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J’ai pensé: “Je peux mourir aujourd’hui.’’ C’est pour ça que je me suis dit que j’allais filmer. J’avais peur pour ma vie.
Encerclé par des policiers pointant leurs fusils sur lui, Hèzu Kpowbié a sorti son téléphone pour filmer son arrestation. Un réflexe partagé par un nombre grandissant de citoyens, pour qui le cellulaire est devenu en quelque sorte une arme de défense contre les abus policiers.
Attention, les images qui suivent peuvent heurter la sensibilité d'un public non averti.
Je paniquais. Je me suis dit : "Il va me tirer dessus."
Le 15 septembre 2019, Hèzu Kpowbié regarde une partie de baseball dans un parc de Repentigny quand une voix l’interpelle : Laisse tomber ton couteau! Il se retourne et se retrouve face à un policier, son pistolet dégainé.
Hèzu Kpowbié
Photo : fournie par Hèzu Kpowbié
Un citoyen a appelé le 911 pour dénoncer la présence « d’un homme de race noire » tenant « un long couteau ». Hèzu tient à la main l’ouvre-lettres qu’un ami de son fils a laissé tomber. C’est d’ailleurs ce qu’a tenté d’expliquer aussitôt la bande d’enfants paniqués. Sans succès, se souvient Hèzu. Le policier a refusé de baisser son arme.
Dans la tête d’Hèzu, c’est le néant. La peur le gagne, des images d’hommes noirs abattus lors d’interventions policières défilent devant ses yeux. Cette peur l’habitera des mois durant.
Instinctivement, il sort son téléphone et commence à filmer alors que le policier est rejoint par deux autres agents. Trois pistolets sont maintenant braqués sur lui. Au moins, si quelque chose m’arrive, pense-t-il, ma famille pourra regarder ce qui s’est passé. La vidéo va parler d’elle-même.
Hèzu Kpowbié ignore comment aurait tourné l’intervention s’il n’avait pas décidé de la filmer. Il a cependant vu le comportement du policier changer devant l’objectif.
« Le policier avait son arme pointée sur moi, directement. Mais quand j’ai sorti mon téléphone et que j’ai commencé à filmer, je peux vous dire que sa main a légèrement baissé. »
Il ne comprend pas pour quelle raison les policiers sont intervenus de façon si brutale ni pourquoi ils lui ont donné une contravention pour possession d’arme blanche. Il n’était pourtant pas menaçant. Le gardien du parc et la personne qui a fait l’appel au 911 l’ont confirmé plus tard à la cour municipale.
Pourquoi il me braque un pistolet dessus? se rappelle-t-il s’être demandé. Pourquoi il ne vient pas me parler? Un coup de feu peut partir à tout moment et je pense aux enfants qui sont là, à côté de moi. Il va les traumatiser.
La voix de l’homme d’origine togolaise se noue lorsqu’il évoque la terreur des trois enfants qui ont assisté à son arrestation et vu le policier l'écraser d’un genou au sol le temps de le menotter. Il revoit son fils de huit ans trembler sur son vélo. Il en a fait des cauchemars pendant des semaines, mais refusait de lui reparler des événements, se rappelle Hèzu.
Il aura fallu la vidéo de l'arrestation létale de l’Afro-Américain George Floyd, neuf mois plus tard, pour que son fils sorte de son mutisme. Le sujet venait d’être abordé en classe, et rentrant de l’école il s’est exclamé : Papa, ce qui t’est arrivé, c’est arrivé à quelqu’un aux États-Unis qui est décédé!
Un coup dur pour Hèzu Kpowbié, qui aurait préféré ne pas aborder si vite la question du racisme avec son jeune fils. Oui, ce qui m’est arrivé au parc, ça m’est peut-être arrivé plus à moi parce que j’étais Noir. Ça aurait pu être un Blanc et le policier n’aurait pas agi de la même façon. Mais il ne faut pas s’arrêter à ça.
Hèzu KpowbiéPhoto : Offerte par Hèzu Kpowbié
Accusé de possession d'arme blanche, Hèzu a été acquitté en cour municipale. Sa vidéo n’a pas été présentée au juge, qui a convenu qu’il s’était tout simplement comporté comme tout bon citoyen, qu’il avait agi en gardien de parc, voire en officier de police en ramassant l’ouvre-lettres.
Qu’est-ce qu’on peut lui reprocher? Rien du tout, si ce n’est que de le féliciter d’avoir pris cette arme-là sur lui pour protéger les autres, a déclaré le juge.
La courte vidéo ne permet pas de voir une autre scène qui se serait déroulée dans l'autopatrouille, une fois Hèzu menotté. Selon lui, les policiers auraient alors tenté de supprimer la vidéo de son téléphone.
« Ils riaient entre eux, et j’entends un des policiers dire à l’autre : "T’as juste à faire "delete" et c’est parti.” J’ai compris qu’ils parlaient de la vidéo que j’avais prise. Apparemment, ça les agaçait. »
Le policier aurait toutefois abandonné lorsqu’il se serait rendu compte que l’appareil était verrouillé.
En brandissant son téléphone le jour de son arrestation, ce père de famille de Repentigny estime qu'il a ainsi pu documenter un authentique cas de profilage racial.
Plus il y aura de vidéos montrant des interventions policières comme celle dont il a fait l’objet, plus il y aura de preuves de l’existence de la brutalité policière ou du profilage racial, croit-il.
Et quand je dis des preuves, insiste-t-il, c’est des preuves des deux côtés. Ça peut être un citoyen qui est dans le tort aussi bien qu’un policier qui est dans le tort. Mais plus il y a de vidéos, plus on a le fin mot d’une histoire.
Radio-Canada
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Photo: Vidéo d'une intervention policière Crédit: Radio-Canada
Radio-Canada
Photo: C'est notre seule arme, ils ont braqué leur caméra sur les abus policier Crédit: Radio-Canada
Éclairer une zone d’ombre
Le cas d’Hèzu n’est pas unique. Nous avons répertorié 81 autres cas canadiens d’interventions controversées filmées par des citoyens. Six d’entre eux nous ont raconté leur histoire.
C’est que les Canadiens sont de plus en plus nombreux à sortir leur téléphone pour dénoncer publiquement ce qu’ils considèrent être des interventions policières violentes, injustifiées ou de nature raciste. Un geste par ailleurs parfaitement légal.
Sans l’appui d’une vidéo, estime Hèzu, souvent, c’est la version des policiers qu’on croit, un avis qu’il est loin d’être le seul à partager. Si on est dans une situation qui n’a pas été captée, c’est notre parole contre celle d’une institution. Et aux yeux de la justice, la police a un plus grand poids qu’un simple citoyen, soutient Adis Simidzija, un des vidéastes amateurs à qui nous avons parlé.
« Le citoyen est plus vu comme étant un menteur que le policier. »
Les données détaillées sur l’usage excessif de la force ou le profilage racial par les corps policiers canadiens ont de tout temps été difficiles, voire impossibles à obtenir.
C’est pourquoi la vidéo citoyenne s’est graduellement imposée comme un outil crucial pour se défendre ou pour dénoncer une situation.
Si on ne constate pas d’augmentation marquée des condamnations de policiers au criminel pour usage excessif de la force, elle a cependant fait naître un grand débat sur le travail des forces de l’ordre.
D’un côté, un nombre grandissant de personnes se servent des vidéos pour remettre en question les pratiques policières et demandent à ce qu’on repense les manières d’intervenir, notamment auprès des personnes racisées et des personnes en crise.
De l’autre, les policiers craignent que leur travail soit mal compris et mal interprété. Ils appellent à plus de nuances lorsque sont diffusées ces vidéos qui ne donnent pas toujours tout le contexte de leur intervention.
Chose certaine, elles permettent au grand public de voir des scènes qui jusqu’ici leur échappaient.
Avant l’ère numérique, l’interprétation de l’usage excessif de la force était laissée entre les mains des policiers, des avocats, et des juges. Tout avait lieu loin du regard du public, rappelle Christopher Schneider, professeur en sociologie à l’Université Brandon au Manitoba. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Ces vidéos ont un effet indéniable sur la façon dont le public perçoit désormais le travail policier, estime le criminologue Rémi Boivin. Si on montre la vidéo de George Floyd qui se fait maltraiter par la police, ça va amener une majorité à avoir des sentiments antipolice, donne-t-il en guise d’exemple.
La toute première vidéo virale montrant de la brutalité policière a été captée le 3 mars 1991 à Los Angeles. George Holliday, un simple témoin, filme à l’aide d’un caméscope une intervention policière à partir de son balcon. Pendant neuf minutes, des policiers blancs battent à coups de matraque, menottent et emmènent Rodney King, un homme noir.
Rodney King
Photo : George Holliday
Accusés d’usage excessif de la force, les policiers seront acquittés, un an plus tard, par un jury majoritairement blanc. Los Angeles est aussitôt le théâtre de violentes émeutes.
Les manifestants sont sidérés : avec une telle preuve visuelle, pourquoi les policiers n’ont-ils pas été condamnés?
Depuis, il y a eu les cas des Afro-Américains Oscar Grant, Eric Garner, Walter Scott, Philando Castile, George Floyd, tous tués lors d’interventions policières, leurs derniers moments filmés et diffusés en boucle à la télévision et sur les réseaux sociaux. Tous ayant suscité de grandes manifestations contre la brutalité policière, avec une mobilisation record dans la foulée de la mort de George Floyd, asphyxié sous le genou d’un policier de Minneapolis.
Le moment Rodney King du Canada
Au pays, aucune vidéo de brutalité policière n’a jusqu’ici provoqué de mouvements de cette envergure. Cela n’empêche pas ce qui se passe aux États-Unis d’influencer souvent l’opinion et les débats au Canada, même si les réalités sont différentes, souligne le criminologue Rémi Boivin. Il n’y a qu’à penser, par exemple, à la formation des policiers, parfois plus sommaire au sud de la frontière.
Plusieurs vidéos canadiennes ont toutefois entraîné une onde de choc au sein de la population.
Robert Dziekanski
Photo : Paul Pritchard
Au Canada, la première vidéo à avoir suscité l’indignation est celle montrant la mort du Polonais Robert Dziekanski. Elle a été filmée le 14 octobre 2007 par Paul Pritchard, alors qu’il attendait son vol à l’aéroport de Vancouver. Voyant un homme semblant en détresse psychologique s’agiter devant le personnel et les agents de la GRC, M. Pritchard, un simple citoyen, a commencé à filmer. Il ignorait qu’il s'apprêtait à documenter les derniers instants de Robert Dziekanski, mort après avoir reçu cinq décharges de pistolet électrique.
C’était le moment Rodney King du Canada, croit Gregory Brown, ex-policier et professeur auxiliaire de recherche à l'Université Carleton. Mais c’est aussi le moment où les policiers [au Canada] ont réalisé qu’ils pouvaient être filmés à n’importe quel moment.
Depuis, le nombre de ces vidéos citoyennes a augmenté en flèche. De nouvelles technologies et l’avènement des réseaux sociaux ont non seulement facilité la prise d’images, mais aussi leur diffusion à grande échelle.
Nous avons recensé 81 cas au Canada dans lesquels des vidéos ont permis de montrer des arrestations violentes ou encore des cas allégués de profilage racial et qui ont fait l’objet d’une couverture médiatique ces 13 dernières années. Selon plusieurs experts, ce n’est que la pointe de l’iceberg.
Malgré nos démarches auprès des corps policiers, nous n’avons pu avoir accès aux données qui nous auraient permis d’établir l’ampleur exacte de ces phénomènes. Notre analyse ne prétend pas représenter l'entièreté des cas canadiens, mais elle permet toutefois de dresser certains constats.
Selon notre échantillon, les personnes racisées sont surreprésentées. Près de 60 % des 81 cas concernent des membres de groupes minoritaires : 25 sont noirs, 13 sont autochtones et 11 sont issus d’autres groupes ethniques.
Ce constat recoupe l’analyse de Kanika Samuels-Wortley, professeure adjointe à l’Institut de criminologie et de justice criminelle à l’Université Carleton. Selon elle, si l’on voit autant de personnes racisées dans ces vidéos, c’est justement parce que pendant longtemps, il n’y a pas eu de données sur le profilage racial sur lesquelles s’appuyer, cette réalité n’étant pas suffisamment documentée par les services de police.
Kanika Samuels-Wortley, professeure à l'Institut de criminologie de l'Université CarletonPhoto : Offerte par Kanika Samuels-Wortley
La police n’offre pas de données basées sur la race. Elle dit ne pas les collecter, alors on ne peut pas les voir, explique-t-elle. Mais maintenant, à l’ère des médias sociaux, [la vidéo] est employée pour réfuter l’argument selon lequel il n’y aurait pas de racisme au Canada et au sein de la police. Les gens s’en servent pour prouver ce qu’on dénonce depuis si longtemps. La voici. C’est notre preuve.
Je crois qu’encore dernièrement, beaucoup de gens disaient que ça ne se produisait pas ici, ce type de brutalité policière, qu’on voit seulement ça aux États-Unis, renchérit Will Prosper, pour qui les vidéos citoyennes permettent de démentir ces affirmations.
Ces vidéos soulèvent aussi des questions sur la manière d’intervenir auprès de personnes vulnérables. Sept d’entre elles concernent des personnes en crise ou ayant des problèmes de santé mentale – dont trois sont mortes durant l’intervention policière. Six montrent des interventions violentes auprès de personnes en situation d’itinérance.
Même au Canada, le cas de George Floyd aux États-Unis semble avoir donné un nouveau souffle au phénomène des vidéos citoyennes. On observe une augmentation considérable du nombre de vidéos dans les médias depuis l’année dernière : 31 des 81 cas canadiens recensés ont fait surface en 2020 et au début de 2021, avec une concentration plus marquée au cours de l’été 2020, soit peu après la diffusion de la mort de Floyd.
Et chacune a sa propre histoire.
Radio-Canada
Photo: C'est notre seule arme, ils ont braqué leur caméra sur les abus policier Crédit: Radio-Canada
Filmer le racisme
Kenrick McRae a l’habitude des interventions injustifiées. Les ennuis ont débuté pour ce Montréalais noir il y a 10 ans, quand il a fait l’acquisition d’une voiture de luxe : une Mercedes-Benz. C’est là que les gyrophares bleus et rouges ont commencé à se multiplier dans son rétroviseur, se rappelle-t-il.
Plusieurs fois par mois, dit-il, les policiers trouvaient une excuse « bidon » pour l’interpeller et ensuite vérifier si son véhicule lui appartenait bel et bien. Kenrick McRae est convaincu qu’il s’agit de profilage racial.
À l’époque, il n’y avait encore aucun rapport témoignant de l’existence de profilage racial au sein du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Ce n’est qu’en 2019 qu’un rapport, pour une première fois, révélera que les personnes noires et autochtones ont entre quatre et cinq fois plus de chances d’être interpellées par la police que les personnes blanches; les personnes arabes, deux fois plus.
C’est pourquoi Kenrick a choisi d’amasser ses propres preuves.
Il a installé un appareil photo numérique sur son tableau de bord, déterminé à capter les scènes qu’il jugeait injustes. Il en a filmé une, puis deux, puis trois… puis quinze. Puis, il y a trois ans, toutes ces vidéos ont été illégalement supprimées par des policiers.
Kenrick McRaePhoto : CBC/Matt D'Amours
Le 3 mars 2017, deux policiers ont interpellé Kenrick McRae alors qu’il ramenait sa petite amie du travail. Ils ont vérifié que la voiture lui appartenait, et après avoir constaté que tout était en ordre, ils lui ont dit qu’aucune lumière n’éclairait sa plaque d’immatriculation, ce qui contrevient au code routier.
Kenrick McRae n’en a pas cru un mot. En fait, les policiers l’ont si souvent intercepté pour des lumières supposément « défectueuses » qu’il a pris l’habitude de vérifier chacun de ses feux avant de quitter son domicile et a même installé une troisième lumière au-dessus de sa plaque d’immatriculation.
Ce jour-là, exaspéré, Kenrick McRae est sorti filmer sa propre plaque pour prouver que les policiers mentaient. Pour lui, c’était la fois de trop. Il les a prévenus qu’il allait porter plainte en déontologie.
En réponse, Kenrick dit que les agents l’ont plaqué sur la voiture. Ils lui ont passé les menottes, l’ont placé en état d’arrestation et ont confisqué sa caméra pour ensuite s’installer dans la voiture de patrouille et effacer les traces de l’altercation.
Sauf qu’ils n’ont pas seulement supprimé la vidéo de ce qui venait de se dérouler. Tout le contenu de la carte mémoire a été effacé : les précédentes interpellations captées par Kenrick McRae, ses souvenirs de famille... Et c’est la disparition de ce volet personnel que l’homme peine encore à avaler, lui qui voit très peu ses enfants depuis son divorce.
« C’était ma façon de les voir, de me rappeler ces souvenirs. Et ils m’ont arraché ça, parce qu’ils voulaient sauver leur peau. »
Kenrick McRae a été relâché sans accusations, et a porté sa cause devant la Commission à la déontologie policière du Québec. Et même si sa propre vidéo avait été supprimée, il a pu présenter une autre preuve à l’appui : par chance, sa petite amie avait eu le réflexe de filmer une partie des événements.
Kenrick McRae
Photo : fournie par Kenrick McRae
D’après la procureure qui a défendu Kenrick McRae, la vidéo a certainement été un petit plus venant corroborer sa version des faits. L’homme est convaincu que sans elle, personne ne l’aurait cru.
Les deux policiers ont été reconnus coupables respectivement de neuf et sept chefs d’accusation, dont profilage racial, usage illégal de la force et suppression sans droit du contenu de la caméra. Leur sentence est tombée à la fin du mois d’août dernier : 13 jours de suspension sans solde chacun, dont 5 pour profilage racial.
Pour le directeur général du Centre de recherche-action sur les relations raciales, Fo Niemi, il s’agit d’une victoire. Les tribunaux sont de plus en plus impatients et intolérants à l’égard des policiers qui effacent des enregistrements ou qui empêchent une personne de filmer une intervention, dit-il.
Mais pour Kenrick McRae, cette sentence est trop clémente. Ce n’est qu’une tape sur les doigts! se désole-t-il.
« La mairesse et le chef de police [de Montréal] parlent sans cesse de changement… Mais où est le changement? »
Kenrick McRae continue de se battre pour défendre ses droits, mais pas que les siens. Il veut mettre toutes les chances de son côté, alors il s’est procuré sept caméras qu’il apporte avec lui dès qu’il prend sa voiture.
C’est notre seule arme. C’est notre seul outil. C’est notre seule défense, insiste-t-il. Parce que si tu ne filmais pas, tu pourrais finir par mourir innocemment. Alors je vais continuer à les filmer jusqu’à ma mort.
Radio-Canada
Photo: C'est notre seule arme, ils ont braqué leur caméra sur les abus policier Crédit: Radio-Canada
Une tactique policière « inacceptable »
Les vidéos forcent les politiciens à repenser les règles entourant le travail policier.Moins d’une semaine après les images-chocs de la mort en direct de George Floyd, une vidéo provenant de Kinngait, au Nunavut, a fait son chemin sur les réseaux sociaux et provoqué une commotion à Ottawa.
Arrestation d'un Inuk
Photo : Radio-Canada
On y voit un policier de la GRC utiliser la portière de sa voiture en mouvement pour projeter au sol un homme d’origine inuk, alors en état d’ébriété au bord de la chaussée. Ces images ont mené au déclenchement d’une enquête interne, où la GRC a conclu en décembre que le véhicule n’avait pas intentionnellement frappé l’homme. Une enquête indépendante est toujours en cours.
Le ministre fédéral des Services aux Autochtones, Marc Miller, a dit avoir regardé la vidéo avec « dégoût ».
« Un coup de portière n’est pas une tactique policière acceptable. C’est un acte honteux, déshumanisant et violent. »
Le tollé a conduit le premier ministre, Justin Trudeau, à dénoncer la violence policière à l’encontre des Noirs et des Autochtones.
Il a promis de mettre en œuvre de vraies mesures à travers le pays afin de résoudre le problème du racisme systémique au Canada, une position qu’il a réitérée lorsqu’une nouvelle vidéo a fait surface, le 11 juin, montrant cette fois l’arrestation du chef autochtone Allan Adam, en Alberta.
Des images plus floues captées par des témoins avaient déjà circulé dans la foulée de l’événement survenu en mars. Mais ces nouvelles images, captées par la caméra du tableau de bord d’une voiture de la GRC, montraient les événements de façon beaucoup plus complète.
Allan Adam
Photo : GRC
La GRC a soutenu que l’usage de la force avait été raisonnable puisque le chef de la Première Nation des Chipewyan de l’Athabasca avait résisté à son arrestation.
Le chef Adam, interpellé pour une plaque d’immatriculation expirée, croit plutôt que cette arrestation n’aurait pas eu lieu s’il avait été blanc.
Le premier ministre canadien a exigé une enquête transparente.
« Je pense que tout le monde qui a vu cette vidéo a des questions sérieuses à poser. »
Deux semaines plus tard, les accusations d'agression contre un agent de la paix portées contre le chef Adam étaient abandonnées en raison de la « divulgation de matériel additionnel pertinent ».
La vidéo avait changé la donne.
Radio-Canada
Photo: C'est notre seule arme, ils ont braqué leur caméra sur les abus policier Crédit: Radio-Canada
Donner une voix aux personnes qui n’en ont pas
En dégainant son cellulaire par un froid glacial de janvier 2014, Adis Simidzija a compris à quel point une vidéo pouvait avoir une immense portée pour une personne vulnérable.
Menaces à un sans-abri en plein hiver
Photo : Adis Simidzija
Sur sa vidéo, on voit un itinérant souffrant de troubles de santé mentale, vêtu d’un bermuda et d’un t-shirt malgré les -25 degrés Celsius. Et il se fait réprimander par l’agent Pierre-Luc Gauthier, dont le discours devient rapidement menaçant.
Je te le dis, si j’ai un autre appel au 911 pour toi, je t’attache une heure au poteau.
Vous savez que c’est des menaces que vous n’avez pas le droit de faire? dit alors Adis Simidzija au policier.
Adis Simidzija admet que l'intervention captée n’est pas d’une violence extrême et physique, mais soutient qu’il ne faut pas pour autant la négliger.
« Ce type de violence envers les itinérants est trop souvent invisible. »
Adis Simidzija s’est assuré de largement diffuser sa vidéo dans les médias, mais ce sont plutôt des personnes choquées par les images qui ont porté plainte au Commissaire à la déontologie policière du Québec.
Marie-Ève Bilodeau, responsable des communications du Commissaire, fait valoir qu'une vidéo peut être très utile dans des causes impliquant des personnes souffrant de problèmes de santé mentale ou encore des personnes sous l’emprise de l’alcool ou de drogues. L’avocat de la défense va toujours essayer de trouver des failles dans leurs témoignages, d’attaquer le témoin, explique-t-elle. S’il n’y a pas de vidéo, s’il n’y a personne pour confirmer les allégations qu’ils nous fournissent, c’est difficile.
Adis SimidzijaPhoto : Radio-Canada
La vidéo d’Adis a fait son effet : les policiers impliqués ont été blâmés en comité de déontologie, l’un pour intimidation et manque de respect, l’autre pour ne pas être intervenu. Ils ont respectivement été suspendus quatre et un jours.
Cette vidéo a aussi permis d’alimenter le débat sur le traitement des personnes en situation d’itinérance. Des lits supplémentaires ont été débloqués dans les refuges de la métropole québécoise.
« Pour moi, ce n’était pas juste un citoyen qui filmait. J’ouvrais le débat le plus possible. »
Ce n’était pas la première fois qu’Adis Simidzija braquait son objectif sur les forces de l’ordre. Il avait pris part au soulèvement étudiant de 2012, avait manifesté, avait filmé. La vidéo est devenue un outil pour se protéger.
Ce jour glacial de janvier, il a étendu ce pouvoir protecteur à un autre que lui.
Radio-Canada
Photo: C'est notre seule arme, ils ont braqué leur caméra sur les abus policier Crédit: Radio-Canada
Drame pour un feu jaune
En filmant ce qu’elle a aperçu de son balcon, le 24 juin dernier, Miriam Vaillancourt s’est aussi portée à la défense d’une personne plus vulnérable.
Ce jour-là, les policiers du SPVM ont interpellé le demandeur d’asile camerounais Lamine Nkouendji pour avoir brûlé un feu jaune, ce qu’il dément avoir fait. Lamine a été questionné à de multiples reprises sur son statut migratoire et son occupation – sujets qui n’ont aucun lien avec un feu jaune brûlé. Il a accusé les policiers de l’interpeller uniquement parce qu’il est Noir.
Lamine Nkouendji
Photo : fournie par Lamine Nkouendji
La situation s’est envenimée quand Lamine a été informé que son véhicule allait être remorqué, son permis étant suspendu pour des amendes impayées. Il a protesté, arguant n’en avoir pas été informé, et a insisté pour récupérer ses effets personnels.
C’est alors qu’il a été aspergé de poivre de Cayenne, menotté et placé en état d’arrestation, pour ensuite être accusé d’entrave au travail des policiers.
Lamine NkouendjiPhoto : Offerte par Lamine Nkouendji
Comme dans le cas d’Hèzu Kpowbié, Lamine Nkouendji s’est filmé lui-même. La conduite des policiers ce jour-là m’a fait peur, parce que je ne comprenais pas pourquoi la police m’avait suivi, dit-il. Et si je n’avais pas la possibilité d’enregistrer ça, on ne m’aurait jamais cru [...] ou bien on aurait juste cru le rapport des policiers.
Il n’a pas réussi à capter toute la scène, mais Miriam Vaillancourt a, sans le savoir, pris le relais, en filmant la portion où l’homme se fait asperger de poivre de Cayenne et arrêter, tout en criant Laissez-le tranquille!.
Miriam Vaillancourt
Photo : fournie par Miriam Vaillancourt
« Ça m’a aidé, parce que je me suis dit que si ça s’était passé la nuit et qu’il n’y avait personne, qu’est-ce qui se serait passé? »
Celui-ci n’a pas porté plainte sur le coup, évoquant un manque de moyens pour payer son avocate, mais comme dans l’histoire d’Adis Simidzija, là encore, ce sont les internautes qui ont pris les choses en main.
Miriam Vaillancourt a ressenti une telle impuissance, une telle colère en filmant la scène qu’elle a publié la vidéo sur Instagram, incitant les internautes à porter plainte au Commissaire à la déontologie policière.
Les gens ont vraiment été actifs, s’enthousiasme la jeune femme, qui affirme que nombreux sont ceux qui l’ont fait, selon ce que lui a rapporté un lieutenant de police après qu’elle a déposé sa plainte.
Certains propos de l’agent l’ont cependant fait douter de la suite des choses, raconte-t-elle.
Il a beaucoup mentionné que des fois, ça arrive, que les policiers ont une mauvaise journée et qu'ils vont être plus brutaux avec nous. Et les policiers vont être stressés, et tout ça. Elle n’a pas trop aimé ce qu’elle a entendu.
Miriam VaillancourtPhoto : Offerte par Miriam Vaillancourt
Le son de cloche est similaire du côté de l’avocate de M. Nkouendji, qui a rencontré l’enquêtrice du Commissaire avec son client, en novembre, mais qui croit qu’il y a peu de chances que le jugement soit en leur faveur. La manière dont les questions ont été posées, c’était un peu comme si on essayait de démontrer que monsieur Nkouendji était la partie fautive dans cette situation, estime l’avocate Kristina Vitelli.
Elle a meilleur espoir pour la poursuite au civil déposée en décembre contre le SPVM et les deux policiers impliqués, qui fait état de dommages psychologiques et physiques infligés à M. Nkouendji, qui dit avoir des séquelles à ses yeux aspergés de poivre de Cayenne et à son bras tordu lors de l’arrestation.
Miriam Vaillancourt dit avoir été fortement ébranlée par l’arrestation de Lamine Nkouendji. Mais elle sent qu’au moins, elle a ainsi pu encourager d’autres à faire le même geste qu’elle.
« J’ai eu des messages de personnes qui disaient : "Merci d’avoir publié, merci d’avoir fait ça, parce que maintenant, je sais quoi faire.’’ »
Selon le Commissaire à la déontologie du Québec, Marc-André Dowd, les plaintes sont en hausse. Sans donner de chiffres précis, il indique que de plus en plus, les citoyens vont filmer des interventions policières et les mettent sur les médias sociaux.
Il y a plusieurs citoyens qui vont les visionner et qui vont déposer une plainte en déontologie, même sans avoir été eux-mêmes témoins de l'événement, ajoute-t-il.
Son organisation est submergée de plaintes, à un tel point qu’il a demandé au gouvernement de modifier la façon dont elles sont traitées.
Radio-Canada
Photo: C'est notre seule arme, ils ont braqué leur caméra sur les abus policier Crédit: Radio-Canada
Une vidéo au cœur de la preuve
Martin Baron ignorait que sa vidéo d’une intervention policière, filmée un soir d’été 2013, deviendrait un élément clé dans le procès d’un policier accusé d’avoir abattu un jeune homme de 18 ans dans un tramway à Toronto.
Sammy Yatim
Photo : YouTube/Martin Baron
Je pensais que c’était juste une histoire intéressante pour les médias locaux, raconte-t-il. Jamais il n’avait envisagé que sa vidéo, téléversée sur YouTube, serait visionnée près de 700 000 fois.
Martin Baron était à plusieurs dizaines de mètres de la scène, mais il a clairement vu l’immigrant syrien Sammy Yatim brandir un couteau, seul dans un tramway déserté par ses passagers pris de panique.
Sammy Yatim a été abattu de neuf balles sous l'œil de sa caméra.
« C’était un choc de voir quelqu’un mourir comme ça. Mais d’un autre côté, sur le coup, je me disais que les policiers faisaient leur travail. Ce n’est que le lendemain que j’ai réalisé la signification de ce que j’avais filmé. »
Ses images ont été cruciales dans le procès pour meurtre du policier James Forcillo. Les faits avaient été captés par des caméras de surveillance du tramway, mais sa vidéo, en raison de sa perspective différente et de la présence de son, a été un élément clé dans l’enquête.
Martin Baron a aussi dû témoigner, un moment qui le hante encore aujourd’hui. La défense a tenté de mettre en doute sa version des faits en relevant des irrégularités entre son témoignage et ce qui apparaissait sur la vidéo.
Je pense que, sans exagération, j'ai regardé la vidéo en entier peut-être cinq fois, parce que les avocats m’ont dit qu’ils voulaient que je raconte ce que j’avais vu, pas ce que j’avais filmé. Je n'ai jamais tout à fait compris pourquoi. J'ai en quelque sorte présumé que la vidéo parlerait d’elle-même et que je n’aurais pas vraiment de rôle dans le procès.
Martin BaronPhoto : Offerte par Martin Baron
L’avocat de James Forcillo a d’ailleurs plaidé que le policier avait subi un procès par YouTube. Martin Baron croit plutôt que sa vidéo a permis d’exposer la vérité.
James Forcillo n’a pas été reconnu coupable de meurtre au deuxième degré, mais plutôt de tentative de meurtre. Le jury a tranché que les trois premiers coups de feu avaient été justifiés dans le contexte, mais pas la seconde salve, survenue une fois que la victime était au sol. Il a été condamné en 2016 à six ans de prison.
Ce verdict a toujours beaucoup pesé sur Martin Baron. Même s’il reconnaît la culpabilité du policier, il lui semble qu’il n'aurait pas dû porter tout le blâme.
« Je trouve que ses supérieurs et les gestionnaires du service de police s’en sont sortis trop facilement. »
C’est difficile pour les gens qui filment parce qu’on se sent mal pour le policier, on se sent mal pour la personne qui est victime de brutalité policière. Ça nous met dans une position très inconfortable.
Peu d’accusations, encore moins de condamnations
La sentence dont a écopé James Forcillo est unique parmi les 81 cas canadiens que nous avons recensés. Il s’agit du seul policier condamné à la prison pour un chef directement lié à l’usage excessif de la force.
Des policiers ont été accusés d’usage de la force excessive dans seulement 13 cas et de profilage racial une seule fois. Dans quatre de ces cas, des policiers ont été condamnés au criminel, dans huit cas, ils ont été temporairement assignés à des tâches administratives ou ont subi une suspension temporaire en guise de punition. Seulement une policière – matricule 728 – a été déclarée temporairement inhabile à exercer ses fonctions.
Outre l’affaire Sammy Yatim, nous avons répertorié quatre autres vidéos citoyennes montrant une personne mourir lors d’une intervention policière. Dans un seul cas, celui de la mort de l’homme noir en crise Abdirahman Abdi, il y a eu un procès pour homicide. Le policier d’Ottawa a été acquitté en octobre, cette décision soulevant l’indignation de plus d’une centaine de personnes réunies lors d’une manifestation.
Dans le cas de la mort de Robert Dziekanski à l’aéroport de Vancouver, les agents n’ont pas été accusés d’usage excessif de la force. La vidéo – que la GRC a refusé durant plusieurs mois de remettre à celui qui avait filmé – a cependant servi à démontrer que les policiers avaient menti lors de leur témoignage et à faire condamner pour parjure deux des quatre agents impliqués.
Parmi les quelques autres cas recensés qui ont abouti à une condamnation au criminel, il y a celui de la policière Stéfanie Trudeau, mieux connue sous le nom de matricule 728 ».
Matricule 728 : arrestation de Serge Lavoie
Photo : Simon Pagé
La policière a été condamnée pour voies de fait en 2016 pour avoir utilisé une « force excessive » lors de l’arrestation de Rudi Ochietti et pour avoir empoigné de façon « brutale et dangereuse » Serge Lavoie, qui filmait la scène.
Cette même policière avait défrayé la chronique lors des manifestations étudiantes au Québec en 2012. Ses actions controversées avaient alors été largement partagées sur les réseaux sociaux.
Matricule 728 : utilisation de gaz poivre
Photo : YouTube
Ce n’est que sept ans après cet incident que le Comité de déontologie policière a déclaré Stéfanie Trudeau inhabile à exercer le métier d’agent de la paix pendant deux ans pour avoir aspergé de poivre de Cayenne des manifestants qui n’étaient aucunement menaçants à son endroit. Cette sanction est toutefois arrivée quatre ans après que l’ex-policière eut pris sa retraite du SPVM.
Pourquoi les vidéos ne mènent-elles pas à plus de condamnations ou de suspensions? Le criminologue Rémi Boivin rappelle que, vidéo à l’appui ou pas, les lois encadrant l’usage de la force sont basées sur le point de vue policier. C’est selon leur interprétation du contexte des événements que l’on va déterminer si le motif pour employer la force était raisonnable, le niveau de force adéquat.
« Le système de contrôle du travail policier est basé sur les policiers, pas sur les perceptions de la population. Les vidéos ne changeront pas ça à court terme. »
Il ne faut pas penser que parce qu'il y a un enregistrement de telle intervention, qu'au bout du compte, il va y avoir une condamnation pour usage inapproprié de la force, ajoute-t-il.
Un long processus de plainte
Ce n’est pas facile pour un citoyen de porter plainte contre la police, soutient l’ex-policier et militant Will Prosper. Non seulement le processus peut être intimidant, poussant les gens à abandonner en cours de route, mais il faut en plus parfois attendre des mois, voire des années, avant de voir le tout aboutir.
Kenrick McRae, par exemple, se bat toujours pour faire valoir ses droits pour l’arrestation, survenue en mars 2017, lors de laquelle sa vidéo a été effacée. Il a gagné sa cause en commission de déontologie, mais les policiers impliqués ont fait appel de la décision. Parallèlement à cela, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse va déposer un recours sous peu auprès du Tribunal des droits de la personne. Il attend toujours.
Kenrick McRaePhoto : Offerte par Kenrick McRae
Hèzu Kpowbié a quant à lui vu sa plainte pour profilage racial et usage excessif de la force rejetée à l'étape préliminaire par le Commissaire à la déontologie policière – et le processus d’appel n’a rien donné. Il en est sidéré. Le Commissaire Marc-André Dowd a conclu que les policiers avaient agi conséquemment selon le haut risque de la situation. Parce qu’il y avait des enfants à proximité, a-t-il estimé, le fait de sortir une arme à feu se justifiait dans le contexte.
Hèzu espère maintenant que les images qu’il a captées avec son cellulaire l'aideront à gagner sa cause devant la seule instance qu’il lui reste, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.
Le processus est d’ailleurs souvent opaque. Il est par exemple impossible de savoir quelles plaintes ont été déposées à la Commission de déontologie du Québec : ces informations deviennent publiques seulement au moment du dépôt d'une citation devant le Comité de déontologie policière.
Même quand certaines interventions jugées excessives ont été rapportées dans les médias, on ignore souvent le dénouement de l’histoire. Dans notre échantillon de 81 vidéos déjà couvertes par les médias, il a fallu faire un suivi dans une trentaine de cas. Dans la moitié de ces cas, nous n’avons pas eu de réponse.
Will Prosper, ex-policier et militant contre le racismePhoto : La Presse canadienne / Paul Chiasson
Will Prosper souligne qu’il est très, très rare que le processus de plainte mène à des accusations. Il dénonce un climat d’impunité.
« On a un système qui n’applique pas les conséquences à l’égard des policiers comme il les appliquerait à l’égard des citoyens. »
Il juge que c’est ce manque flagrant de conséquences qui pousse les gens à dénoncer les interventions policières sur les réseaux sociaux.
Je vais vous dire franchement ce que je pense : je le vois comme les campagnes #moiaussi : quand les gens ne croient plus au système judiciaire, ils se tournent vers les médias sociaux. Puis ils documentent. Puis ils disent : "Ben, il y a un problème.” […] Ça devient un système alternatif de... Je ne veux pas dire de judiciarisation, mais de tribunal populaire à l’égard des gens.
Radio-Canada
Photo: Une intervention policière filmée dans le métro de Montréal Crédit: Radio-Canada
Radio-Canada
Photo: C'est notre seule arme, ils ont braqué leur caméra sur les abus policier Crédit: Radio-Canada
Les policiers sous l’objectif des caméras
La légitimité – ou non – de l’usage de la force par les policiers est au cœur des débats sur ces vidéos.
Le criminologue Rémi Boivin estime qu’il y a un « gros décalage » entre l’interprétation qu’en font les tribunaux, qui condamnent rarement les policiers, et les attentes de la population. Il ajoute que la force – qui est employée dans moins de 1 % des interventions policières – paraît rarement bien à la caméra, même si c’est fait parfaitement, selon toutes les règles.
Il y a beaucoup d'interventions policières qui sont filmées qui sont assez plates et dans lesquelles le policier a un comportement adéquat et le citoyen aussi, souligne-t-il encore. Or, cette intervention ne sera pas diffusée.
Rémi Boivin, professeur de l'École de criminologie de l'Université de MontréalPhoto : Radio-Canada
L'ex-policier et chercheur Gregory Brown abonde dans le même sens.
« Ce serait utile que le public comprenne le contexte légal de ce qu’un policier peut et ne peut pas faire. De cette façon, croit-il, les gens ne crieront pas à la brutalité policière trop rapidement. »
La force peut être employée contre un individu non coopératif, ainsi que pour assurer la sécurité du policier, du suspect et du public. Mais tout dépend de la situation, affirme le directeur de la formation initiale en patrouille-gendarmerie à l’École nationale de police du Québec (ENPQ), Pierre Savard.
Si l’individu avec lequel on intervient vient de commettre des voies de fait graves, de commettre un homicide, le niveau de force risque d’augmenter selon son comportement. S’il est menaçant envers les policiers, s’il donne des signes précurseurs d’agression, on va sortir des outils qui sont différents.
Le niveau de force à employer va varier selon plusieurs critères : le comportement du suspect, sa taille, le type d’armes qu’il a en sa possession, les renforts présents…
Il y a tellement de facteurs qui sont en cause qu’on ne veut pas dire que c’est à partir de là que vous pouvez utiliser la force, mais que rendus là, vous ne pouvez pas, poursuit Pierre Savard. Le policier doit analyser constamment son environnement, tous ces facteurs-là pour prendre une décision pour adapter le niveau de force qui est minimal.
Le SPVM estime qu’il y a une méconnaissance du public par rapport aux tactiques policières. Son porte-parole Emmanuel Anglade l’illustre en faisant référence aux vidéos où les policiers abattent un suspect.
On le voit souvent dans les commentaires sur les réseaux sociaux : "Pourquoi ils n’ont pas tiré dans les jambes?’’ Mais c’est quasi impossible de le faire. Il y a le stress, le mouvement de la personne. [...] Il faut être un tireur d’élite ou avoir de la chance pour réussir à toucher une jambe. Et ce n’est pas comme dans les films, que la personne se fait tirer et qu’elle va tomber. Une personne en crise peut continuer d’attaquer un policier même après avoir été touchée.
Gregory Brown, ex-policier et chercheur à l'Université CarletonPhoto : Offerte par Gregory Brown
Le chercheur et ex-policier Gregory Brown avance que c’est pour être mieux compris par le public que de plus en plus de policiers crient à la personne qu’ils interpellent d’arrêter de résister, de se mettre par terre.
C’est une façon d’avoir une preuve vidéo de ce qu’ils essaient de faire. Ça met la situation en contexte selon la perspective du policier.
Mais pour la professeure en criminologie Kanika Samuels-Wortley, cette façon de faire dédouane trop facilement les policiers.
Tout ce qu’ils ont à dire – et ils doivent le dire tout haut – c’est : "Oh, est-ce un fusil? Cessez de résister!", même s’ils ne voient rien!
Elle estime que les policiers ont une trop grande latitude pour légitimer leurs actions. Tout ce qu’ils ont à faire, c’est de verbaliser qu’ils se sentent menacés, et c’est suffisant pour justifier l’emploi de la force. Et je pense que le problème, c’est qu’il n’y a aucune conséquence quand un policier n’interprète pas correctement la présence du danger.
Des vidéos sans consensus
Les vidéos de brutalité policière font rarement l’unanimité, observe le criminologue Rémi Boivin. Il explique qu’une vidéo peut être un bon point de départ pour analyser une situation, mais que chaque personne peut en tirer des conclusions différentes – c’est un phénomène qui peut s’observer même d’un tribunal à l’autre. On ne s'en sort pas, c'est controversé dès qu'il y a l'emploi de la force, lance-t-il.
C’est aussi un constat que tire Christopher Schneider, professeur en sociologie à l’Université Brandon au Manitoba qui étudie les effets de la technologie sur le travail des forces de l’ordre. Policiers, activistes, juges et politiciens offrent chacun une interprétation différente de l’action qui s’y déroule.
Il remarque que même dans le cas de George Floyd, certains ont tenté de justifier les actions des policiers en disant que l’homme était un criminel qui avait consommé des drogues.
Même dans les circonstances les plus insidieuses, ces vidéos sont décontextualisées et recontextualisées , observe Christopher Schneider.
Christopher Schneider, professeur en sociologie à l’Université BrandonPhoto : Offerte par Christopher Schneider
Il rappelle qu’avant la vidéo, c’était aux tribunaux de trancher sur l’usage excessif de la force, loin des regards de la population générale. Mais les temps ont changé. Ces vidéos citoyennes viennent aujourd’hui révéler la réalité telle qu’elle est. Et maintenant, on peut tous voir toutes les choses sales, épouvantables, qui ont été balayées sous le tapis pendant tellement de décennies, analyse-t-il.
Mais les corps policiers demeurent mal à l’aise face à plusieurs aspects de cette nouvelle réalité qu’impose la présence de la vidéo.
Si quelque chose tourne mal, si un policier a mal agi… nous ne sommes pas contre la vidéo. On veut qu’elle fasse surface , indique la porte-parole du service de police de la Ville de Vancouver (VPD). Mais je dissuade toujours les gens de publier directement sur les réseaux sociaux.
Tania Visintin juge qu’on projette une image négative de leur travail avec des vidéos incomplètes.
« C’est frustrant. On ne voit que le mauvais. Parfois, on voit des choses sur les réseaux sociaux et on voudrait avoir la chance de raconter toute l’histoire. »
Le porte-parole du SPVM Emmanuel Anglade abonde dans le même sens. Il faut mettre en contexte les vidéos, dit-il. Tout le monde peut couper des moments de l'intervention sur la vidéo. Des fois, on voit juste 30 secondes où ça crie et la personne tombe à terre. Mais l’avant et l’après, on ne l’a pas.
C’est aussi un enjeu soulevé par la police de Toronto. Les vidéos peuvent avoir été éditées en termes de longueur, de contenu, de son, etc. écrit par courriel la porte-parole de la police de Toronto, Connie Osborne, ajoutant qu’il peut être alors difficile de déterminer si l’usage de la force était excessif ou non.
Ce manque de contexte permettant de porter un jugement éclairé sur la situation est très frustrant, écrit dans un courriel le porte-parole de la Sûreté du Québec, Hugo Fournier, qui s’inquiète de la polarisation des opinions.
Il reste que pour plusieurs militants et experts, avoir le contexte complet d’une intervention n’est pas toujours nécessaire pour critiquer l’emploi de la force par la police.
« Les gens disent "il manque de contexte". Mais on n’a pas besoin de contexte quand une personne fait violence contre une autre personne. Il n’y a rien qui puisse justifier cette violence. »
Will Prosper juge pour sa part que le manque de contexte est un « prétexte » qui ne tient pas la route.
Les gens disent : "Prenez-moi pas pour un cave. C’est devant mes yeux." Il n’y a rien qui puisse justifier ça. Même si la personne a dit ou fait quelque chose, la personne demeure pas armée. [...] Même si on ne voit pas le début, les échanges et ainsi de suite, ça demeure qu’on voit un policier ou une policière qui est en train de commettre des actes très violents à l’égard de certains citoyens, qui ne sont pas la plupart du temps justifiables.
Selon le commissaire à la déontologie policière du Québec, Me Marc-André Dowd, de plus en plus de policiers utilisent leur téléphone personnel pour filmer les interventions pour s’assurer que leur version sera utilisée conjointement avec des vidéos de témoins. Plusieurs corps policiers ont cependant interdit à leurs policiers d’utiliser leur propre téléphone.
Un impact « énorme » sur les policiers
Il n’y a rien d’illégal à filmer les interventions policières. Tant que le travail des policiers n’est pas entravé et que le témoin se tient à bonne distance de l’action, celui-ci est dans son droit d’enregistrer et de diffuser les images. Les policiers le savent, et ils y sont préparés.
À Vancouver, les policiers sont entraînés à toujours penser qu’ils sont filmés.
« On se fait filmer à chaque interaction. C’est presque devenu la norme. Il n’y a rien qu’on puisse y faire, les gens ont le droit. »
Et ça n’affecte pas notre travail, soutient Tania Visintin.
L’École nationale de police du Québec a même adapté ses scénarios de formation. Depuis 2014, les apprentis policiers sont entourés de comédiens qui interprètent des témoins armés d’un cellulaire, criant : Je filme! Il va y avoir des images!
On leur dit que ça ne devrait pas les influencer, explique Pierre Savard, directeur de la formation initiale en patrouille-gendarmerie à l’ENPQ. Qu’elles soient filmées ou pas, les actions devraient être les mêmes.
Mais il est clair que, quoi qu'on leur dise en formation, les policiers sont influencés par la présence des caméras de témoins. C’est le constat qu’en tire Gregory Brown, chercheur et ex-policier, qui a sondé 3666 policiers dans 18 services de police canadiens et 5 dans l’État de New York.
Plus de la moitié des agents interviewés disent avoir modifié la façon dont ils sont intervenus parce qu’ils étaient filmés. C’est un impact énorme sur les forces de l’ordre, indique M. Brown, qui a été policier pendant plus de 20 ans pour la ville d’Ottawa.
Il estime que cet effet peut être positif s’il pousse certains policiers trop violents, trop prompts à employer la force quand ce n’est pas absolument nécessaire à modifier leur comportement.
Mais il juge que la peur de devenir la prochaine vidéo virale peut mettre en péril leur sécurité et celle des personnes impliquées. Il craint que les policiers s’imposent eux-mêmes des barrières et hésitent à employer la force de manière légitime, par peur d’être mal perçus.
Radio-Canada
Photo: C'est notre seule arme, ils ont braqué leur caméra sur les abus policier Crédit: Radio-Canada
La caméra d’intervention est-elle la solution?
Gregory Brown croit que tous les policiers devraient être équipés de caméras d’intervention. En ayant une combinaison de vidéos provenant de caméras d’intervention, de caméras de sécurité et de témoins, il serait plus facile de déterminer ce qu'il s'est réellement passé.
Cette solution est d’ailleurs spontanément mise de l’avant par plusieurs experts, politiciens, services de police et activistes.
Le premier ministre Justin Trudeau s’est positionné en faveur de l’adoption des caméras d’intervention à grande échelle lors de la tourmente de juin dernier, dans la foulée de la diffusion de vidéos témoignant de la violence subie par des Autochtones au pays et de la mort tragique de George Floyd aux États-Unis.
Les caméras corporelles favorisent une transparence accrue, tout en fournissant des images concrètes de ce qu’un policier doit gérer, souvent dans des situations très dynamiques et tendues , a d’ailleurs reconnu Catherine Fortin, porte-parole de la GRC.
Au Canada, seulement une poignée de corps policiers sont équipés de caméras d’intervention dont celui de Calgary, seule grande ville à les avoir déployées. Toronto a annoncé l’été dernier leur implantation prochaine, tandis que la GRC a annoncé un projet pilote à l’automne.
Cette solution ne fait toutefois pas l’unanimité.
Will Prosper craint qu’elles ne servent à surveiller des populations déjà trop criminalisées. Il ajoute que ces caméras filment l’action des personnes devant elles, et non celle du policier, ce qui peut biaiser la perspective. Cette action-là dans la vidéo va toujours être vue d’une manière négative; c’est le citoyen qu’on va juger, et non le policier.
Kanika Samuels-Wortley croit quant à elle que les policiers détiennent trop de pouvoir sur ces vidéos. Ils peuvent fermer la caméra et, après coup, qui a accès à cette vidéo? C’est ça qui est problématique.
« La police a toujours le dernier mot sur comment et quand les vidéos seront diffusées. »
Rémi Boivin ajoute qu’en raison des lois canadiennes, une vidéo de caméra d’intervention qui se retrouve au centre d’un procès ne peut même pas être diffusée avant la fin des procédures judiciaires, ce qui inclut les appels. Ça peut prendre plusieurs années, résume-t-il.
La caméra d'intervention n'est pas une solution qui plaît à tous.Photo : La Presse canadienne / Jonathan Hayward
En 2019, des chercheurs du Center for Evidence-Based Crime Policy de l’Université George Mason ont analysé plus de 70 études (Nouvelle fenêtre) sur les caméras d’intervention. Ils ont constaté que, dans la majorité des cas, les caméras n'avaient pas eu d'effet significatif sur le comportement des policiers.
Cette mesure n’est pas suffisante pour réduire la violence et ces caméras ne seront pas à elles seules une panacée facile pour améliorer les performances de la police et les relations avec les citoyens, écrivent ces chercheurs.
Repenser la force
En 2020, plusieurs voix se sont élevées pour exiger des changements de fond dans la police. Une des demandes récurrentes : prendre le problème à la racine et repenser l’emploi de la force.
La question, c’est d’avoir des policiers qui sont moins équipés d’armes, et des armes moins létales, avance l’ex-policier Will Prosper, qui s’appuie sur l’exemple de l’Angleterre, où la majorité des policiers n’ont pas d’arme à feu. Il souhaite que les policiers prennent plus leur temps pour intervenir, et dans le calme.
Son point de vue est partagé par de nombreux militants aux États-Unis comme au Canada qui demandent à privilégier la « désescalade », soit d’atténuer les tensions lors des situations de crise afin de les résoudre pacifiquement.
À Montréal, la Coalition pour le définancement de la police – qui rallie une soixantaine d’organismes, dont Black Lives Matter Montréal et le Réseau de la communauté autochtone à Montréal – souhaite qu’on désarme complètement les policiers. Fini le pistolet, le pistolet électrique, les balles de caoutchouc, le poivre de Cayenne, les matraques et le gaz lacrymogène. On propose plutôt de créer des équipes de service non armées et externes à la police pour répondre notamment aux crises liées à la santé mentale et à l’utilisation de drogues. Une pareille demande a été formulée par des militants torontois.
Il existe par ailleurs depuis 2012 une unité dédiée aux urgences psychosociales au SPVM, mais elle ne compte que quatre intervenants sociaux et six policiers pour tout le territoire. D’autres services de police s’engagent à déployer des unités du genre.
Depuis janvier, le Service de police de Laval jumelle un policier avec un intervenant social pour intervenir lors de situations complexes qui touchent des problématiques psychosociales. Ce duo travaille de concert avec l’équipe d’Urgence sociale, composée de huit intervenants sociaux, d'un auxiliaire social et d'un chef de division.
À partir de 2022, la police de Toronto déléguera certains appels non urgents au sujet de personnes en détresse psychologique à des équipes spécialisées en santé mentale et en désescalade de conflits.
Désarmer les policiers n’est pas dans les plans de l’École nationale de police du Québec, indique-t-on, mais on assure que le virage « désescalade » est déjà entamé.
La formation des policiers québécois a été ajustée notamment à la suite de la mort d’Alain Magloire, un sans-abri en crise dont la mort avait été captée par une caméra de surveillance, en 2014.
Alain Magloire
Photo : Radio-Canada
Les policiers n’ont pas été blâmés pour cette opération. Le rapport de l’enquête publique du coroner a cependant souligné un manque de communication adéquate de leur part, et a sommé l’ENPQ d’offrir une formation plus adaptée pour intervenir auprès des personnes atteintes de troubles mentaux.
On affirme aujourd’hui qu’une très, très grande place est accordée à la communication. On insiste beaucoup sur le fait qu’il faut verbaliser, que le temps va être un facteur gagnant pour nous autres si on communique et qu’on tente de calmer la situation, insiste Pierre Savard.
En réponse notamment à la vidéo montrant la violente arrestation du chef Allan Adam, la GRC a pour sa part annoncé, début novembre, qu’elle allait mettre à jour sa formation sur la désescalade.
« Est-ce qu’on veut que la police change sa façon de faire? Si le public veut que la police ne fasse plus certaines choses, il faut changer la loi. »
Filmer, pour le meilleur et pour le pire
Il y a un vent de changement qui se lève lentement, croit Martin Baron, le témoin ayant filmé les dernières minutes de vie de Sammy Yatim. Il juge que la vidéo citoyenne y contribue, en partie du moins.
« La vidéo est très, très importante pour rendre les autorités plus responsables de leurs actions. »
Mais filmer n’a pas seulement un effet sur les policiers. S’il y a une chose qui ressort des entrevues menées, c’est que cela n’est pas sans conséquence pour les personnes qui filment, pour le meilleur ou pour le pire.
Tant Martin Baron qu’Adis Simidzija et Miriam Vaillancourt ont dû modérer leurs réseaux sociaux ou y ont même été la cible de commentaires négatifs pour avoir filmé les interventions dont ils avaient été témoins.
Adis Simidzija a supprimé son compte Facebook, les attaques étant devenues insupportables. J’ai réalisé que j’avais reçu des menaces de mort, on me souhaitait d’avoir une balle entre les deux yeux, se souvient-il.
Miriam Vaillancourt a pour sa part été sous le choc durant plusieurs semaines après avoir filmé l’arrestation de Lamine Nkouendji. Son expérience a changé sa vision de la police. J’ai l’impression que tout est à refaire. C’est dur d’avoir confiance.
Mais tous les témoins à qui nous avons parlé assurent qu’ils ressortiraient sans hésiter leur téléphone s’ils se retrouvaient à nouveau devant d’autres cas présumés de brutalité policière ou de profilage, et encouragent d’ailleurs tout le monde à faire de même.
Il faut aussi avoir des gens qui sont là pour nous, des gens qui ont cette présence de dire : "Non. Cette personne-là est en train de se faire arrêter et je vois que ses droits sont en train d’être violés, donc je vais être présente pour elle et, si je le peux, capturer l’instant ou apporter mon soutien." Parce que personne ne mérite l’injustice, lance Lamine Nkouendji.
Justine de L'Église et Mélanie Meloche-Holubowski texte et recherche | Bernard Leduc édition | Martin Labbé design | Mykaël Adam développement