
Étienne Leblanc, envoyé spécial à GLASGOW, Écosse – Disparues ou assassinées, les femmes autochtones sont les premières victimes de l’exploitation des ressources énergétiques sur leurs terres.
Photos : Étienne Leblanc, Getty Images/AFP/Orlando Sierra, Indigenous Climate Action

Dans la nuit du 2 au 3 mars 2016, alors que Berta Cáceres rentre à son domicile, à La Esperanza, au Honduras, des inconnus lui tirent dessus : elle est assassinée. Victime d’intimidation depuis plusieurs années, elle ne comptait plus les menaces de mort qu’elle avait reçues. Jusqu’à ce que ses détracteurs passent aux actes.
La militante hondurienne, une Autochtone de la nation Lenca, se battait contre la construction d’un barrage hydroélectrique sur le fleuve Gualcarque. La structure allait priver d’eau des centaines d’habitants. L’enquête a montré que les commanditaires du meurtre se trouvaient au sein même de la compagnie qui développait le barrage.
Contrairement à l’histoire de Berta Cáceres, les assassinats et les disparitions des femmes autochtones qui s’opposent aux projets de développement énergétique sur leurs terres ne font pas toujours les manchettes.

Des femmes autochtones des deux Amériques profitent de la tribune de la conférence des Nations unies sur le climat pour mettre en lumière le sort horrible réservé aux femmes, qui sont en première ligne pour protéger leur territoire contre l’exploitation des ressources et des mines.

Venue d’Équateur, Nemo Guiquita est une jeune femme huaorani qui habite dans la forêt amazonienne, en Équateur, où des compagnies exploitent les ressources pétrolières qui se trouvent sous le sol de la riche forêt tropicale.
Les gens ont peur, parce que quelques femmes ont disparu dans la région depuis quelques années. L’exploitation pétrolière en Équateur gruge notre forêt et pollue nos rivières. Il ne nous reste plus de terre pour faire pousser notre nourriture.
C’est pour ça que les femmes se battent, parce que ce sont elles qui en subissent d’abord et avant tout les conséquences, parce que sont elles qui s’occupent de l’eau et de la nourriture.

Rosa Marina Flores Cruz est venue à Glasgow de son Oaxaca natal, dans le centre du Mexique, pour faire entendre son opposition aux grandes fermes d’éoliennes qui poussent un peu partout sur le territoire de sa nation autochtone.
En 2020, deux femmes ont été violemment assassinées dans le village de San Mateo del Mar. Elles s’opposaient ouvertement au mégaprojet de 396 mégawatts d’énergie éolienne dans la région.
Nous sommes en danger, parce que nous nous opposons aux grandes compagnies européennes qui développent cette énergie. De l’énergie qui n’est pas pour nous, mais qui servira à faire de l’argent. [...] Nous avons besoin de nos terres, parce qu’elles nous permettent de faire pousser notre nourriture.

Mireya Gualinga est une Kichwa de la communauté de Sarayuku, en plein cœur de l’Amazonie équatorienne. C’est la plus grande forêt tropicale du monde. Mais dans sa région, elle disparaît très rapidement, au profit du développement minier et de l’exploitation du pétrole.
Il y a du pétrole sous nos pieds et c’est là que nous voulons qu’il reste. Car même si le gouvernement est tenu par la loi de nous demander la permission pour exploiter les ressources sur notre territoire, il ne le fait pas.
À la faveur des changements climatiques, il y a des inondations maintenant. Les moustiques se reproduisent dans les eaux stagnantes et de nouveaux parasites se développent.

Les racines de Karla Hernandez-Mats sont au Honduras, où vit une bonne partie de sa famille. Bien établie à Miami, elle s’est déplacée à la COP26 pour amplifier la voix de ses proches, des Autochtones qui font partie des milliers de migrants honduriens qui sont forcés de quitter leur terre à cause de l’exploitation minière et des effets des changements climatiques.
Le territoire est complètement bouleversé, il y a des inondations très souvent maintenant. Et comme il y a de plus en plus d’ouragans, qui font de plus en plus de dommages, la situation est intenable.
On se bat pour ça, mais la voix des peuples autochtones au Honduras ne vaut rien, personne ne nous écoute. Ma famille se fait toujours menacer d’expropriation, c’est un stress insoutenable.

Ces femmes sont réunies à Glasgow pour la même raison : les effets de l’exploitation du gaz naturel sur leur territoire respectif.
Elles viennent de l’Oklahoma, l’un des endroits aux États-Unis où les gisements de gaz de schiste se sont développés le plus rapidement.
De nombreux conflits ont éclaté. Les groupes autochtones locaux s’opposent aux développements à outrance de compagnies gazières et pétrolières, bénéficiant de l'appui des autorités locales. En Oklahoma, les activités de fracturation hydraulique ont été si nombreuses que des tremblements de terre y seraient reliés.

Casey Camp-Horinek est une aînée de la nation ponca en Oklahoma. L’expansion rapide de l’activité gazière dans la région a eu de graves conséquences sociales sur son peuple. C’est les larmes aux yeux qu’elle raconte l’histoire de sa région.
Ils sont arrivés avec leurs camions. Les camps de travailleurs ont poussé comme de petits pains chauds. Des groupes d’hommes se sont installés dans les motels, ils trafiquaient de la drogue… Et nos femmes, ils les traitaient comme des objets jetables. [...] Plusieurs d’entre elles ont disparu. Elles se sont fait kidnapper, on nous les a volées. C’est la fin pour elles.
« Ils ont volé notre passé, ils ne voleront pas notre avenir. »

Les mêmes histoires ou presque sortent de la bouche de Bineshi Albert, Anishnabe par sa mère canadienne et Yucci par son père de l’Oklahoma.
À cause de la frénésie du gaz de schiste, les femmes de notre communauté sont à l’image de la nature, c’est-à-dire jetables après consommation.
Les voix de ces femmes doivent être entendues dans un événement sur les changements climatiques comme la COP. Parce que les industries qui sont responsables de la destruction de la planète sont les mêmes qui sont responsables de la disparition de plusieurs de nos femmes de notre communauté.
Étienne Leblanc, Glasgow, Écosse.