
Les migrants hébergés au temple des Ambassadeurs de Jésus fondent beaucoup d'espoir sur l'engagement de la Maison-Blanche à rouvrir enfin la frontière d'ici la fin du mois. Mais rien ne garantit qu’ils seront acceptés dans le pays tant désiré.
Texte et photos : Frédéric Arnould

Fermée il y a deux ans par l’administration Trump sous prétexte de pandémie, la frontière américaine est restée depuis presque hermétiquement close, malgré les promesses de Joe Biden. Celle qui sépare Tijuana, au Mexique, de San Diego, aux États-Unis, ne fait pas exception.
C’est là qu’attendent depuis des mois des centaines de migrants d’Amérique centrale, dans l’espoir d’émigrer vers un avenir meilleur.

Dans un quartier très pauvre de Tijuana, le temple des Ambassadeurs de Jésus sert de refuge pour quelque 500 à 700 migrants.
Ils ont tous à peu près la même histoire à raconter, celle d’avoir quitté un pays où la pauvreté, la peur et la violence n’étaient plus supportables.

Des dizaines et des dizaines d’enfants s'amusent comme ils peuvent dans la rue aux abords du refuge en lançant des cailloux dans la petite rivière voisine qui charrie des eaux usées.
Les mois d'attente ne semblent pas avoir trop entamé leurs espoirs d’une vie meilleure.

En suivant Justin, 10 ans, qui a fui le Salvador avec ses parents, on découvre les conditions de vie difficiles dans ce refuge où les bénévoles font ce qu’ils peuvent pour leur donner le gîte et le couvert, dans l’attente que leur dossier d’immigration familial soit déposé ou accepté par les États-Unis.
Il nous emmène à sa chambre, en fait un lit qu’il occupe depuis neuf mois avec son père et sa mère. Dormir à trois sur le même matelas, dans la chaleur étouffante du jour et le froid de la nuit, c’est le lot de beaucoup de familles ici.

Derrière chaque lit se cachent les destins peu enviables de migrants qui ont tout perdu et qui espèrent toujours.
Vanessa Esquivel, une Mexicaine de Tijuana qui donne un coup de main à tous ces enfants de réfugiés et de demandeurs d’asile, nous fait visiter l’endroit.

Certaines chambres ont un peu plus d’espace pour que les enfants puissent bouger un peu, alors qu’ici c’est plus sombre, avec plus de lits
, souligne-t-elle.
Ces familles essaient d’avoir un semblant de vie privée en se cachant derrière des couvertures pour s’isoler. Elles mettent tout ce qui leur reste comme biens au-dessous du lit.

Il y a tellement de bruit, à toute heure du jour et de la nuit, qu’il est difficile de dormir, surtout quand de jeunes enfants pleurent autour.
Les migrants sont entassés dans une promiscuité extrême qui rend chaque journée interminable.

Sans trop de moyens, le refuge leur offre les services minimums pour garder un semblant de dignité.
On fait ainsi la file pour recharger son téléphone afin de garder le contact avec tous ceux laissés derrière. On prépare aussi sa nourriture en quantité industrielle sur un simple poêle à bois, car il n’y a pas assez d’électricité pour fournir à la demande.

Quant à la lessive, chacun attend son tour pour laver ses vêtements à la façon des temps révolus, en frottant son linge sur la pierre avec du savon.
Le quotidien des migrants se résume à attendre, attendre et attendre encore que s’ouvrent les portes du rêve américain.

Walter Campos est de ceux qui essaient de s’adapter à ces conditions difficiles. Il a quitté le Honduras parce qu’il a été menacé dans son école par un homme armé qui a tiré un coup de feu.
Son dossier d’immigration allait enfin être examiné, après des mois d’attente, lorsque les États-Unis ont soudain fermé leur frontière aux migrants, au début de la pandémie. Cela fait très longtemps que j’attends et, jusqu’ici, je n’ai eu aucune réponse.

Depuis, pour tuer le temps, il enseigne à des enfants migrants dans une petite école, à côté du refuge.
Le fait de leur enseigner les mathématiques lui permet de se distraire, de penser à autre chose et de se relaxer mentalement.

L'école accueille une centaine d’élèves de 3 à 11 ans. On y apprend des comptines, à peindre ce qu’on aime ou encore à découvrir la géographie, l’histoire et les mathématiques, tout ce qui peut les rapprocher d'une vie normale.
Dans la cour arrière en terre battue, il y a des balançoires parmi d’autres jeux.
Depuis son ouverture, le nombre d’élèves a quadruplé, il est passé de 25 à 108 par jour, et l’école pense en accueillir prochainement 300.

Pour Lindsay Weissert, PDG de PILAGlobal, qui a mis sur pied cette école appelée Nest, le nid, c’est le seul endroit où les enfants peuvent enfin se sentir en sécurité.
Ils n’ont pas eu l’occasion d’être des enfants, ils ont dû jouer un rôle d’adulte, en s’occupant de leurs jeunes frères et sœurs, en marchant pendant des semaines pour se rapprocher de la frontière. Et, croyez-le ou non, nous avons des enfants et des familles qui sont ici depuis presque 18 mois. C’est une bonne chose qu’ils traversent bientôt la frontière des États-Unis, mais je m’attends à ce qu’il y ait de plus en plus d’enfants et de familles qui se retrouvent ici.

Parties du Guatemala, Mariflor et Valeria, sa fille de 4 ans, ont eu plus de chance. La jeune maman vient de recevoir un appel des autorités américaines confirmant l’acceptation de sa demande d’immigration. Elle ne croyait plus au miracle.
Il y a eu un moment où tout s’est arrêté, il n'y avait plus d’espoir. À un moment, j’ai appelé ma mère et je lui ai dit : "je reviens". Elle m’a dit : "tu as attendu longtemps, tu peux encore attendre un peu. Et le miracle est arrivé."
Une famille qui peut enfin quitter le refuge et l’école, c’est une victoire en demi-teinte ici. Sera-t-elle en sécurité? L'inquiétude demeure chez les éducateurs et les responsables.
Walter, qui a enseigné toute sa vie, ne sait pas ce qui va lui arriver, et juste à y penser, il devient très émotif. Je suis vraiment passionné par ce travail d’enseignant, j’ai ça dans les tripes, j’y ai mis tout mon cœur, j’ai laissé ici une trace. C’est dur, mais c’est la vie…
Le jeune Justin, lui, a l'espoir chevillé au corps et croit, dur comme fer, qu'il pourra bientôt émigrer aux États-Unis, où il deviendra avocat pour aider d'autres migrants.