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Encore pertinent de conserver le cannabis sur la liste des substances interdites?

Floyd Landis

Floyd Landis

Photo : Radio-Canada

Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Dans sa liste des produits interdits, l'Agence mondiale antidopage (AMA) indique noir sur blanc que les cannabinoïdes naturels sont bannis en compétition, qu'on les appelle cannabis, haschich ou marijuana. Simple, non? Pas tout à fait. Dans les appels, nombreux, au changement, il y a celui de Floyd Landis, ancien champion cycliste déchu.

Un texte de Marie Malchelosse

Les instances compétentes en matière d’antidopage au pays répètent que la légalisation du cannabis ne change absolument rien pour les athlètes soumis à leur liste de produits interdits. Ça peut s’entendre comme ceci : « Si le test que tu passes pendant une compétition dépasse le seuil permis, tu obtiendras un résultat positif ».

C’est la théorie, le règlement actuel, d’accord. Il n’en reste pas moins qu’il existe une réalité sociale et des tendances difficiles à ignorer. L’engouement des athlètes pour le cannabidiol en est un exemple.

Le cannabidiol, que l’on appelle aussi CBD, est un composé du cannabis, au même titre que le THC. Mais ils présentent une différence fondamentale : le CBD ne procure pas l’effet euphorisant du THC.

Par contre, la communauté scientifique reconnaît que le CBD présente des vertus analgésiques et anti-inflammatoires. Le Dr Louis Gendron, professeur et chercheur à l’Institut de pharmacologie de l’Université de Sherbrooke, en reconnaît l’engouement.

« Ça dépasse, beaucoup même, le monde du sport d’élite, dit-il. Là, actuellement, le CBD est probablement la molécule pour laquelle on semble vouloir attribuer le plus d’effets thérapeutiques de toutes sortes. »

La deuxième vie de Floyd Landis

Le nouvel apôtre du CBD se nomme Floyd Landis. Le nom vous rappelle quelque chose? Floyd Landis a été le visage au cœur du plus grand scandale de dopage de l’histoire. Le vainqueur déchu du Tour de France en 2006. Le premier, en 2010, qui a dénoncé le grand manitou du dopage institutionnalisé dans l’équipe US Postal, un certain Lance Armstrong.

Nous l’avons rencontré par un petit matin d’octobre, au départ d’une classique de 188 km, à Santa Rosa, ville californienne située à une heure de San Francisco. Il y a quelques années, il ne pensait même pas remonter à vélo un jour. Des douleurs intenables le torturaient depuis un remplacement de la hanche en 2006.

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— Une citation de  Floyd Landis
Floyd Landis.
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Floyd Landis

Photo : Radio-Canada

Landis s'est libéré de la dépendance le jour où il s'est rendu compte que le CBD soulageait ses douleurs, sans les nombreux effets secondaires des opioïdes. En 2012, il s’est donc converti en cultivateur de cannabis.

Son entreprise, établie au Colorado où la culture est légalisée, extrait le CBD des plants pour le décliner en gélules, huiles, baumes et autres produits. Selon lui, le CBD l’a sauvé d’une spirale très sombre. C’est aussi pour en faire la promotion et répandre la bonne nouvelle qu’il a avalé les 188 km, ce jour-là.

Une crème sportive de Floyd's of Leadville.
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Une crème sportive de Floyd's of Leadville

Photo : Radio-Canada

Pour les mêmes raisons évoquées par Landis, la réputation du CBD a eu vite fait de séduire le monde du sport d'élite, où les douleurs physiques sont monnaie courante.

« Oui, je parle avec plusieurs athlètes d'élite, et la plupart souhaitent l'anonymat parce que c'est encore perçu comme une zone grise », confirme l’ancien de la US Postal. Et zone grise, il y a.

Un pas un avant, un pas en arrière

En janvier dernier, l'Agence mondiale antidopage a retiré le CBD de sa liste de produits interdits en compétition. Le problème, c’est que le CBD extrait du cannabis dit récréatif contient forcément du THC. Comme sa concentration est variable en fonction du plant, l’athlète prend donc un risque.

Éventuellement, les concentrations en CBD et en THC pourront être standardisées et reproductibles d'un plant à l'autre. Mais nous n'en sommes pas là.

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— Une citation de  Dr Kamal Bouarab

Le Dr Kamal Bouarab est le titulaire de la nouvelle chaire de recherche sur le cannabis, inaugurée en mai dernier à l’Université de Sherbrooke. La légalisation du cannabis au Canada ouvre maintenant la voie à la recherche scientifique. Le Dr Bouarab attend impatiemment de recevoir la licence de Santé Canada qui va l’autoriser à acheter des plants pour analyser les quelque 500 molécules du cannabis.

« Ça nous permettra effectivement de savoir les concentrations exactes qu’on peut trouver dans un plant. On pourra semer une graine d’une autre génération qui provient de ce plant-là et obtenir un profil équivalent », dit-il.

D’un point de vue commercial, la course au plant le plus bourré de CBD fait rage.

« Quand on fait des petites recherches sur Internet, on peut trouver toutes sortes de cultivars un peu partout dans le monde. Je pense que l’échange de ces cultivars-là est encore très réglementé, surtout entre pays. Il y a déjà des croisements de toutes les sortes qui possèdent des noms de toutes les sortes aussi! Mais oui, ça existe déjà », constate le Dr Louis Gendron.

Le Dr Louis Gendron
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Le Dr Louis Gendron

Photo : Radio-Canada

Par exemple, l’entreprise Dinafem commercialise sa variété Dinamed CBD Plus, elle s’est autoproclamée « la véritable reine du cannabidiol ». Selon l’entreprise, le plant peut atteindre 20 % de CBD pour 1 % de THC.

L’effet d’entourage

Le CBD pur existe sous forme synthétique. L’athlète pourrait y avoir recours, mais ce CBD ne serait pas aussi efficace pour soulager ses douleurs. Plusieurs études scientifiques suggèrent fortement que le CBD, lorsqu’il est 100 % pur, n’a pas le même effet que lorsqu’il est mélangé avec du THC, même en petite concentration. C’est ce qu’on appelle l'effet d’entourage.

L’Agence mondiale antidopage a fait un pas en 2013 en multipliant par 10 (de 15 à 150 nanogrammes/millilitre d’urine) le seuil d’un test positif au cannabis. Dans ces conditions, le planchiste canadien Ross Rebagliati n’aurait jamais obtenu de résultat positif aux Jeux de Nagano en 1998.

L’épée de Damoclès

Le dilemme reste quand même entier pour l’athlète. Même s’il a recours à un cannabis faible en THC, il n'a aucun moyen de savoir ce qui reste dans son système au moment du test.

« La substance peut demeurer dans le système jusqu’à 30 jours, peut-être plus. Donc, les athlètes qui obtiennent un test positif pour le cannabis en compétition ne l’ont souvent pas utilisé en compétition », mentionne Elizabeth Carson du Centre canadien d'éthique dans le sport (CCES), l'autorité en matière d'antidopage au pays.

En ce qui concerne le cannabis, le CCES maintient une position bien différente de l’AMA à la table des signataires du code mondial. Il milite en faveur de son retrait.

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— Une citation de  Elizabeth Carson
Elizabeth Carson, du CCES
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Elizabeth Carson, du CCES

Photo : Radio-Canada

Dans ce débat, Floyd Landis dénonce une certaine hypocrisie de l’AMA. « Les gens peuvent abuser de narcotiques et l’AMA s’en fout. Mais pour une raison quelconque, le CBD était sur la liste. Je m’interroge sur leur jugement depuis longtemps », dit l’ancien paria du cyclisme.

En fait, plusieurs narcotiques se retrouvent sur la liste des produits interdits en compétition. Mais Landis a raison en ce qui a trait à l’hydrocodone, un composé du Vicodin, l’opioïde qui l’a rendu dépendant.

Le Vicodin est d’ailleurs pris en masse par les joueurs de la NFL, par exemple. L’ancien quart-arrière des Packers de Green Bay Brett Favre a avoué avoir enfilé 14 comprimés à la fois dans un article de Sporting News en mai dernier. On nous dit que l’hydrocodone fait plutôt partie du programme de surveillance de l’AMA depuis 2014, alors que ses ravages sont connus.

Floyd Landis estime que l’AMA cherche à sauver les apparences et à conserver ses relations avec des pays comme les États-Unis et le Japon, qui s’opposent fermement au retrait du cannabis de la liste des produits interdits.

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— Une citation de  Floyd Landis

L'Agence mondiale antidopage n'avait aucun expert disponible pour répondre à nos questions quant à la pertinence de conserver le cannabis sur la liste des produits interdits. On nous a plutôt référé aux trois règles d'exclusion : le risque pour la santé, la violation à l'esprit du sport et l'amélioration de la performance.

On nous a invités au Symposium international pour les médias, tenu à Londres au début novembre, même si au moment de publier, la question du cannabis ne figurait pas à l’ordre du jour.

L’athlète reste donc encore devant ce choix : avoir recours au CBD en lieu et place d’opioïdes pour soulager ses souffrances ou courir le risque d’un test positif en compétition, même si ce risque est calculé.

Le CBD a beau être prometteur et jouir d’une réputation enviable contrairement aux opioïdes, les scientifiques restent prudents, le Dr Gendron, le premier.

« Les preuves scientifiques qui appuient ces effets thérapeutiques sont encore minces, fait-il valoir. Il y a encore beaucoup de recherches qui doivent être faites. Je crois que c’est une substance de plus à notre arsenal pour traiter certaines pathologies ou certains inconforts, mais on n’en fera pas un médicament miracle. »

En attendant les conclusions scientifiques, Floyd Landis affirme à qui veut l'entendre que le CBD l'a sauvé des opioïdes. Une façon pour lui de boucler la grande boucle.

Floyd Landis
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Floyd Landis

Photo : Radio-Canada

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