Comme il est bon d’écouter les réflexions de Gilles Vigneault et de voir au fil des années ses yeux d’un bleu profond rester aussi lumineux! À l’occasion de son 90e anniversaire, voici un parcours en six thèmes, au doux milieu de lui.
Les humains
Les humains
Et les humains sont de ma race.

L’attitude de l’artiste (quoique Vigneault dit préférer « artisan ») se traduit bien dans sa chanson Les gens de mon pays : toutes les personnes l’intéressent. Tant de personnages dans son œuvre, toujours abordés avec le même égard.
Chanson : Les gens de mon pays.
Gilles Vigneault avait une mère instruite, qui lui écrivait régulièrement pour lui donner des nouvelles des gens du coin quand il étudiait au collège. Peut-être n’est-elle pas étrangère à l’intérêt qu’il porte aux humains et à leurs beaux métiers? Il a fait des chansons pour chacun : la sœur, le cousin, le marin, l’ami de cœur.
Passant par l'été avec Lisette Gervais et Yvon Turcot en 1966.
Entre la fête à Saint-Dilon et la solitude inhérente à tout humain, il nous a présenté La Manikoutai, Jack Monoloy et Ti-Cul Lachance, des chansons sur le Québec et ses habitants, toutes écrites avec le même regard observateur.
Entrevue à Chants libres avec Monique Giroux en 2014.
Cette curiosité, ou devrait-on dire cette générosité de cœur, appréciée de toute la francophonie, témoigne aussi de l’humilité du poète. Écoutez-le ici à l’émission Entrée des artistes parler de l’importance d’être l’indulgent et tolérant, et de transmettre le meilleur de ce qu’on a fait. Le chanteur s’exprime aussi sur sa philosophie d’un amour réussi.
Entrée des artistes avec Marie-Claude Lavallée en 1996.
Entrée des artistes avec Marie-Claude Lavallée en 2003.
L'enfance
L'enfance
Dans le cadeau le plus modeste, il faut savoir trouver tous les trésors du cœur.

Il a tant écrit pour les enfants : Quelques pas dans l'univers d'Eva, Léo et les presqu’îles, Le grand cerf-volant… Parce qu’ils représentent l’espoir, ils se trouvent au centre de son œuvre.
Chanceux sont les tout-petits qui l’ont vu en spectacle et qui ont eu le cadeau de ses poèmes, contes, chansons et reels, car un enfant qui gigue et tournoie est dans le bonheur. Vigneault lui-même gigue aussi habilement qu’il turlute.
Bien que Vigneault n’ait pas spécifiquement dédié la célèbre chanson J’ai planté un chêne aux enfants, on peut voir dans ce titre (et cette invitation à en faire autant) son souci de la transmission et des générations futures : j’ai posé un geste qui va me dépasser, me survivre.
Chanson : J'ai planté un chêne
En écoutant Vigneault, même les grands retrouvent cet émerveillement de l’enfance. Voici le populaire conte Les quatre saisons de Picot, enregistré lors de l’émission Femme d’aujourd’hui en 1980.
Femme d'aujourd'hui avec Lise Garneau en 1980.
La poésie
J'ai pour toi un lac quelque part au monde
Un beau lac tout bleu
Comme un œil ouvert sur la nuit profonde
Un cristal frileux
Chanson : J’ai pour toi un lac
L’œuvre de Gilles Vigneault témoigne évidemment de l’héritage de Félix Leclerc. Les deux ont amené leur poésie à notre oreille par la musique, et leurs mots riment sur les mêmes thèmes. Chez Vigneault, on retrouve une grande préoccupation du piétage (le nombre de syllabes dans un vers), qui vient de sa connaissance de la musique, en particulier des airs liturgiques. D’ailleurs, la spiritualité reste en filigrane de son œuvre vaste.

Combien de chansons au compteur? Plus de 400, à ce jour. De la gigue à la berceuse, Gilles Vigneault nous a donné beaucoup et de toutes sortes de manières, toujours avec la même exigence : celle du respect de la langue. Le poète la défend en nous la faisant aimer, en nous chantant des mots de voiles et des noms d’oiseaux. Dans une poésie simple et accessible, il emploie des mots inusités, voire anciens : margelle, sarcelle, chaland, manant… Des mots qui nous donnent envie de prendre la route du fleuve et de devenir un peu marins.
Raison passion avec Denise Bombardier en 1993.
Si les chansons qui nous viennent spontanément en tête parlent du pays espéré, Vigneault, qui allie la nature et l’intime magnifiquement, chante aussi beaucoup, beaucoup l’amour (Pendant que, J’ai pour toi un lac, Le doux chagrin).
On doit aussi mentionner son travail d’éditeur. L’humble Vigneault, qui ne s’en vantera pas, a mis en lumière le talent de plusieurs auteurs et poètes.
Entrée des artistes avec Marie-Claude Lavallée en 1996.
Le pays
Le pays
Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’hiver.
Chanson : Mon pays
Cette phrase inscrite depuis longtemps dans la mémoire collective vaut qu’on s’y attarde encore. Car le pays de Vigneault en est aussi un affectif et de sens. Le pays du toucher et du vent. Celui qui nous apprend à flairer la neige qui s’en vient, à évaluer sa profondeur selon le bleu ou le lavande. Cette connaissance organique de la lumière et des saisons.
Le Sel de la semaine avec Fernand Seguin en 1967.
Ce thème central de son œuvre est une fierté qu’il a voulu transmettre depuis ses premiers écrits. De cet espoir sont nés des hymnes fondateurs (Les gens de mon pays, Mon pays, Gens du pays) dans lesquels les gens se sont reconnus. Une notion du chez-soi qui va de pair avec l’accueil de l’autre.
Tout le monde en parle avec Guy A. Lepage et Dany Turcotte en 2015.
La nature
La nature
Faut arrêter d’pisser dans l’eau.
Chanson : La vieille Margot
Vigneault n’a pas beaucoup chanté la ville, car là n’est pas la vraie richesse. Il raconte la nature foisonnante, la vivacité des cours d’eau et la beauté de la faune.

Cependant, ses derniers albums témoignent d’une indignation grandissante face aux changements climatiques et au pillage des ressources. Mais même sa poésie la plus engagée n’a jamais bifurqué vers la colère. Le nom de Gilles Vigneault évoque l’élégance et la politesse.
Entrevue à D'un soleil à l'autre en 2003, animée par Germain Lefèbvre
Se soucier des enfants oblige à de graves constats de l’état du monde et de l’environnement. Même s’il n’y a pas beaucoup d’arbres à Natashquan, il y en a en abondance dans les chansons de Vigneault, car l’auteur sait combien ils sont précieux, et combien il ne faut pas épuiser la nature pour les générations futures.

Dans cet extrait de l’émission Téléjeans, Gilles Vigneault répond aux questions des jeunes et raconte ses plus beaux souvenirs d’enfance à Natashquan. Une enfance bercée de vent, d’eau et de sable, à s’inventer des mondes et à respirer l’air salin.
Téléjeans avec Mathieu Bourassa et Geneviève Cossette en 1979.
Le temps
Le temps
Il n’y a plus de temps à perdre, il n’y a que du temps perdu
Chanson : Chanson du temps perdu
Grandir à Natashquan avec sous les yeux le large à contempler développe un autre rapport au temps. Le conteur a aussi absorbé le rythme de la ville lors de ses études à Québec. Sans vouloir le dompter, et encore moins l’accélérer, Gilles Vigneault savoure le temps, le respecte, l’espère encore demain.

Pour un poète comme pour un scientifique, s’intéresser au temps, c’est se préoccuper de l’intangible, essayer de comprendre plus grand que soi. Il n’y a pas d’antagonisme entre la science et la poésie. Les deux se nourrissent à la même source : une quête d’absolu. Revoyez cette conversation de 1973 avec le biochimiste et vulgarisateur Fernand Seguin pendant laquelle les deux hommes discutent entre autres de l’importance d’écouter le tic-tac d’une horloge, salutation du temps qui passe, dans un quotidien où l’on nous remplit de bruit.
Le miroir de Gilles Vigneault avec Fernand Seguin en 1973.

Fernand Seguin, Gilles Vigneault, Jean-Claude La Haye et Fernande Giroux-Seguin.
Écoutez les réflexions récentes de Gilles Vigneault, captées l’an dernier à l’émission Second regard.
Second regard avec Alain Crevier en 2017.