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Barbelés et soins de longue durée

Le Canada tarde à réformer ses politiques pour répondre aux besoins de sa population carcérale vieillissante. Pourtant, d'autres pays et compétences ont changé leur approche ou sont en voie de le faire, comme l'État de la Pennsylvanie.

TEXTE ET PHOTOS : MARC GODBOUT

Publié le 12 mars 2020

Quand le virage devient possible

Les patients ont leurs habitudes, les infirmières, le sourire. Ils sont plus d’une vingtaine sous dialyse. D’autres suivront dans l’après-midi.

De l’extérieur, Laurel Highlands ressemble à la plupart des prisons avec ses rangées de barbelés. Mais l’intérieur de cet ancien hôpital permet de découvrir une autre dimension du système carcéral qui tranche avec l’image américaine du tough on crime.

En fait, on finit presque par oublier, après quelques minutes, que les patients sont des prisonniers.

Des détenus souffrant de troubles rénaux sont couchés pendant qu’ils reçoivent des traitements de dialyse à la prison de Laurel Highlands.
Des détenus ayant des troubles rénaux reçoivent des traitements de dialyse à la prison de Laurel Highlands, dans le sud de la Pennsylvanie.Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

L’endroit contraste aussi avec les infrastructures correctionnelles canadiennes qui peinent à fournir des soins et des services aux détenus vieillissants et malades, un segment de la population carcérale vulnérable et en forte croissance.

Des prisons plus adaptées comme Laurel Highlands ont fait leur apparition un peu partout aux États-Unis. Plusieurs infirmières et membres du personnel médical servent de gardiens.

Une infirmière surveille une machine de dialyse. À sa droite, un détenu dors pendant qu’il reçoit son traitement.
Une infirmière surveille une machine de dialyse. À sa droite, un détenu dort pendant qu’il reçoit son traitement.Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

En Pennsylvanie, ils sont environ 550 prisonniers à avoir obtenu un transfert ici. Ils y reçoivent des soins spécialisés et de longue durée. Laurel Highlands dispose aussi d’une unité de soins gériatriques.

Il est courant de voir des prisonniers branchés à des bonbonnes d'oxygène ou à d'autres équipements médicaux. Les plus âgés et les plus mal en point ne sont plus logés dans des cellules. Leurs chambres sont plus spacieuses.

« C’est le jour et la nuit. Avant, j’avais le sentiment d’être abandonné. Ici, on a l’impression d’être un peu en liberté, même si on ne l’est pas. Ici, les fenêtres sont beaucoup plus grandes. »

— Une citation de   Eugene, un détenu de 73 ans
Eugene, un détenu de 73 ans est dans son fauteuil roulant devant deux grandes fenêtres de sa chambre
Eugene, un détenu de 73 ans est dans sa chambre. Il dit apprécier particulièrement la lumière du jour. Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

Les autorités correctionnelles de la Pennsylvanie ont permis cette visite des installations à condition de ne pas dévoiler le nom de famille des prisonniers et les crimes qu’ils ont commis.

La vie carcérale nous a tous usés, raconte Roger. À 53 ans, cet autre détenu doit déjà se déplacer en fauteuil roulant en raison de multiples problèmes de santé. Je souffre d’insuffisance rénale, je suis dialysé trois fois par semaine. Le diabète me fait aussi perdre la vue. Je ne vois presque plus.

C’est beaucoup plus facile que là où j’étais avant. On tient davantage compte de notre état de santé et de nos besoins, ajoute Roger, qui sera admissible à la libération conditionnelle en 2026. Il dit faire partie des chanceux. D’autres finiront leurs jours ici.

À l’extérieur d’une chambre, des affiches indiquent que cet espace est réservé aux soins palliatifs
Une des chambres servant aux détenus qui doivent recevoir des soins palliatifs Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

Punir jusqu’à la mort

Le système américain est reconnu pour son incarcération massive, et la condamnation à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle est courante. Ainsi, la Pennsylvanie se situe au cinquième rang des États ayant le plus grand nombre de détenus âgés.

Depuis la fin des années 2000, la population gériatrique dans ses prisons a explosé de 400 %. Ils sont près de 11 000 aujourd’hui à entrer dans cette catégorie.

Un prisonnier se déplace à l’aide d’un déambulateur.
Un prisonnier se déplace à l’aide d’un déambulateur dans une section de l’établissement carcéral Laurel Highlands.Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

Face à cette réalité, plusieurs États ont déjà commencé à changer leur approche, à réformer leurs politiques.

Développer des centres de soins pour les détenus et des programmes de soins palliatifs fait maintenant partie des stratégies, alors que le Canada, lui, semble avoir le pied sur le frein plutôt que sur l’accélérateur.

À Laurel Highlands, les détenus ont tous un lit d’hôpital. Et ceux en fin de vie sont accompagnés par le personnel et des prisonniers qui se relaient jour et nuit, jusqu’à leur dernier souffle. Sept chambres sont réservées aux détenus en phase terminale.

Un détenu en fin de vie dans une des sept chambres réservées pour accueillir les mourants
Un détenu en fin de vie dans une des sept chambres réservées pour accueillir les mourantsPhoto : Radio-Canada / Marc Godbout

Désamorcer une bombe

La proportion de personnes âgées qui composent la population carcérale de la Pennsylvanie est quasi identique à celle du Canada. Un détenu sur quatre a plus que 50 ans.

Ici, le discours politique change. La question des détenus âgés est continuellement au coeur des discussions au département des Services correctionnels de la Pennsylvanie.

Ebony Johnson en est une preuve éloquente. Cette gérontologue de 34 ans conseille maintenant en permanence le gouvernement pour orienter ses politiques et offrir aux détenus davantage de programmes.

La gérontologue Ebony Johnson écrit sur un tableau.
Ebony Johnson est gérontologue au département des Services correctionnels de la Pennsylvanie.Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

« Mieux définir leurs besoins est extrêmement important. Qu’est-ce qu’une prison vous offre? Qu’est-ce qu’une prison ne vous offre pas? Il faut penser autrement, comment stimuler les détenus sur le plan social et intellectuel. »

— Une citation de   Ebony Johnson, gérontologue au département des Services correctionnels de la Pennsylvanie

La gérontologue rappelle un point important qui a alimenté la réflexion de la Pennsylvanie et d’autres États américains : La recherche montre qu’après des années d’incarcération, le récidivisme chez les détenus âgés est significativement plus faible.

Un prisonnier se présente au comptoir où il doit recevoir des médicaments.
Un prisonnier se présente au comptoir où il doit recevoir des médicaments.Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

Moins de détenus en prison, c’est mieux, déclarait tout récemment le secrétaire responsable du département des Services correctionnels, John Wetzel. Le signal est déjà envoyé : La Pennsylvanie doit trouver le moyen de libérer des prisonniers âgés pour des raisons médicales.

Un discours qui détonne alors que le pouvoir législatif est détenu par les républicains dans cet État. Une approche qui aurait été inimaginable il y a quelques années. Après tout, 132 prisonniers font toujours face à la peine capitale en Pennsylvanie. Un moratoire empêche leur exécution.

L’explosion du nombre de détenus s’est révélée un choc brutal pour les législateurs. L’État fait désormais face à de fortes pressions budgétaires en raison des coûts astronomiques que représente ce segment de la population carcérale. Ici, le fardeau financier est trois fois plus élevé que pour les plus jeunes prisonniers.

Le Capitole de l'État de Pennsylvanie, dans la capitale Harrisburgh
Le Capitole de l'État de Pennsylvanie, dans la capitale Harrisburgh Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

Dans la sphère politique, cette question est maintenant omniprésente. La Pennsylvanie est en train de revoir sa législation souvent considérée comme trop restrictive, puisqu’elle rend quasi impossible la mise en liberté de prisonniers âgés et malades.

Ebony Johnson collabore à redéfinir le cadre législatif qui permettrait aux prisonniers de passer les dernières années de leur vie à l’extérieur des pénitenciers. Cette démarche suscite des questions morales et éthiques délicates. Parfois, la ligne est très mince, admet-elle, nous voulons bien faire les choses.

Nous travaillons sur le libellé de la loi. Un détenu devra d’abord être évalué et obtenir l’approbation d’un médecin avant d’être mis en liberté pour des raisons médicales ou en raison de l’âge.

La loi tiendra compte d’un certain nombre de facteurs, comme le risque pour la sécurité publique et les antécédents criminels. Des critères d’exclusion fondés sur des condamnations pour crimes violents ou des infractions de nature sexuelle sont à prévoir.

La porte du caucus de la majorité républicaine à la Chambre des représentants de la Pennsylvanie. Dans cet État, le Sénat est aussi contrôlé par les républicains.
La porte du caucus de la majorité républicaine à la Chambre des représentants de la Pennsylvanie. Dans cet État, le Sénat est aussi contrôlé par les républicains.Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

À elle seule, cette mesure permettrait d’économiser au moins 22 millions de dollars par année, selon le département des Services correctionnels.

En ce moment, nous discutons avec certaines maisons de soins infirmiers disposées à accueillir notre population. Nous en avons quelques-unes en vue.

D’autres États, comme le Colorado et le Connecticut, ont déjà élargi l’accès à une mise en liberté anticipée pour les prisonniers âgés. Des foyers de soins infirmiers pour les détenus libérés ont vu le jour dans certaines communautés.

Des fauteuils roulants dans un corridor au sous-sol du pénitencier Laurel Highlands
Des fauteuils roulants laissés par des détenus dans un corridor au sous-sol du pénitencier Laurel HighlandsPhoto : Radio-Canada / Marc Godbout

Et au Canada...

Ces efforts de la Pennsylvanie vont justement dans le sens des recommandations du Bureau de l’enquêteur correctionnel du Canada et de la Commission canadienne des droits de la personne qui maintiennent que les pénitenciers n’ont pas été construits en fonction des besoins des délinquants âgés.

Leur rapport Vieillir et mourir en prison, dévoilé l’an dernier, suggère fortement des modifications législatives pour permettre la libération conditionnelle pour raisons médicales ou gériatriques. Les libérations pour ces motifs sont peu fréquentes, malgré l’existence de certains mécanismes en place.

Autre solution recommandée pour des soins plus appropriés et mieux coûteux : des placements dans des centres de soins palliatifs, des établissements de soins de longue durée et des maisons de soins infirmiers, en utilisant des ressources financières déjà existantes.

Le gouvernement fédéral et Service correctionnel Canada n’ont toujours pas indiqué s’ils comptaient donner suite aux changements proposés.

Un prisonnier de Laurel Highlands qui souffre de démence.
Un prisonnier de Laurel Highlands souffrant de démence. Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

Des pénitenciers comme Laurel Highlands représentent des modèles, même si la réforme n’est pas terminée en Pennsylvanie.

Sur un des étages, certains détenus ne se souviennent ni de leur âge ni des raisons pour lesquelles ils sont là.

Mais plusieurs autres, comme Eugene, sont encore vifs d’esprit, parfaitement conscients de la possibilité que pourrait représenter une libération pour raisons médicales.

Le septuagénaire qui souffre de sclérose en plaques rêve d’une chose : Je n’ai jamais pu rencontrer mes petits-enfants. Cette loi est mon seul espoir de pouvoir les connaître un peu avant de mourir.

À première vue, un État où la peine de mort reste légale semble ne pas avoir de leçon à donner. Mais, là-bas, le boom de la population carcérale âgée est devenu une priorité et force un changement de culture. La Pennsylvanie peut à cet égard servir de modèle, même auprès du Canada.

Les barbelés à proximité de la cour intérieure du pénitencier Laurel Highlands
Les barbelés à proximité de la cour intérieure du pénitencier Laurel Highlands Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

Un document réalisé par Radio-Canada Info

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