposition était forte.
Il revient à chaque école de répartir le temps alloué aux spécialités comme l'art, l'anglais et l'éducation physique. Si on ajoute du temps pour une matière, une autre écope.

Un cours d'éducation physique donné simultanément à deux groupes à l'école Préville
Photo : Radio-Canada / Etienne Bruyère
Le sujet est tellement sensible pour les parents de Préville qu'il a fallu deux avocates de la commission scolaire le soir du vote du conseil d'établissement.
« Je ne pense pas qu'on voit ça souvent dans toutes les écoles chaque année, effectivement, mais je pense que c'est judicieux de savoir faire appel à des gens qui vont s'assurer des balises quand on entre dans un débat qui peut devenir rapidement émotif », dit la directrice Karine Labelle.
Historiquement et culturellement, l’anglais est désiré par les parents de l’école Préville. Reste que Karine Labelle préférerait que les deux heures d'éducation physique deviennent obligatoires et non simplement recommandées. Elle croit fermement aux bienfaits de l'enseignement de l'éducation physique. À Préville, les enfants réclamaient deux heures depuis longtemps.
Ils ne se souviennent plus du tout, l'autre semaine d'après, ce qu'on a fait. Pour qu'il y ait une bonne progression au niveau de l'engagement moteur, ça prend vraiment deux heures.
Les études le démontrent, l'éducation physique aide non seulement à développer les habiletés motrices, mais aussi à l'apprentissage de l'écriture, de la lecture et même des mathématiques.
Des recommandations, en vain
En octobre 2012, la première ministre du Québec, dans son discours inaugural, proposait ceci: « Pourquoi ne pas nous donner l'objectif que d'ici, la population québécoise devienne une des nations les plus en forme du monde? »
De nombreux experts, réunis par la Coalition québécoise sur la problématique du poids, avaient alors répondu. On avait recommandé l'année suivante de rendre obligatoire un temps minimal alloué aux cours d'éducation physique. La même coalition est revenue à la charge en 2017. Mais en vain.
Sylvain Turcotte, professeur titulaire à l'Université de Sherbrooke, était du nombre de ces experts. Aujourd'hui, il réclame encore plus d'éducation physique à l'école primaire.
Ce qu'on sait au niveau des recherches, c'est que la maîtrise des habiletés motrices des jeunes est déficiente. Est-ce que cette capacité de maîtrise aurait un impact sur leur rendement académique potentiel? La réponse est oui. Donc, est-ce que deux heures d'éducation physique sont suffisantes en ce moment? La réponse est non.
À l'école, on bouge!
Il y a du nouveau depuis 2017 : la mesure 15023, À l'école, on bouge! Elle touche le quart des écoles primaires du Québec. Le but est de faire bouger les élèves 60 minutes par jour avec des pauses actives en classe, tout en variant l'offre des activités physiques pendant les récréations et le service de garde. On réaménage, par exemple, les cours d'école.
La mesure suggère aussi d'augmenter le temps alloué au cours d'éducation physique. Suzanne Laberge, professeure titulaire au département à l'École de kinésiologie et des sciences de l'activité physique de l’Université de Montréal, a sondé plus de 400 écoles à cet effet.
« Malheureusement, il n'y a même pas 5 % qui ont pu rajouter des minutes aux cours d'éducation physique », affirme-t-elle.
Et voilà que des écoles sont même tentées de ne pas s'arrimer au régime pédagogique des deux heures recommandées d'éducation physique, disant qu'elles ont déjà la mesure 15023 pour faire bouger. « Erreur! », soutiennent certains experts. L'activité physique ne remplace pas l'éducation physique.
« Bouger pour bouger, selon les études, ça ne donne pas grand-chose, estime Véronique Marchand, directrice de la Fédération des éducateurs et éducatrices physiques enseignants du Québec. Ça procure un temps de plaisir, de repos ou un état de ressourcement peut-être, mais en termes d'acquisition ou de développement de compétences, c'est de l'occupationnel. »
Pour Sylvain Turcotte, cette nouvelle mesure comporte des risques quant à la formation professionnelle du personnel-école qui accompagne les enfants dans ces activités, que ce soit le service de garde ou les enseignants en classe.
J'en ai vu quand même assez souvent des pauses actives qui sont faites en classe. Et quand on regarde justement les intervenants scolaires qui accompagnent les enfants, on voit très peu de rétroaction. Pourtant, il y a des difficultés et des problématiques importantes, entre autres au niveau de la coordination motrice.
La clé pour une longue vie active, selon les spécialistes, c'est apprendre d'abord à bouger. Se sentir compétent pour avoir le goût de bouger plus tard. Et c'est dans le cours d'éducation physique que ça se passe, explique Étienne Pigeon, de l’Institut national de la santé du Québec (INSPQ).
« Le cours d'éducation physique est bâti de façon à permettre aux jeunes d'acquérir les habiletés motrices de base, évalue M. Pigeon. Si tu as une bonne coordination manuelle, acquise dans les cours d'éducation physique ou une bonne aptitude à sauter ou à lancer, tu vas être capable d'être plus performant dans les sports, donc ça va être plus valorisant pour toi d'en faire. Et cette valorisation-là, c'est ça qui te pousse à continuer plus tard. »
Les experts s'entendent sur une chose : une heure d'éducation physique par jour serait l'idéal. Le jeune Lucas, de l'école Notre-Dame-de-Grâce, est bien d'accord.
« J'ai appris comment jouer au volleyball parce que je ne savais pas comment jouer. Je trouve ça vraiment cool. »
Entre-temps, les directions d’école doivent s’accommoder de la situation actuelle.
Marie-Josée Normandin ne voit pas encore le jour où les jeunes pourront faire deux heures d'éducation physique par semaine dans son école.
« Il faudrait qu'on ait d'autres plateaux, affirme-t-elle. C'est ça, la solution. »
Le problème reste entier.