La manœuvre était destinée à en mettre plein la vue aux quelque 200 dignitaires et invités triés sur le volet. Un ciel maussade avait contraint tout le monde à s’entasser sous un immense chapiteau blanc en plastique, style mariage à la campagne, installé dans le stationnement de la station Brossard, afin d’assister au coup d’envoi du Réseau express métropolitain (REM).
Sans avertissement, dans une chorégraphie soigneusement orchestrée, les quatre wagons blanc et vert automatisés du REM sont entrés en gare avec assurance, s’arrêtant en surplomb quelques mètres derrière la scène aménagée sous le chapiteau. La foule, cordée sur des chaises de bois pliantes blanches, a poussé un wouah!
qui a fait tressauter la maîtresse de cérémonie, Katerine-Lune Rollet, qui n’avait pas anticipé l’effet de surprise provoqué par le changement de décor derrière elle.
Assis à la première rangée en ce vendredi matin du 28 juillet, ceux qui étaient venus récolter les fruits semés par leurs prédécesseurs ont spontanément applaudi : le premier ministre du Québec, François Legault; la vice-première ministre et ministre des Transports, Geneviève Guilbault; la mairesse de Montréal, Valérie Plante; le PDG de la Caisse de dépôt et placement du Québec, Charles Emond…
Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, seul politicien encore en poste depuis l’annonce du REM, en 2016, était visiblement ravi de voir que le 1,3 milliard de dollars investi par son gouvernement avait bel et bien servi à quelque chose. En montant sur scène, il a salué son nouveau ministre des Transports, Pablo Rodriguez, nommé 48 heures plus tôt à la faveur d’un remaniement ministériel. Pablo, tu viens d’arriver et déjà tu livres la marchandise! C’est fort!
Rires généralisés, qui décupleront quelques minutes plus tard, lorsque François Legault commencera son discours en lançant : Pablo, ne te réjouis pas trop vite, on a plein d’autres projets pour toi!
La bonne humeur contagieuse des vacances d’été et des journées porteuses de bonnes nouvelles, plutôt rares en politique.
Mais les principaux acteurs de la naissance de ce mégaprojet de transport en commun n’avaient pas été invités à monter sur scène en ce jour symbolique de l’inauguration du REM. Ni pour prendre la parole ni pour les multiples photos officielles – même si, à un certain moment, il devait y avoir 20 personnes collées les unes sur les autres qui souriaient aux photographes.
C’est de la deuxième rangée, et en silence, que Michael Sabia, ancien PDG de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), suivra la cérémonie et sourira aux blagues de son nouveau patron : Merci Michael d’avoir embarqué à l’époque. Tu dois maintenant t’assurer que le REM a assez d’électricité!
, lancera François Legault.
L’ancien premier ministre Philippe Couillard, assis à l’écart, près de l’écran géant, a également eu droit à un merci
, mais pas aux blagues. À ses côtés, l’ancien maire de Montréal, Denis Coderre, et l’ex-président de la filiale CDPQ Infra, Macky Tall, complétaient le quatuor silencieux des initiateurs du REM. Ils resteront loin des caméras et des micros.
Cruelle réalité des grands projets d’infrastructure qui s’étirent sur des années et qui survivent aux cycles politiques.
Les nombreux invités et journalistes présents à la cérémonie officielle n’auront eu droit qu’aux discours superficiels de circonstance de ceux qui ont attrapé le train en marche, et pas à la véritable histoire de la naissance du REM, la plus importante infrastructure construite au Québec en plus d’un demi-siècle. Et un tournant à bien des égards, autant pour le transport à Montréal que pour l’avenir de la Caisse de dépôt et placement.
Par exemple, comment les influentes agences de notation de New York, et un nouveau ministre des Finances décidé à imposer sa marque, ont joué un rôle aussi crucial qu’involontaire dans l’avènement de ce projet de 7 à 8 milliards de dollars.
Comment un premier ministre, coincé par une série de promesses électorales devenues irréalisables, a dû changer de cap et accepter un projet beaucoup plus ambitieux que prévu – 67 km de voies, le plus imposant métro électrique automatisé de la planète.
Comment le PDG de l’un des plus importants gestionnaires de fonds de pension au monde a trouvé, à l’époque, la conjoncture parfaite pour tester sa nouvelle vision… même s’il a cru à un certain moment que tout allait s’effondrer. Le REM, ce n’est pas l’histoire d’un coup de génie, d’une idée spontanée. Pas du tout. C’est un chemin compliqué, tortueux
, me dira Michael Sabia lors d’une entrevue au cœur de l’été.
Même son nom, le REM, n’a pas toujours été limpide. Il aurait pu s’appeler le Rocket, en hommage au hockeyeur Maurice Richard!
Un mois après les débuts du REM, alors que la période de rodage s’estompe, voici cette histoire.
Elle embraye il y a neuf ans presque jour pour jour, à l’été 2014, et se termine lors de la conférence de presse surprise qui dévoile le projet du REM, en avril 2016.
Le récit politique méconnu de la création du Réseau express métropolitain.