Il y en a près de 400 au Québec. Autrefois, les caribous traversaient ces zones, la forêt était dense et les Autochtones y trappaient. Aujourd’hui, ces anciens sites miniers sont voués à demeurer des plaines aux allures lunaires si le gouvernement ne s’attèle pas sérieusement à les restaurer.
« Un champ lunaire »
Rares sont ceux qui savent reconnaître un dépotoir de résidus miniers lorsqu’ils en voient un. Car il n’y a pas de barils rouillés qui traînent, mais plutôt une nature asséchée qui n’arrive plus à grandir sur un sol rempli de métaux lourds. Il n’y a pas de débris de verre ou de métal, mais un sol gris et visqueux, comme de la gomme à mâcher. Caché par une mince lisière d’épinettes, le long de la route 117, à Val-d’Or, l’ancien site minier Manitou s’étend à perte de vue.
Ce site, qui cumulait les déchets d’une ancienne mine, continue de récupérer les résidus d’une autre mine d’or (Goldex, d’Agnico Eagle), à quelques kilomètres. Ces résidus sont déposés ici à l’aide d’un pipeline.
Cette technique est considérée comme une technique restaurative, selon le ministère des Ressources naturelles. Dans un de ses documents, il est indiqué que les travaux réalisés en 2021-2022 sur ce site sont les suivants : Travaux de restauration (déposition des résidus de la mine Goldex au site Manitou). Travaux de recherche liés à la restauration du site
.
Le sol couvert de résidus miniers est par certains endroits très visqueux. Il est très facile de s'y enfoncer et d'y rester coincé.
Photo : Radio-Canada / Delphine Jung
Rodrigue Turgeon, avocat à Mining Watch, une ONG qui agit comme chien de garde de l'industrie minière canadienne, explique ce qu’il y a devant ses yeux : Ce qu’on voit, c’est un champ lunaire. Le gouvernement du Québec et l'industrie minière tentent par tous les moyens de créer une espèce de couche protectrice constituée de résidus miniers par-dessus d’autres résidus miniers qui sont générateurs d’acide
pour les contenir.
« Ce site est incompatible avec la vie. »
Il faut rappeler que le procédé d’extraction de l’or – le principal minerai extrait en Abitibi – est la cyanurisation.
Un lieu sacré
Un peu plus au nord, ce sable gris et fin de l’île Siscoe n’est pas non plus naturel. Là aussi, badauds et chiens foulent un sol fait de résidus miniers. Des résidus qui ont fini par agrandir la taille de l’île à force d’y être accumulés. Mais aucun panneau n’indique que ce sable est en fait des résidus.
Cette île, baptisée Askikwaj (l’île de la tanière du phoque, en anishnabemowin) par les Anishnabeg, était autrefois un lieu sacré. Les Autochtones s’y retrouvaient pour célébrer mariages et autres fêtes. Mais un jour, on y a découvert de l’or.
Encore plus au nord, près de l’ancienne ville minière de Joutel, en Eeyou Istchee Baie-James, c’est plutôt une couleur ocre qui recouvre le sol. Des arbrisseaux tentent désespérément de gagner quelques centimètres et une odeur de soufre gagne parfois les narines.
Un liquide visqueux et noir couvre le sol à certains endroits. À côté, de maigres troncs d’arbres calcinés survivent péniblement, sans feuilles, donnant des airs de cimetière à ce morceau de territoire.
Il n’y a plus de grands feuillus. Plus de grands sapins et d’épinettes. Pourtant, tout comme sur l’ancien site de Matchi Manitou, on trouvait ici la forêt boréale.
La petite ville champignon de Joutel, sortie de terre en 1965, a été abandonnée en 1998, car l’activité n’y était plus rentable. Elle y a vu se succéder quatre mines : Agnico, Joutel-Copper, Selbaie et Poirier. Or, selon Rodrigue Turgeon, de ces quatre sites qui regorgent de déchets miniers, seulement un a été classé comme à réhabiliter
par le gouvernement du Québec. Que va-t-il advenir des trois autres?
Face à cette étendue où l'on peine à déceler la vie animale, Rodrigue Turgeon rappelle qu’autrefois ce territoire était celui des caribous, une espèce grandement en péril au Québec. Il n’est pas difficile d’imaginer pourquoi les hardes ont délaissé ce territoire.
Il s’inquiète également pour la rivière Harricana qui traverse l’Abitibi jusqu’à la baie d’Hudson. Qu’est-ce qui coule jusqu’à cette rivière?
, se demande-t-il.
Le Québec compte plus de 400 sites miniers abandonnés comme ceux-là. Du moins, d’après les dernières données du ministère des Ressources naturelles. Certains, comme celui de Joutel, datent d’il y a près de 30 ans et attendent toujours d’être restaurés.
En plus, la ville de Joutel s’est construite en plein territoire anishnabe. Environ quatre familles ont vu leur terrain modifié à vie par l’activité minière.
L’une de ces familles est celle de Tina Mapachee. La jeune femme de 39 ans est originaire de Pikogan. Elle a connu la cabane qui se trouvait proche de l’ancienne mine Selbaie, qui a fermé ses portes en 1998. Elle était directement établie sur notre territoire
, raconte-t-elle.
À huit ans, alors qu’elle se rend à un étang pour aller pêcher la truite avec le peu de matériel dont elle dispose, elle voit qu’il n’existe plus. J’ai pleuré ma vie
, dit-elle aujourd’hui en évoquant une forêt riche avec plein de points d’eau
.
Mais à l’époque, son père, Harry McKenzie, dit Topchy
, acceptait la situation. On se revirait de bord pour trouver un autre endroit
, dit-elle. Aujourd’hui, Tina Mapachee aimerait être plus proche du territoire et surtout s’impliquer plus, même si sa condition socioéconomique ne le lui permet pas autant qu’elle aimerait.
Ne pas agir, c’est endosser ce que les entreprises font
, croit-elle.
Elle se demande jusqu’à quel point les entreprises sont responsables des dégâts qu’elles causent sur l’environnement. Elle aimerait que ses enfants aient accès à un territoire sain.
Dans les conseils de bande, on critique aussi beaucoup le comportement des minières.
« À chaque fois que je vois une destruction du territoire, ça me pince le cœur. On appartient au territoire, ce n’est pas le territoire qui nous appartient. »
Adrienne Jérôme, ancienne cheffe de Lac-Simon et actuelle directrice des ressources naturelles de cette communauté anishnabe située à une quarantaine de kilomètres au sud de Val-d’Or, pense que c’est une question d’argent.
[Les minières] disent que ça coûte trop cher, pourtant, elles font des milliards sur notre territoire! Elles s’en foutent de ce qu’elles font au territoire, elles ne pensent qu’à l’argent. Mais l’argent, c’est temporaire
, dit-elle.
Marc Nantel, porte-parole du Regroupement vigilance mines Abitibi-Témiscamingue (REVIMAT), indique que les opérations de restauration minière peuvent prendre trois à quatre ans. Ça aussi, c’est bon pour les retombées économiques, ce fameux argument que les minières avancent tout le temps
, lance-t-il.
Conséquences sur le territoire
Adrienne Jérôme est catégorique : les résidus miniers laissés à l’abandon ont des conséquences sur la faune et la flore du territoire anishnabe.
Elle prévient : Quand une mine s’installe chez toi, attends-toi à ce que ton territoire change.
Depuis des années où elle arpente chaque sentier, Adrienne Jérôme a bien vu le changement. Elle l’a aussi entendu. Je connais des chasseurs qui l’ont vu. Ils ont vu des orignaux dont la viande n’avait pas la couleur habituelle
, dit-elle.
Les minières empoisonnent le territoire. Et en plus, on est exigeants sur l’environnement, c’est pour cela que ça les ennuie de nous consulter
, assure Adrienne Jérôme.
Car le legs pour les générations futures est immense, selon Mme Jérôme et M. Turgeon. L’ancienne cheffe rappelle que les Autochtones doivent travailler fort aujourd’hui pour pérenniser l’avenir des sept prochaines générations.
« On met entre les mains des générations futures ce fardeau sans leur donner les ressources. Eux ne vont jamais tirer de l’argent de ces sites miniers. »
Une fois qu’une mine ouvre, il n’y a pas de retour à l’état initial
, croit M. Turgeon.
Même son de cloche chez Marc Nantel. C’est totalement impossible. L’écosystème a été affecté par l’activité minière qui a complètement détruit la faune et la flore. C’est comme si on avait jeté de l’eau de Javel
, affirme-t-il.
Que fait Québec?
La situation inquiète les deux hommes. Rodrigue Turgeon déplore le fait que le gouvernement n’ait même pas encore vraiment lancé l’étape de restauration des sites miniers, mais seulement celle de la caractérisation
. Ainsi, des dizaines d’années après la fermeture de ces mines, le gouvernement ne sait toujours pas quels métaux lourds y sont encore présents.
Pire encore, comme la loi qui impose aux mines de se charger de la restauration n’a été adoptée qu’en 2013, tous les sites abandonnés avant cette date sont donc à la charge du Québec.
Le ministère des Ressources naturelles assure que la restauration des sites miniers abandonnés est une priorité gouvernementale
, se félicitant de deux restaurations qu'il considère comme des réussites: New Calumet et Barvue. Notons que ces travaux de restauration ont été réalisés avant le premier mandat de la CAQ au pouvoir.
Dans son plan stratégique qui va jusqu’en 2027, le gouvernement s’engage seulement à terminer la caractérisation de 90 % des sites miniers prioritaires
, déplore Rodrigue Turgeon, de Mining Watch, qui a rédigé une maîtrise justement sur la restauration des sites miniers.
La caractérisation des sites consiste, explique le ministère, à déterminer les risques de contamination, la présence et l’envergure de la contamination (le cas échéant) ainsi que les enjeux et les répercussions qui en découlent
.
Quand est-ce que le ministère considère un site comme restauré
? Un site est considéré restauré lorsque les travaux de restauration sont complétés
, nous a-t-il répondu par courriel.
Où en est Québec?
- Le ministère des Ressources naturelles considère que sur les 394 sites miniers abandonnés, 125 nécessitent une caractérisation;
- La caractérisation de 50 sites miniers abandonnés a été entamée;
- Il y a 20 sites miniers abandonnés qui ont été caractérisés;
- Il y a 16 sites miniers abandonnés qui sont considérés comme restaurés;
Selon une carte envoyée par le ministère des Ressources naturelles, en Abitibi, il y a seulement deux sites restaurés, et ce ne sont pas d’anciennes mines. D’après la carte, aucun site minier abandonné n’a pour l’heure été réhabilité au Québec. Le ministère mentionne mener une mise à jour.
De manière générale, rien ne fonctionne vraiment dans le système actuel, selon M. Turgeon. Le ministère des Ressources naturelles est chargé de la restauration des sites miniers, alors qu’il est aussi chargé de la promotion du secteur minier. On souhaite le transfert des dossiers de restauration au ministère de l’Environnement
, plaide l’avocat.
Depuis 2013, la loi impose aux minières la présentation d’un plan de réhabilitation de leur site. Sauf que c’est la minière elle-même qui propose au gouvernement des plans de restauration basés sur des modélisations
, explique M. Turgeon. Le juge est aussi partie, estime-t-il.
Espaces autochtones a demandé une entrevue avec un porte-parole du ministère des Ressources naturelles, ce qui n’a pas été possible.
Consultations
Pour minimiser les conséquences de l’activité minière sur le territoire, Adrienne Jérôme souhaite que, dorénavant, les Autochtones soient tenus au courant de tout. Absolument tout ce que souhaite faire la minière : avant, pendant et après.
Je veux savoir quand, comment, pourquoi. Je veux tout savoir. Eux, ils ne vivent pas dans la forêt, ils vivent dans leur confort, là-haut
, dit-elle, en estimant que tant le gouvernement que les patrons des minières ne se rendent pas compte des dégâts causés par ces activités.
Steeve Mathias, négociateur en chef de la communauté anishnabe de Winneway (environ 110 km au sud-ouest de Val-d’Or), croit que ces questions doivent impérativement être abordées durant les négociations. Mais créer la confiance est difficile.
« Le territoire est sacré pour les Premières Nations. [Les minières] devraient avoir honte de laisser ça de même. »
Selon lui, il y a sûrement mieux à faire en termes de restauration. Ce sont de grosses compagnies qui génèrent des milliards de dollars, puis ils partent sans qu’on en ait tiré les bénéfices et ils nous laissent les dégâts
, dit encore M. Mathias.
Au Québec, de nombreux sites miniers abandonnés constellent la carte de la province, mais toujours moins que les claims miniers (plus de 300 000), qui laissent la porte ouverte à de nouveaux projets qui, eux aussi, devront un jour être nettoyés.
En savoir plus :
Depuis 2013, la loi impose aux minières la présentation d’un plan de réhabilitation de leur site. Marc Nantel, porte-parole du Regroupement vigilance mines Abitibi-Témiscamingue, explique que les minières doivent présenter trois projets et c’est le moins cher qui l’emporte
.
En plus, lorsque sa production ne dépasse pas les 2000 tonnes par jour, elle peut se passer d’audiences publiques. D’ailleurs, le gouvernement leur dit de s’arranger pour que leur production soit justement en dessous
, confie-t-il. Nous n’avons pas pu obtenir de réaction du ministère des Ressources naturelles quant à cette affirmation, le ministère nous expliquant qu’un porte-parole n’était pas disponible.
Le titulaire de droit minier doit verser une garantie financière couvrant 100 % des travaux du plan avant le début de ses travaux d’exploration, dont 50 % 90 jours après l’autorisation du plan, et deux de 25 % à la date anniversaire du plan.
Ce plan de réhabilitation est également révisé tous les cinq ans.
Marc Nantel assure qu’aucune mine au Québec n’a à ce jour été restaurée selon les nouvelles normes.
Selon le ministère des Ressources naturelles, le montant total des garanties financières (incluant celles versées et à venir) était d'un peu plus de 2 milliards de dollars au 28 février 2023.
La somme consacrée par le ministère des Ressources naturelles à la restauration, au suivi et à l’entretien des sites miniers abandonnés s’élève à plus de 230 millions de dollars depuis 2006.
Au 31 mars 2022, le ministère a estimé le coût des travaux liés au passif environnemental minier à 1,02 milliard de dollars, dont 708,8 millions de dollars pour les sites miniers actuellement abandonnés.
Cette facture est entièrement assumée par les contribuables québécois, dénoncent les organismes.