Au large de l’île de Vancouver, des Premières Nations prennent soin des jardins de mer, des structures rocheuses qui regorgent de palourdes.
La sécurité alimentaire et la lutte contre les changements climatiques ne sont pas les seuls objectifs de la revitalisation de la culture de ces mollusques, c'est aussi l'occasion pour de jeunes Autochtones de s'initier à cette pratique ancestrale.
Les bottes et les mains dans l’eau, ils cultivent un lien avec la nature et avec leurs racines.
Sous les eaux d’une plage de l’île de Russell, dans les îles Gulf de la Colombie-Britannique, se cachent des jardins de palourdes qui fascinent les scientifiques.
Lentement, la mer des Salish se retire de la plage et révèle un mur de roches. Ces aménagements sont présents en grand nombre le long de la côte ouest.
On les surnomme jardins de mer.
Ce genre d’endroits offre des occasions d’enseignements incroyables, car nos ancêtres les cultivent et s’en occupent de manière durable et sans relâche depuis des millénaires. Je pense que ces enseignements permettent d'imaginer et de repenser notre relation avec nos écosystèmes
, affirme Skye Augustine, de la Première Nation Stz’uminus qui restaure ces jardins de mer depuis ses 19 ans.
Elle en a également fait le sujet de son doctorat afin de mieux comprendre les effets de la gestion active de ces plages sur les écosystèmes.
Les murs piègent les sédiments et réduisent la pente de nos plages. Ils permettent d'obtenir ces jardins incroyables qui regorgent de nourriture à proximité de nos communautés [...] Ils doublent, voire triplent, l'habitat des palourdes et maximisent la vitesse à laquelle elles se développent
, explique-t-elle, alors qu’on entend le son des palourdes qui expulsent de l’eau alors que la marée baisse.
Ces jardins, autrefois entretenus régulièrement, ont été abandonnés pendant des décennies en raison de processus coloniaux. Nous avons expulsé les Autochtones d'un grand nombre de lieux sur la côte dont ils étaient les gardiens
, explique Anne Salomon, professeure d'écologie marine appliquée à l'Université Simon Fraser.
La scientifique ajoute que ce savoir ancestral existe depuis au moins 4000 ans et qu’il est important de le conserver.
Sur l’île Russell, la restauration de ces espaces est en place depuis 2008 grâce à un programme de Parcs Canada. L’un des objectifs du programme est de faire participer les jeunes des communautés autochtones.
Nous travaillons depuis longtemps à amener les enfants de notre territoire, de notre nation, ici dans ces espaces, leur faire découvrir la nature et leur enseigner quelques notions de science, mais surtout, les aider à comprendre qu'ils ont le droit d'être ici et d’interagir avec le travail de leurs ancêtres
, explique Nicole Norris, membre de la Première Nation Halalt, spécialiste en aquaculture et responsable de la communication intergouvernementale pour les Premières Nations de la région.
En prêtant main-forte à la revitalisation des lieux, les élèves de la Première Nation Stz’uminus ont accès à ces jardins de mer pour la première fois.
Ils découvrent la richesse de la vie marine autour du mur. La biodiversité attirée et cultivée dans cet espace va au-delà des palourdes : on y retrouve crabes, varech, algues, poissons, pieuvres et différentes espèces de mollusques
, explique Nicole Norris.
Nicole Norris explique que les parois rocheuses agissent un peu comme des réfrigérateurs. Elles permettaient d’assurer la sécurité alimentaire des Premières Nations le long de la côte. L'entretien de ces espaces doit toutefois être continuel, été comme hiver.
« Prendre soin de l'environnement, c’est comme s’occuper de sa maison. Cela demande énormément de travail. »
Un travail qui est une sorte de réconciliation des relations autant qu’une restauration écologique
, affirme Erin Slade, responsable de la revitalisation des jardins de mer à Parcs Canada.
L’objectif est de ramener les communautés dans ces endroits d’où elles ont été bannies, afin que cette génération apprenne ces méthodes pour les transmettre aux générations futures
, dit-elle.
C’est sous l'œil de l’un des derniers gardiens du savoir que les adolescents s'activent. Malgré certaines difficultés pour se déplacer, August Sylvester, de l’île Penelakut, un ancien pêcheur de mollusques autochtone, est fidèle au rendez-vous.
« Nos aînés nous quittent. Nous devons enseigner [aux jeunes] ce que nous savons, tant que nous avons un ou deux aînés pour le faire. »
Regardez ce que j’ai trouvé
, annonce Matthew en brandissant une palourde. Je peux la manger?
demande l’élève à un employé de Parcs Canada.
Nous ne sommes pas certains de pouvoir les manger
, répond ce dernier. Le mollusque ne le sera donc pas et retournera dans le sable.
Il reste du chemin reste à faire pour que la culture des palourdes de l’île Russell soit suffisamment sécuritaire pour nourrir les communautés qui en prennent soin.
La contamination est une préoccupation majeure avec les palourdes et tous les coquillages dans la zone sud des îles Gulf
, explique Erin Slade. Certaines intoxications dues à des contaminants peuvent même entraîner la mort.
La récolte sur ces plages est l'un des principaux objectifs, mais nous nous heurtons à des obstacles. Nous n’avons pas la capacité d’analyser les populations de palourdes dans toute la région.
Ce genre d’aménagement aquatique n’est pas unique, il en existe des dizaines de milliers, estime Anne Salomon, professeure d'écologie marine appliquée à l’Université Simon Fraser.
Nous ne savons toujours pas combien il y en a, car il y en a encore beaucoup qui restent à découvrir
, explique t-elle. Jusqu'à présent, environ 300 ont été repérés sur la côte ouest.
Chaque saison sur le terrain, l'excitation de trouver un jardin de palourdes est inégalable, car c'est comme trouver une pyramide ou un tombeau égyptien
, raconte Anne Salomon.
Les recherches de son équipe ont démontré que les sédiments piégés par les murs permettent aux palourdes d’être plus fraîches en été, lorsqu'elles sont exposées à des événements climatiques extrêmes, et plus chaudes en hiver
.
En agissant sur les températures, ces étonnantes innovations ancestrales constituent une information clé pour nous permettre de nous adapter au changement climatique
, dit la chercheuse.
L'équipe prévoit donc de simuler un dôme de chaleur et de mesurer la résistance des palourdes, en mesurant entre autres leur rythme cardiaque. Les résultats obtenus sur les mollusques provenant des jardins de mer seront comparés avec ceux des palourdes qui ne sont pas protégées par ces murs afin de mieux comprendre les effets de ces derniers.
Le niveau de la mer a beaucoup fluctué au cours des derniers milliers d'années. Nous avons donc des endroits en Colombie-Britannique où le niveau de la mer baisse et expose les jardins de palourdes et les assèche. Nous avons des endroits où le niveau monte et en recouvre certains
, explique Anne Salomon.
Pendants des milliers d'années, les communautés autochtones se sont adaptées à ces changements. Nos ancêtres ont construit le mur de roche de plus en plus près du rivage en réponse à cela
, dit Skye Augustine.
Cette manière de gérer l'environnement peut également jouer sur notre perception de l’influence humaine sur la nature. Cela démontre que, lorsque les humains interagissent avec l'environnement en tant que partie intégrante de la nature, on peut obtenir ces systèmes vraiment riches
, dit Anne Salomon.
Erin Slade affirme que le maintien des jardins de mer a vraiment changé la façon dont elle voit ces endroits.
« Le simple fait d'être là et de se soucier de ces écosystèmes est aussi important que la collecte de données. »
Les élèves ont repris la route, et les eaux remontent doucement sur la plage.
Skye Augustine et Nicole Norris en profitent pour modifier l’emplacement de quelques roches. Les larmes aux yeux, Nicole Norris semble pensive. Le moment le plus émouvant pour moi, c’est de savoir que les ancêtres dont je suis la descendante ont probablement touché cette roche et je me demande toujours si mes empreintes se lient aux leurs. C'est ce qui rend cet endroit spécial
, conclut-elle.
Elle espère que les générations futures poseront également leurs empreintes sur les siennes et continueront ce travail de protection des écosystèmes de la côte qui se poursuit depuis des millénaires.