Comme l’arôme du pain dans une boulangerie, c’est l’odeur du métal qui nous accueille dans le petit atelier du coutelier Dave Fortin, caché depuis presque 20 ans dans le quartier Saint-Jean-Baptiste, à Québec.
Photoreportage de Maxime Corneau

Le dos voûté devant sa table de travail, celui que l’on surnomme Deva polit patiemment une lame qu’il a créée de toute pièce. « Une chemise blanche dans une forge? Ce n’est pas l’idéal », me lance-t-il en m’accueillant. Visiblement, ses commentaires sympathiques sont aussi tranchants que ses couteaux.
Dave est un personnage bien connu dans les cuisines des grandes tables de Québec et du monde, notamment au Château Frontenac et au Reine Elizabeth. Une cargaison de ses couteaux vient d’ailleurs tout juste de partir pour la Chine dans les valises d’une chef de Shanghaï tombée sous le charme de ses lames.
Dave Fortin est un spécialiste de l’acier damassé. Comme un confiseur qui mélange différentes couleurs pour créer un bonbon torsadé, il plie, pétrit et mélange différents métaux afin de donner à son acier une texture et un motif unique.
« Je me considère comme un peintre. Les résultats de mes lames, je les considère comme des tableaux métallurgiques. Les alliages sont comme des pigments de peinture. Chaque alliage a sa couleur, dépendamment de son taux de nickel, de chrome, de molybdène, de carbone. »
Au creux de ses mains, l’artisan présente une barre de fer qu’il a fusionnée à partir de plusieurs métaux pendant des jours. Cette barre inerte se transformera d’ici quelques semaines en lames fabuleuses, dont il ignore les motifs. Ce long processus a sa part de mystère.
« On est maître de tous les éléments de départ, mais on a une belle surprise à la fin ». La fin, c’est généralement le trempage de la lame dans l’acide qui fera réagir tous les métaux à leur manière. « Par corrosion différentielle, on révèle des couleurs et des textures différentes. »
Lorsque l’on observe Dave frapper le métal chauffé à blanc dans sa forge, on imagine facilement les siècles de connaissances qu’il reproduit dans ses gestes maîtrisés.
Bien que l’image de l’artisan à l’oeuvre semble appartenir à une autre époque, Dave Fortin s’intéresse à la structure atomique de ses aciers : c’est là où réside son savoir-faire.
« Une des choses les plus importantes dans un couteau, c’est ce qu’on ne voit pas. C’est la structure atomique interne de l’acier. »
L’acier a plusieurs phases comportant chacune leur structure moléculaire. C’est grâce à une succession de chauffages précis et de refroidissements contrôlés que le coutelier donnera à l’acier la dureté souhaitée. Le couteau de chef nécessite une lame dure pour qu’il conserve son tranchant; l’acier de la hache sera plus souple pour résister aux impacts.
Après 25 ans à peaufiner son art, Dave Fortin détaille ses couteaux entre 500 $ et 2500 $. Ces tarifs n’effraient pas les clients, qui sont nombreux sur sa liste d’attente qui s’allonge. Le processus de création prend du temps. Le coutelier produit moins de 150 couteaux par année.

« Le deux tiers de tout ce que je vends, ce sont des gens passionnés par la cuisine, pas nécessairement des professionnels », dit-il fièrement. La passion de ses clients nourrit la sienne et il s’agit sans doute de la recette de son succès.
Maxime Corneau journaliste et photographe, Olivia Laperrière-Roy conceptrice, Caroline Gaudreault chef de pupitre, Louis Émond réviseur.