D'anciens hockeyeurs réclament un débat sur le projet de loi 176

Table de la délégation de l'Océanic de Rimouski au Centre Gervais Auto à l'occasion du repêchage annuel de la LHJMQ à Shawinigan
Photo : Radio-Canada / Courtoisie Océanic de Rimouski
Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Le projet de loi 176 à l'étude à l'Assemblée nationale, et dont une disposition vise à exclure les hockeyeurs de la LHJMQ des normes du travail, commence à susciter un vif débat au sein de la communauté sportive québécoise.
Mercredi, une douzaine d’anciens hockeyeurs de la LNH, de la LHJMQ, de la Ligue de l’Ontario et même de la NCAA ont fait parvenir une lettre (dont Radio-Canada a obtenu copie) à la ministre du Travail Dominique Vien. Ils demandent à la ministre de tout simplement retirer le controversé article 1 du projet de loi 176.
Cet article stipule que les « athlètes dont l’appartenance à une équipe sportive est conditionnelle à la poursuite d’un programme de formation scolaire » ne peuvent être considérés comme des travailleurs, alors que divers tribunaux canadiens sont déjà saisis de litiges sur cette question.
« Cet article peut sembler banal, mais pour des centaines de jeunes Québécois, il représente une injustice grave. S’il est adopté, il les privera de nombreux droits en venant officialiser la situation de précarité dans laquelle ils se trouvent trop souvent », estiment les signataires, parmi lesquels 10 ont évolué dans la LHJMQ, et 7 dans la LNH.
« La situation des jeunes athlètes de la LHJMQ est très particulière. Ils sont repêchés alors qu’ils sont encore au secondaire en vertu de règles identiques à celles de la LNH; ils jouent à temps plein pour des équipes constituées en entreprises privées (dont certaines appartiennent à de grandes entreprises comme Québecor, Irving ou McCain) et qui peuvent les échanger ou les renvoyer; ils n’étudient qu’à temps très partiel. Pire, ces jeunes athlètes sont les seuls à ne pas être réellement rémunérés au sein de la LHJMQ. Que ce soit les propriétaires ou les entraîneurs, en passant par les dirigeants et le personnel de soutien, tout le monde est considéré comme un professionnel, sauf les principaux acteurs : les joueurs », poursuivent-ils.
Les signataires de cette lettre sont : Joé Juneau (ancien joueur de la LNH (1991-2003); Marc Savard, ancien joueur de la LNH (1997-2011); Loïk Léveillé, ancien joueur de la LHJMQ (2012-2016); Éric Naud, ancien joueur de la LHJMQ (1994-1997); Sammy Nasredine, ancien joueur de la LHJMQ (1993-1997); Éric Charron, ancien joueur de la LHJMQ (1987-1990) et de la LNH (1992-2000); David Gosselin, ancien joueur de la LHJMQ (1994-1998) et de la LNH (1999-2001); Claude Lapointe, ancien joueur de la LHJMQ (1985-1989) et de la LNH (1990-2003); Sylvain Blouin, ancien joueur de la LHJMQ (1991-1993) et de la LNH (1996-2003); Pierre-Yves Giroux, ancien joueur de la LHJMQ (1972-1975) et de la LNH (1982-1983); Bernard Rocheleau, ancien joueur de la LHJMQ (1971-1974) et Nicholas Pard, ancien joueur de la LHJMQ (2008-2010).
Rappelant que le statut des hockeyeurs juniors québécois est une pomme de discorde depuis des années, ils demandent à la ministre de réunir toutes les parties concernées (dirigeants de ligue, propriétaires, joueurs et même la LNH) autour d’une même table « afin que soit trouvée une solution avantageuse pour tous ».
Il est de notoriété publique que la décision du gouvernement québécois de soustraire les hockeyeurs de la LHJMQ aux normes minimales du travail est survenue immédiatement après que le commissaire de la LHJMQ eut rencontré la ministre Vien à ce sujet. La même démarche de lobbying a été faite auprès des gouvernements du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard, où se trouvent aussi des équipes de la LHJMQ.
Diplômé en ingénierie aéronautique du Rensselaer Polytechnic Institute, Joé Juneau n’a pas hésité à signer la lettre malgré le fait qu’il n’ait jamais joué dans la LHJMQ.
« Je crois simplement qu’on doit se pencher sérieusement sur cette question. Je trouve malhonnête qu’on place les jeunes dans cette situation [...] Ce que cette lettre demande, c’est que l’article soit retiré du projet de loi pour qu’on prenne le temps de faire un vrai débat. Ce débat n’a jamais été fait et, soudainement, on se dépêche à modifier une loi. Ces équipes appartiennent à des entreprises », explique Juneau.
« Dès qu’un joueur passe plus de 48 heures avec une équipe junior majeur, les universités américaines cessent de le considérer comme un étudiant parce qu’il évolue dans un environnement professionnel. Et de ce côté-ci de la frontière, on essaie maintenant de nous faire croire que ce même joueur est un étudiant et qu’il n’a aucun droit. »
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La semaine dernière, le porte-parole de Québec solidaire en matière de travail, Gabriel Nadeau-Dubois, a fait une sortie publique aux côtés de l’agent de hockeyeurs Gilles Lupien pour défendre la cause des joueurs.
Le 29 mai dernier, lors des audiences faites dans le cadre de ce projet de loi, la ministre Vien a fait valoir que sa décision d’exclure les hockeyeurs de la LHJMQ des normes du travail « s’inscrit dans une démarche canadienne ». L’Ontario possède le plus gros bassin de hockeyeurs au Canada et le gouvernement de cette province n’a pas l’intention, aux dernières nouvelles, de modifier sa loi du travail pour accommoder le lobby du hockey junior.
La ministre Vien a aussi fait valoir que le projet de loi 176 vise aussi à préserver le statut amateur « des athlètes universitaires comme ceux du Rouge et Or ». Interrogée à ce sujet, la directrice des programmes sportifs de l’Université de Montréal Manon Simard a indiqué que cette question n’a jamais constitué une préoccupation au sein de son établissement ni lors des réunions où se côtoient les dirigeants des programmes sportifs des universités québécoises membres d'USPORTS.
« C’est un discours que je n’ai entendu sur aucune plateforme universitaire. Dans le milieu universitaire, les jeunes doivent d’abord aller à l’école. C’est un processus académique avant toute autre chose. Nous ne sommes pas des entreprises », a expliqué Mme Simard.
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La semaine dernière, dans le cadre du repêchage de la LHJMQ, le commissaire Gilles Courteau a solidement rabroué Gilles Lupien et a déclaré que « chaque joueur de la LHJMQ coûte à l’équipe 75 000 $ par année pour qu’il puisse évoluer dans la LHJMQ et obtenir l’encadrement nécessaire sur le plan hockey, scolaire, etc. Et ce, en plus de recevoir des bourses d’études. Les gens doivent réaliser tout ça. »
Si l’ensemble des bénéfices réels versés à chaque joueur s’élève réellement à 75 000 $, pourquoi le commissaire n’en fait-il pas la démonstration dans le cadre d’un véritable débat? Pourquoi cherche-t-il plutôt à faire modifier les normes minimales du travail en catimini pour que les joueurs ne puissent en bénéficier ou s’en servir comme base de discussion pour, justement, améliorer les services auxquels ils ont droit?
Le commissaire soutient que plusieurs équipes devraient fermer leurs portes si les joueurs étaient rémunérés au salaire minimum.
Ce même argument a été avancé devant les tribunaux par les commissaires des ligues de l’Ouest et de l’Ontario dans des recours collectifs intentés par des anciens joueurs de ces ligues. Les juges les ont pris au mot et ils ont exigé que chaque équipe de ces deux circuits produise ses états financiers.
Après avoir vu les chiffres, les deux magistrats ont autorisé les demandes de recours collectifs.
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Cette lettre publique envoyée à la ministre, la forte prise de position de Gilles Lupien, les interventions de Québec solidaire à l’Assemblée nationale de même que la couverture médiatique grandissante de cet enjeu (voir : Bafouer les droits des joueurs de la LHJMQ n’est pas une solution honorable) semble n'être que la pointe de l’iceberg. D’autres intervenants donnent l’impression de vouloir s’immiscer dans le débat.
Mercredi, un membre d’une des plus influentes agences de représentation de la LNH confiait qu’énormément de gens dans le milieu estiment que les joueurs de la LHJMQ et du hockey junior majeur canadien n’ont pas droit à des services adéquats de la part de leur équipe junior.
« Il y a toutes sortes de situations. Si un joueur est blessé en fin de saison, les équipes refusent de payer ses dépenses médicales. Le joueur a droit à 500 $ provenant des assurances de Hockey Canada. Après, ce sont les assurances de parents qui sont sollicitées. Et si ça ne fait pas, ce sont les parents qui paient. Les parents d’un de mes clients ont dû dépenser 2500 $ pour faire soigner une blessure cervicale subie par leur fils durant un match de hockey.
« Même chose pour l’entraînement estival. C’est la phase la plus importante de la préparation du joueur et ça coûte 2000 $ et plus. Avant, les équipes avançaient jusqu’à 1500 $ pour soutenir un joueur. Maintenant, suite à une nouvelle directive de la ligue, elles ne donnent plus rien », expliquait-il.
Le projet de loi 176 sera-t-il adopté dans sa forme actuelle? La ministre tente de défendre son article 1 pendant les travaux parlementaires, mais elle semble incapable d’expliquer en quoi l’intérêt public serait servi en excluant des jeunes de 17, 18, 19 et 20 ans d’une loi protégeant minimalement tous les Québécois à l'emploi d’une entreprise.
Lundi dernier, questionnée par le député Nadeau-Dubois, la ministre Vien a aussi été incapable de citer un autre exemple d’entreprise québécoise au sein de laquelle des travailleurs seraient discriminés en fonction de leur condition sociale (leur statut d’étudiant).