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Envoyée spéciale

Nourrir l’Afrique du Sud

En principe, cette grande économie du continent africain produit suffisamment de nourriture pour nourrir ses 60 millions de résidents. Sauf qu’au moins 6 millions de Sud-Africains se couchent chaque soir le ventre vide. La pauvreté explique en partie l’accès inégal aux aliments. Des citoyens se retroussent les manches avec des solutions pour nourrir le plus grand nombre possible de leurs compatriotes. État des lieux.

Texte et photos : Anyck Béraud

Publié le 16 avril 2023

Kenokhata Farms, petite exploitation agricole située à Midrand, à une demi-heure de route de Johannesburg, bourdonne d’activité.

Une partie de la production est régulièrement distribuée par One Farm Share.

Il s’agit d’une plateforme numérique qui achète diverses denrées alimentaires à prix réduit ou qui les reçoit en dons, afin de les acheminer à plus de 1000 organisations caritatives un peu partout en Afrique du Sud.

Quinty Rabophala, la PDG de Kenokhata Farms, explique à quel point les inégalités socio-économiques font obstacle à l’accès à la nourriture.

Une partie de la population n’a pas les moyens d’acheter des aliments. C’est trop cher dans les commerces de détail. Quant aux petits agriculteurs, ils peinent à mettre leurs produits sur le marché, notamment parce qu’ils n’ont pas d’argent pour le transport. Beaucoup de produits de la ferme finissent donc par être gaspillés.

Elle avait elle-même dû détruire des légumes, dans le passé, quand elle était incapable de les vendre à un prix rentable ou de trouver des acheteurs intéressés par ses produits dont la forme n’est pas toujours parfaite à 100 %.

One Farm Share, fondée au plus fort de la pandémie de COVID-19 en collaboration notamment avec une institution bancaire du pays, assure avoir nourri jusqu’ici plus d’un million de Sud-Africains.

L’un des intermédiaires est l’organisation S. A. HARVEST.

Des sacs de produits frais ainsi que des conserves et des aliments secs ou congelés sont entreposés dans un grand entrepôt de Johannesburg en attente de livraison.

Victor Nhlalo Mpofu est l’un des responsables.

Il précise que, chaque semaine, l’organisation récupère auprès de divers producteurs et compagnies des aliments invendus et destinés à pourrir dans les champs ou à finir à la poubelle après leur date de péremption.

Il se réjouit de voir, sur les étagères, des sacs de farine dont l’emballage est légèrement abîmé. Regardez, c’est encore bon pour la consommation, c’est parfait!

Depuis 2019, S. A. HARVEST, présente dans quatre provinces, évalue avoir ainsi récupéré l’équivalent de 40 millions de repas.

En cette matinée de mars, diverses denrées, comme des légumes, du café en poudre et des pâtés au poulet, vont être livrées à une soupe populaire.

Direction : le township d’Alexandra, un peu plus loin à Johannesburg.

Le quartier est extrêmement surpeuplé.

Il attire des gens de partout au pays et des pays voisins en quête d’une vie meilleure dans la métropole et en Afrique du Sud.

Mais ici, c’est la pauvreté qui est au rendez-vous.

Et le taux de criminalité y est très élevé.

Le taux national de chômage avait atteint des records durant la pandémie de COVID-19.

Il reste encore très élevé, à plus de 30 %.

Le pays est le plus inégalitaire au monde, selon la Banque mondiale.

Victor Nhlalo Mpofu s’attendait à ce que les choses aillent mieux après les élections de 1994, quand l’Afrique du Sud de l’après-apartheid est devenue une démocratie.

Nous le pensions tous. Mais honnêtement, notre vie a plutôt empiré après la libération. Je ne comprends pas comment la situation est devenue pire qu’avant.

La camionnette de S. A. HARVEST franchit un portail sécurisé qui débouche sur une cour.

Les denrées alimentaires y sont déchargées.

Dans l’un des bâtiments adjacents, on s’active à la préparation du repas du midi sous l'œil attentif d’Alice Modiri, la propriétaire des lieux.

Elle explique que les gens ont tellement faim à Alexandra qu’ils se précipitent en grand nombre lorsqu’on annonce une distribution de repas.

Elle pense particulièrement aux enfants.

Ils vont à l'école sans manger. Certains d'entre eux viennent mendier. Ils n'ont que le repas du midi ici, puis ils doivent retourner à la maison où il n'y a rien. Donc au moins ce repas, ça fait une différence pour eux.

Des écolières ont été parmi les premiers convives à accourir pour ce repas gratuit, à l’heure du lunch.

Très vite, la file s’allonge.

Et dans les chaudrons, le niveau de la nourriture baisse à la vitesse grand V.

L’une des cuisinières souligne que les portions ont été réduites pour pouvoir en donner à tout le monde.

Pour nourrir les gens de son quartier, Alice Modiri ne compte pas s’arrêter là.

Elle veut mettre sur pied une popote roulante, elle l’avait déjà fait avec sa mère il y a quelques années.

Et dans sa cour, elle aménage un potager dans l’espoir de fournir, bientôt, des aliments aux garderies du coin.

Alice Modiri reproche au gouvernement d’être inactif.

La plupart des Sud-Africains que nous avons rencontrés trouvent que le parti au pouvoir depuis presque 30 ans est incompétent, voire corrompu, ce dont il se défend.

Des membres du gouvernement mangent et mènent une vie normale sans penser aux pauvres, alors qu’il y a des gens comme nous qui travaillent très dur pour nourrir leur communauté. [...] La plupart des Sud-Africains se battent pour obtenir des emplois, ou encore de l’électricité.

L’un des obstacles à la production et à la distribution de nourriture en Afrique du Sud est la crise de l’électricité qui sévit depuis des années : il n’y a pas assez de courant pour toute la population, en raison notamment du mauvais entretien de centrales vieillissantes et de la corruption.

La compagnie publique Eskom, détentrice du monopole, procède à des délestages réguliers qui peuvent durer des heures.

Et dans cette Afrique du Sud où l’accès à l’eau pose aussi un défi, la Chambre de commerce agricole explique que les coupures de courant ont un fort impact sur la bonne marche des systèmes d’irrigation.

Ces systèmes sont utilisés dans 20 % des cultures de maïs ou encore dans la moitié des champs de blé, précise l’économiste en chef Wandile Silhobo.

Cette question de l’électricité nous pose un vrai problème, lance Vincent Sequiera fils. Sa famille est copropriétaire de la plus importante ferme de carottes du pays à Tarlton, à une demi-heure de route de Johannesburg.

Il a fallu investir dans des génératrices très coûteuses en diesel pour parer aux interruptions de courant.

Les arrêts répétés provoquent parfois des surtensions qui endommagent l’équipement, comme ici, dans le centre de conditionnement et d’entreposage.

La compagnie arrive à s’en sortir pour ce qui est des carottes, selon Vincent Sequiera fils, mais elle a dû sacrifier des cultures de blé qu’elle vendait à des éleveurs pour leurs bêtes.

La production de blé a chuté de façon astronomique cette année. Alors le pain, l’un des plus grands aliments de base au pays, devient bien trop cher pour les gens des classes moyenne et inférieure. Quant au bétail, il ne pourra pas être aussi bien nourri qu’il le devrait. Ce qui va avoir des répercussions sur l’approvisionnement en viande, en lait…

Alors, il y a les élans de solidarité.

Greenway Farms donne notamment les résidus alimentaires issus de la production du jus de carottes aux fermiers des environs pour leur élevage.

Vincent Sequiera fils vante la résilience des Sud-Africains.

Ce ne sont pas les politiciens qui maintiennent ce pays à flot, mais des citoyens qui prennent la décision de se tenir debout tous les jours pour faire avancer les choses, dit-il.

Dans son exploitation agricole, Quinty Rabophala dit qu’elle a décidé de faire partie de la solution au lieu de se plaindre et de blâmer les dirigeants ou la terre entière.

Elle ajoute qu’ainsi, elle aide ses neuf employées à mettre de la nourriture sur leurs tables et à faire vivre leurs familles. Elle croit que cette aide s’étend probablement à une centaine d’autres personnes, grâce à One Farm Share.

Alors, je me sens bien, très, très bien, lance-t-elle en souriant.

Anyck Béraud a été dépêchée en Afrique du Sud du 28 février au 21 mars 2023

Nourrir la planète : un modèle agro-industriel à bout de souffle? Écoutez le reportage d'Anyck Béraud diffusé lors de l'émission spéciale de à Désautels le dimanche consacrée aux multiples défis de l’alimentation dans le monde.

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