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Rasty devant une pierre tombale.
Radio-Canada / Marie-Eve Bédard

Ils ont 20 ans. Ils sont chiites, sunnites et chrétiens. Et tous rêvent d'un Irak uni.

Un militaire se tient près du lieu de l'impact. Le sol est déformé.
Getty Images / Muhannad Fala'ah

Ils avaient à peine quelques mois et certains n’étaient même pas nés quand les États-Unis ont envahi leur pays et renversé Saddam Hussein.

Du dictateur, ils ne savent que ce que leur famille leur a raconté. Selon la personne qui relate l'histoire, l’homme fort de l’Irak était un tortionnaire, ou encore le seul dirigeant à pouvoir unir le peuple irakien et lui garantir la stabilité.

Leur enfance et leur adolescence ont été marquées par les contrecoups de l’invasion américaine de 2003.

Photo : Muhannad Fala'ah de Getty, 2010

Une statue de Saddam Hussein tombe devant un soldat.
Associated Press / Jerome Delay

La violence, le chaos, l'exil. Ils tutoient la mort qu’ils ont côtoyée plus souvent qu’on ne peut l’imaginer.

Selon l' Iraq Body Count , une ONG qui se consacre à répertorier les pertes humaines de différentes vagues de combats armés depuis 20 ans en Irak, pas moins de 200 000 Irakiens sont morts dans la violence.

Photo : Jerome Delay de l’Associated Press, avril 2003

Centre-ville bourdonnant d'activités.
Getty Images / AHMAD AL-RUBAYE

Alors qu’ils entament leur vie d’adulte, leur pays est plus calme.

Mais le lourd héritage qu’ils portent fait dire à ces jeunes de 20 ans, que nous avons rencontrés, que leur pays reste au bord de l’explosion, en quête d’une unité nationale qui leur échappe et d’un destin dont ils n’ont toujours pas la clé.

Photo : Ahmad Al-Rubaye

Le milicien chiite devant une pierre tombale.
Radio-Canada / Marie-Eve Bédard

Ali ou les armes en héritage

L’uniforme du milicien n’a jamais été un choix pour Ali Karim, Emraih Al Khashan Alhatam.

Son destin allait toujours être celui d’un homme qu’il a à peine connu. Son père, Karim, est mort alors qu’il n’avait que deux ans, tué par les soldats américains.

Photo d'Ali.
Radio-Canada / Marie-Eve Bédard

Après l’invasion des Américains, en 2004, le leader Moqtaka Al-Sadr a proclamé une résistance et un combat contre eux. Alors mon père, un jeune homme à l’époque, est allé les combattre. - Ali

Mon père avait un lance-roquettes. Pendant l’occupation, il se cachait près d’ici à Nadjaf. Quand il a tiré sur les Américains, ils l’ont retrouvé et un groupe de soldats est venu et ils l’ont abattu de trois balles. - Ali

Un milicien chiite dans une camionnette.
Radio-Canada / Marie-Eve Bédard

Ali n’avait que 16 ans quand il a officiellement pris les armes à son tour. Pour le jeune chiite, la parole du puissant Moqtaka Al-Sadr est parole d’évangile.

Moqtaka Al-Sadr s’est d’abord fait connaître après l’invasion américaine de l’Irak. Le dirigeant chiite avait alors formé sa propre milice. Elle a combattu violemment les troupes étrangères et a semé la terreur en Irak, accusée de mener des commandos de la mort contre les Irakiens d’autres confessions religieuses.

Aujourd’hui, les Américains ne sont plus des ennemis. Ceux qui restent sont les alliés de l’armée nationale et, par ricochet, de groupes armés qui ont combattu un nouvel envahisseur, l’État islamique. Mais la résistance reste essentielle, dit Ali.

Ali lit des documents.
Radio-Canada / Marie-Eve Bédard

Au nom de Dieu, nous luttons contre les oppresseurs, ceux qui sont contre la vérité, contre ceux qui nient les droits des pauvres, qui les combattent.

Si le gouvernement reste comme il est, il n’y a pas d’avenir. Le partage du pouvoir fait en sorte que tout le monde défend ses propres intérêts, ses profits. Ça pour les sunnites, ça pour les chiites. Ça divise, ça n’a aucun sens. - Ali

Portrait de Mohammed.
Radio-Canada / Marie-Eve Bédard

Mohammed et le démon du cancer

Le gouvernement, ce tyran. C’est ce que croit Mohammed Saratan, un jeune activiste qui se rappelle avoir foulé le sol de la place Tahrir en 2019 aux côtés de milliers d’autres manifestants.

Le jeune homme fait partie d'un petit groupe de protestataires juchés sur un mur.
Reuters / Khalid Al Mousily

Il espérait un changement radical de la gouvernance de son pays. Ses espoirs ont été brutalement éteints.

Quand nous sommes allés manifester, la répression était évidente, les meurtres, nous les avons vus. Huit cents personnes sont mortes, des martyrs. Des milliers d’autres ont été blessés, des milliers sont portées disparues.

Photo : Khalid Al Mousily/Reuters, décembre 2019

Une murale qui dénonce l'inaction de l'ONU en Irak.
Radio-Canada / Marie-Eve Bédard

Du haut de ses 20 ans, Mohammed a fondé une ONG qui vient en aide aux patients atteints de cancer. Une affaire personnelle pour lui.

Mohammed souffre d’une leucémie depuis l’adolescence. Une conséquence directe de la guerre, pense-t-il.

Il est loin d’être le seul convaincu que les quantités d’uranium appauvri et autres produits toxiques laissés derrière par les armes des Américains ont aujourd’hui de graves répercussions sur la santé des Irakiens.

Des soldats regardent dans des viseurs de fusils.
via reuters / US MARINES

Les statistiques du gouvernement montrent une hausse spectaculaire des cas de cancers, mais elles sont loin d’être exhaustives. De nombreuses études ont aussi documenté au fil des ans un taux alarmant de malformations congénitales et de grossesses avortées depuis 20 ans.

C’est une maladie chronique. Mon seul espoir, c’est une opération. Mais je pense que c’est autour de 60 000 dollars américains. Et je dois aller en Inde.

Photo : Marines des États-Unis

Mohammed devant une murale.
Radio-Canada / Marie-Eve Bédard

Il lutte pour sa survie. Mais son combat pour l’Irak n’en est pas moins vital. Les milices armées, l’ingérence étrangère, de l’Iran surtout, la corruption et l’incompétence sont autant de métastases qui rongent l’Irak.

Pendant les manifestations, je disais que ce sont eux les vrais cancers, qu’il faut les éliminer. Après, on pourra se débarrasser des cancers dans nos corps.

Haly tient le croix.
Radio-Canada / Marie-Eve Bédard

Hali, l’exil de chez soi

Hali est née à Bagdad tout juste après la chute de Saddam Hussein. Mais aujourd’hui, c’est à Erbil, capitale du Kurdistan irakien, qu’elle prie.

Les 20 dernières années en Irak n’ont été qu’une longue suite de traumatismes, de violence et d’exodes pour les communautés chrétiennes d’Irak. Avant l’invasion américaine, ils étaient environ 1 million et demi. Aujourd’hui, les chrétiens sont à peine 500 000, selon les estimations les plus optimistes.

Sa famille s’accroche à l’Irak, mais elle n’a plus revu le quartier de Bagdad où elle a grandi depuis 2012.

Portrait d'Hali.
Radio-Canada / Marie-Eve Bédard

Beaucoup de gens ont été tués, surtout des chrétiens. On leur a volé leurs maisons aussi.

Un oncle enlevé et assassiné, la maison familiale incendiée, des amis disparus. Elle raconte une enfance marquée par la violence sans jamais perdre le sourire.

Je me souviens qu’il y a eu une bombe dans notre école alors que nous n’étions que des enfants. Ils nous ont dit de rentrer chez nous. C’était un jour terrible. Je me souviens de la vitre éclatée et une fille a perdu ses yeux, elle ne peut plus voir.

Hali au lutrin.
Radio-Canada / Marie-Eve Bédard

L’histoire douloureuse des chrétiens allait se poursuivre avec l’arrivée des groupes djihadistes Al-Qaïda et l’État islamique.

Nous n’avons pas de problème avec les musulmans ou les gens d’autres religions. Ce n’est pas des Irakiens ordinaires dont on parle. Ils sont bienveillants, amicaux, ils sont bons. Mais ceux qui sont en haut de la pyramide sont ceux qui détruisent les relations entre les gens de différentes confessions et toute la société.

Une destruction qui se poursuit, croit-elle, encore aujourd’hui.

Portrait de Rasty.
Radio-Canada / Marie-Eve Bédard

Rasty, l’apatride par choix

L’Irak n’est pas un pays, dit Rasty, un jeune Kurde qui rêve d’indépendance pour son peuple, sans trop y croire.

Vous savez pourquoi nous ne sommes pas un pays? Parce qu’on n’est pas bons les uns avec les autres. Nous avons un cœur noir entre nous.

Une noirceur dont Rasty a pris conscience à la mort de son père. Il était dans les forces des peshmerga et combattait le groupe État islamique.

Un peshmerga pointe son arme.
Getty Images / JM LOPEZ

Il est mort loin de la ligne de front, assassiné en sortant de la mosquée après la prière du vendredi.

J’avais onze ans. J’étais un enfant. Je ne me souviens pas très bien. Je pleurais beaucoup. J’avais le cœur brisé.

Rasty agenouillé.
Radio-Canada / Marie-Eve Bédard

C’est une blessure qui l’afflige encore aujourd’hui. Les années qu’il a passées à travailler pour aider sa famille à survivre, sans aide des gouvernements, le rendent amer.

Depuis 20 ans, pas moins de 200 000 Irakiens ont perdu la vie dans les différents cycles de violence qui ont ponctué les courtes vies de ces jeunes que nous avons rencontrés. Une statistique un peu vide de sens dans toute sa magnitude.

Mais une à une, ces morts violentes sont un héritage lourd à porter pour ceux qui restent.

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