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France Richer, la championne cycliste oubliée

France Richer avec son maillot de championne canadienne et québécoise.

France Richer avec son maillot de championne canadienne et québécoise.

Photo : Radio-Canada / Annie Desrochers

Annie Desrochers
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

France Richer est la première championne canadienne de cyclisme sur route et la première Québécoise à avoir participé à des Championnats du monde. Pourtant, l'univers du cyclisme ne garde pratiquement aucune trace de ses exploits. Nous l'avons retrouvée.

Au bout du fil, la voix est d’abord surprise, puis moqueuse.

« C’était dans l’Antiquité ça », lance la femme lorsqu’on lui demande si elle est bien l’ancienne championne cycliste. Aujourd’hui dans la soixantaine, France Richer accepte de revenir sur son passé de coureuse élite.

Au début des années 1970, rien ne prédestine l’adolescente de Saint-Zotique à la compétition. Elle ignore tout du sport et ne peut nommer aucun champion, encore moins de championnes. Rien d’étonnant. Si le cyclisme masculin a connu une forte popularité au Québec dans la première moitié du 20e siècle, les Jules Audy, Pierre Gachon et autres Zénon Saint-Laurent sont depuis oubliés.

Quant aux femmes, c’est comme si elles n’avaient jamais existé tant leur histoire est ignorée. Pour la petite fille de la Montérégie qui grandit dans les années 1960, le référent demeure le hockey. Elle passe ses hivers à jouer sur la patinoire de son village.

En mai 1974, elle est invitée à se joindre au club cycliste de sa région. Sa progression sur vélo est fulgurante. Déjà au début de l’été, sur une monture inadéquate pour la compétition, elle gagne sa première vraie course.

Les rares filles du club soutiennent mal sa cadence, alors son entraînement se fait avec les garçons.

«  »

— Une citation de  France Richer

« Je n'avais aucune pression »

En juillet 1974, France Richer remporte le titre provincial, ce qui lui permet de se classer en vue du premier Championnat féminin canadien de l’histoire (les hommes ont le leur depuis 1959). Elle cause la surprise en décrochant la victoire avec une avance de presque 5 minutes sur ses rivales.

« Je n’avais aucune pression parce que je n’avais pas d’attentes, se souvient-elle. Pour moi, le vélo, c’était la liberté. Une totale liberté de partir de chez nous et d’aller pédaler avec le club. »

Radio-Canada lui apprend qu’elle est la toute première à être sacrée championne canadienne de cyclisme sur route.

« Je ne le savais pas, dit-elle. Ça me fait voir ce passé avec des yeux différents. Il y a eu toute une évolution pour le vélo chez les femmes depuis cette époque. »

Ce podium permet à France Richer d’accéder aux Championnats du monde de cyclisme sur route, qui se déroulent à Montréal à la fin du mois d’août de la même année. Elle a 17 ans et s'entraîne depuis quatre mois seulement.

Avant sa sélection, elle ignorait jusqu’à l’existence de cette épreuve pourtant déjà historique. Il s’agit du premier championnat organisé hors de l’Europe par l’Union cycliste internationale et pour la première fois, des Canadiennes y participent.

Contre les meilleures

Avec trois autres athlètes de son pays, France Richer, seule Québécoise, est confrontée aux meilleures coureuses au monde. Chez les hommes, l’immense Eddy Merckx va chercher son troisième maillot arc-en-ciel sur les flancs du mont Royal devant l’éternel second Raymond Poulidor.

Le Belge Eddy Merckx lève les bras en traversant le fil d'arrivée de l'épreuve sur route des Championnats du monde de cyclisme. À droite, derrière l'auto-caméra, le Français Raymond Poulidor se contente de la 2e place.
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Le Belge Eddy Merckx lève les bras en traversant le fil d'arrivée de l'épreuve sur route des Championnats du monde de cyclisme. À droite, derrière l'auto-caméra, le Français Raymond Poulidor se contente de la 2e place.

Photo : Radio-Canada

Lors de l’événement, France Richer accorde une entrevue à Hélène Roy de l’émission Femmes d’aujourd’hui. Ce segment est le plus ancien reportage sur le cyclisme féminin des archives de Radio-Canada. La jeune athlète aborde candidement avec la journaliste ses débuts prometteurs, son entraînement et le fait d’être une femme dans un sport perçu comme masculin.

« Je pense qu’il y a beaucoup de femmes qui parlent de la libération de la femme, mais elles ne font que parler, a-t-elle dit. Il faut trouver des moyens pour se mettre au même pied d’égalité que les hommes. Le cyclisme, je pense que c’en est un. »

Aux Championnats du monde, elle est enfin équipée d’un vélo tout neuf de compétition : un Colnago payé 1000 $, aujourd’hui conservé dans son garage.

Muni de sa bicyclette à l’as de trèfle, elle termine au 21e rang, à 5 min 42 s de la 1re position décrochée par la Française Geneviève Gambillon. Un exploit.

Malgré les performances convaincantes, elle se retire, faute d’argent.

«  »

— Une citation de  France Richer

Une fin amère

France Richer reprend la compétition en 1980 et impressionne rapidement avec ses résultats. Elle est à nouveau sélectionnée en vue des Championnats du monde. Sa carrière d’athlète se termine néanmoins de façon abrupte. Juste avant les mondiaux, elle refuse l’invitation de l’équipe canadienne de participer à un camp aux États-Unis pour accélérer sa progression.

« Je savais ce qui se passait dans le vélo, explique-t-elle. Différents aspects du sport que je trouvais corrompus : tricherie, dopage, façons de détourner les tests pour qu’ils deviennent négatifs. »

Elle informe la direction de l’équipe qu’elle va s’entraîner seule.

« On m’a répondu qu’on ne pouvait pas dépenser d’argent pour quelqu’un qui refuse de se soumettre aux exigences et on m’a retirée de l’équipe. Je me suis dit : "Je ne tricherai pas." J’ai pris mon vélo, je suis partie. » Elle n’a plus jamais refait de compétition.

France Richer reste longtemps amère. « Ce qui me frustrait le plus, c’était que j’avais le potentiel, dit-elle. T’es un peu en colère à cause de l’injustice, mais très fière d’avoir dit non. Plus fière que d’avoir gagné ma médaille aux [Championnats] canadiens et d’avoir fini 21e aux Championnats du monde en 74. »

L’histoire du cyclisme féminin reste à écrire, ses parts lumineuses comme ses côtés sombres.

Quatre décennies plus tard, les fédérations passent sous silence le rôle de pionnière jouée par la femme de Saint-Zotique, qui pédale toujours sur les routes montérégiennes. Une championne de plus dans l’angle mort des panthéons du sport.

Un article du Montréal-Matin du 24 août 1974 mettait en vedette France Richer.
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Un article du Montréal-Matin du 24 août 1974 mettait en vedette France Richer.

Photo : Radio-Canada

Annie Desrochers est animatrice du 15-18

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