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Un vigneron tient un sécateur et une grappe de raisins.
Radio-Canada / Anyck Béraud
Envoyée spéciale

Les Sud-Africains de couleur se sont taillé une place comme vignerons ou encore comme propriétaires de vins depuis que le pays est devenu une démocratie en 1994. Leur parcours a souvent été celui du combattant, et c’est loin d’être terminé. Ils ne représentent qu’un infirme pourcentage du secteur viticole, toujours largement dominé par leurs compatriotes blancs.

Texte et photos : Anyck Béraud

Carmen Stevens marche entre les cuves de son cellier.
Radio-Canada / Anyck Béraud

Carmen Stevens rayonne de fierté quand elle fait faire le tour de la cuverie de sa propriété.

Il s’agit d’un énorme hangar aménagé dans une zone industrielle de Stellenbosch (province du Cap-Occidental), ville au cœur de l’activité viticole sud-africaine.

Des rangées de tonneaux de vin.
Radio-Canada / Anyck Béraud

La jeune quinquagénaire passe rapidement devant des rangées de barils de vin pour se rendre jusqu’à une vingtaine de cuves en acier inoxydable.

C’est ici que se déroule le processus de fermentation.

Carmen Stevens va d’une cuve à l’autre, coupe à la main, pour y verser un mélange opaque : un sauvignon blanc en pleine création.

Elle précise que ce vin a remporté six prix en 2019.

Carmen Stevens tient une coupe dans laquelle il y a un liquide jaune et opaque.
Radio-Canada / Anyck Béraud

Cette année-là, elle est devenue la première personne de couleur à la tête d’un établissement vinicole détenu à 100 % par un Noir en Afrique du Sud.

Elle dit que cela représente la liberté. Celle de pouvoir consacrer mon temps à atteindre notre durabilité, à créer notre magie, lance-t-elle.

Gros plan des cuves.
Radio-Canada / Anyck Béraud

Elle se souvient des refus qu’elle a dû essuyer avant de devenir la première personne noire à intégrer le programme de vinification d’une institution de la région, en 1993, soit un an avant les premières élections démocratiques au pays.

Trente ans plus tard, Carmen Stevens produit des vins dont la marque porte son nom.

Mais elle doit acheter du raisin pour le faire.

Paysage de vignes.
Radio-Canada / Anyck Béraud

Elle milite depuis des années pour un plus grand accès à la terre.

C’est une question délicate au pays.

Un projet de redistribution des terres en expropriant des Sud-Africains blancs (8 % de la population, qui possèdent 80 % des terres) suscite d’ailleurs la controverse.

Grappe sur vigne.
Radio-Canada / Anyck Béraud

Carmen Stevens veut aussi que les Sud-Africains de couleur reçoivent davantage d’argent grâce aux fonds destinés à la transformation, c’est-à-dire le changement sociétal de l’après-apartheid pour garantir leur inclusion et leur développement économique.

La transformation en Afrique du Sud se fait beaucoup par des fonds de financement. Pour chaque litre de vin qui est exporté, un pourcentage est destiné à un fonds d’investissement que nous appelons fonds de financement.

L’an dernier, ce fonds a rapporté 103 millions de rands (8 millions de dollars), explique Carmen Stevens, mais à peine un quart de cette somme est allé dans la transformation.

Façade de l'établissement The Wine Arc.
Radio-Canada / Anyck Béraud

En 2021, l’établissement The Wine Arc a vu le jour à Stellenbosch pour donner plus de visibilité aux marques de vin détenues par des Noirs.

Il y a un bar et de grandes tables pour la dégustation.

Carmen Stevens assure que cet endroit est important parce que la majorité des vins qui y sont présentés n’ont pas accès aux marchés.

Bar à l'intérieur du Wine Arc.
Radio-Canada / Anyck Béraud

Elle est d’avis que certaines personnes haut placées dans l’industrie veulent protéger ce qui a été la chasse gardée des Blancs pendant des siècles.

Selon Vinpro, l’association qui représente la majorité des producteurs et des vignobles du pays, 67 des quelque 3300 fermes où l’on cultive du raisin en Afrique du Sud sont la propriété de personnes de couleur.

Phil Bowes, directeur de l'association, ajoute que 81 marques de vin sont détenues par des Noirs, soit à peine 3 % du marché.

Phil Bowes, de Vinpro, Stellenbosch, mars 2023.
Radio-Canada / Anyck Béraud

Il croit que de multiples raisons expliquent la lenteur de la transformation de l’industrie vinicole, comme la notion de provenance.

Dans cette Afrique du Sud (où l’on s’attend à voir une personne asiatique au comptoir d’un bar à sushis, selon Phil Bowes), il en veut pour preuve l’expérience menée par Woolworths il y a quelques années.

Cette grande chaîne de magasins a tenté de vendre des vins aux noms afrocentristes, notamment zoulous, à une clientèle habituée à ce que cette industrie soit blanche.

Rangées de bouteilles de marques de vin détenues par des Sud-Africains de couleur, Stellenbosch, mars 2023.
Radio-Canada / Anyck Béraud

Woolworths avait également apposé des étiquettes au nom anglais sur des bouteilles d’une marque afrocentriste et placé ces deux lots dans 360 magasins.

D’après la compagnie, l'appellation afrocentriste restait sur les tablettes, ce qui n’était pas le cas pour la version anglaise.

Attroupement de touristes arrivant à un vignoble.
Radio-Canada / Anyck Béraud

À une quarantaine de kilomètres de Stellenbosch, un petit groupe descend d’un tramway, qui parcourt la route des vins, pour visiter le premier domaine entièrement détenu par des Noirs à Franschhoek, l’autre grande destination viticole.

À l'intérieur de Klein Goederust, bouteilles et visiteurs dans la salle de dégustation, Franschhoek, mars 2023.
Radio-Canada / Anyck Béraud

Le nom afrikaans du lieu, Klein Goederust, qui date de 1905, a été conservé.

Le nouveau propriétaire, Paul Siguqa, un Sud-Africain noir, n’a pas voulu imposer son nom.

Notamment parce que cela aurait pu semer le doute sur la qualité des vins auprès d’une certaine clientèle en Afrique du Sud.

Portail de Klein Goederust, Franschhoek, mars 2023.
Radio-Canada / Anyck Béraud

Cependant, l’oiseau qui représente son clan est mis en évidence sur les étiquettes et sur le portail du domaine.

C’est ce que souligne son ami d’enfance Rodney Zimba, qui est vigneron et directeur de Klein Goederust.

Agneau rôti sur broche au domaine Klein Goederust, mars 2023.
Radio-Canada / Anyck Béraud

Le restaurant du domaine offre des mets africains, comme un agneau rôti à la broche et du poisson mariné.

Et l’un des produits vedettes, un vin mousseux, a été baptisé Nomaroma en l’honneur de la mère de Paul Siguqa.

Dégustation de vins au Klein Goederust, mars 2023.
Radio-Canada / Anyck Béraud

Elle a été une ouvrière viticole assignée aux tâches éreintantes dans les vignes et dans les fermes, tout comme son mari.

Rodney Zimba ajoute que c’était aussi le cas de ses propres parents et de son grand-père. Et aujourd’hui, on est aux commandes, dit-il.

Rodney Zimba, vigneron et directeur du Klein Goederust, mars 2023.
Radio-Canada / Anyck Béraud

Une revanche sur l’histoire.

Mais le chemin est difficile.

Rodney Zimba raconte qu’en 2019, il avait dû convaincre Paul Siguqa d’investir ce qu’il avait économisé pendant 15 ans dans cette ferme qui était délabrée et dont les vignes étaient abîmées.

Klein Goederust, mars 2023.
Radio-Canada / Anyck Béraud

Il précise qu’il a fallu tout restaurer et replanter à grands frais, sans coup de pouce du programme Black Economic Empowerment, prévu pour rééquilibrer l’accès aux richesses après l’apartheid.

Ils n’ont pas réussi à convaincre le ministère de la rentabilité de leur projet.

Nous sommes la première génération de propriétaires, pas la deuxième ni la troisième. Tout ce qu’on fait, on le construit à partir de rien, avec passion. On veut servir d’inspiration.

Paysage de vignes.
Radio-Canada / Anyck Béraud

Les deux hommes continuent de voir grand.

Aux installations existantes, Zimba et Siguqa souhaitent ajouter les équipements nécessaires à la production de leur vin ici. Sans compter un futur hôtel-boutique de 20 chambres.

Des boîtes de vin chez Klein Goederust, mars 2023.
Radio-Canada / Anyck Béraud

Rodney Zimba précise, dans un sourire accompagné d’un soupir de soulagement, qu’ils viennent tout juste de franchir le seuil de rentabilité, en cette deuxième année d’exploitation du domaine acheté en 2019.

Anyck Béraud a été dépêchée en Afrique du Sud du 28 février au 21 mars 2023.

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