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La photo montre une maison victorienne, devant laquelle est garée une vieille voiture beige.
Gracieuseté de Marie-Claude Julien

Par Marie-Claude Julien

Dans le film Une femme respectable, Bernard Émond, a choisi Trois-Rivières et sa rue historique, la rue des Ursulines, pour y camper l’histoire de son personnage principal, Rose Lemay (interprété par Hélène Florent). Le réalisateur a arrêté son choix sur une maison qui se distingue sur la plus vieille rue de la ville par son style architectural Second Empire.

Que pourrait donc nous raconter cette maison - propriété de la journaliste-animatrice Marie-Claude Julien et son conjoint Martin Dupras - si elle avait les mots pour décrire les coulisses du tournage?

Assis à l’extérieur avec son manteau d’hiver, le réalisateur du film, Bernard Émond, regarde à travers une caméra l’image de la maison de son personnage principal.
Assis à l’extérieur avec son manteau d’hiver, le réalisateur du film, Bernard Émond, regarde à travers une caméra l’image de la maison de son personnage principal.
Gracieuseté de Marie-Claude Julien
Photo: Le réalisateur Bernard Émond, en plein tournage du film Une femme respectable. Il a choisi une résidence de la rue des Ursulines, à Trois-Rivières, pour être celle de son personnage principal, Rose Lemay.  Crédit: Gracieuseté de Marie-Claude Julien

Je l’avais bien vu m’observer quelques fois ces dernières semaines.

Il marchait lentement… s'arrêtant même parfois devant ma devanture, avant de poursuivre sa route. Il s'imprégnait d’un je ne sais quoi. Puis, un jour de 2021, il a enfin cogné à ma porte.

Qu’est-ce qu’un homme comme lui pouvait bien vouloir partager avec une belle d’autrefois qui avait près de deux fois son âge? Après quelques hésitations, je l’ai accueilli. Il faut dire qu’en cette époque de confinement, on avait perdu l’habitude de laisser entrer les gens chez soi. Il s’est présenté, presque timidement : Bonjour, je suis Bernard Émond.

Ce qu’il avait à proposer était surprenant, voire inattendu : un film qu’il souhaitait réaliser sur la rue des Ursulines. Il a eu un coup de cœur! Ma remise en beauté des deux dernières années l’avait convaincu que j’étais la maison idéale pour sa femme respectable. Les fenêtres à crémone typiques, la brique naturelle d’origine, les vitraux distinctifs, la toiture en tôle martelée pièce par pièce et l’élégance des galeries en bois, dont chaque poteau a été soigneusement travaillé par un vieil ébéniste à l’aube de la retraite, l’avaient charmé.

Bernard Émond avait parcouru villes et villages pendant des mois à la recherche de son trésor et il en était venu à la conclusion qu’aucune autre maison patrimoniale de la belle province ne pouvait, disait-il, remplir parfaitement cette mission : être au service du personnage auquel il avait donné naissance par le biais de son écriture, l’élégante Rose Lemay. Rose était un personnage d’exception, née dans une autre époque. Elle portait en elle une histoire à raconter et j’allais devenir son refuge. Vivement le cinéma!

À Trois-Rivières, la rue des Ursulines est la plus vieille, mais aussi la plus belle. C’est la rue que tout le monde connaît. Elle porte le cœur historique et la culture de la ville. Les photos croquées sur le vif par les passants sont donc monnaie courante… mais le saut au grand écran, c’est autre chose.

Avant d'accueillir officiellement l’équipe de tournage en février 2022, il y a eu plusieurs visites préparatoires. Caroline Alder, Marcel Cloutier et Marie-Josée Bernard sont venus quelques fois en éclaireurs. Caroline pour les décors, Marcel et Marie-Josée pour la coordination du plateau de tournage qui allait prendre forme.

Il fallait prévoir le nombre de jours de tournage, le plan B en cas de report, la planification de l’accès et du stationnement pour les camions et la machinerie dans les vieux quartiers de Trois-Rivières, la fermeture des rues, les endroits où il serait possible de brancher les immenses génératrices, la couverture d’assurances, les ententes légales, etc. C’était le travail de Marcel et de Marie-Josée.

Caroline, elle, prenait en note tout ce qu’on allait devoir adapter, modifier, cacher pour retourner près d’un siècle en arrière, de la façon la plus réaliste possible. Pour que tout soit parfait avant l’arrivée de Rose Lemay, de son mari et des enfants, plusieurs personnes allaient venir prêter main-forte sur le terrain.

Mais la veille de leur arrivée, une mauvaise surprise nous attendait. Je me suis même sérieusement demandé si on allait devoir tout annuler. Pour une raison inexpliquée, le mois de février s’est pris pour le mois mars, voire avril. Le thermomètre est parti en vrille vers le haut et la pluie a fait fondre une bonne partie du tapis blanc, typique des hivers québécois.

Des dizaines de membres de l’équipe s’affairent sur la rue des Ursulines.
Quel casse-tête cette météo de février 2022! D’abord, la fonte des neiges avant l’arrivée de l’équipe. Ensuite, le froid sibérien. Et maintenant, le ciel trop bleu qui fait changer l’éclairage du tout au tout. Difficile d’être raccord dans ces circonstances. L’équipe doit encore s’ajuster. Photo : Gracieuseté de Marie-Claude Julien

Catastrophe! Pire, un anachronisme impensable! On n’aurait jamais vu ça en février 1932. Pour ajouter à cette drôle d’époque où dame Nature a les humeurs en dents de scie, les jours suivants ont été parmi les plus froids de l’année. Un beau défi pour l'équipe de tournage, mais les membres sont arrivés par dizaines, le sourire aux lèvres, malgré cet imprévu majeur. Ils ont tous mis la main à la pâte pour préparer le décor extérieur, les costumes et la maison en vue de l'expérience cinématographique qui se rapprochait. Tout ça en trois jours!

Le plus grand défi : la neige, et elle se faisait rare! Après l’avoir trouvée chez les voisins des alentours, toutes les stratégies allaient être utiles pour donner l’impression d’un lendemain de tempête du début du 20e siècle. Des souffleurs, des râteaux et autres objets du genre ont été utilisés pour lui donner des airs naturels au sol.

Des traîneaux ont été utilisés pour la transporter d’une place à l’autre pour ne pas laisser d’empreintes  modernes  dans le décor. Il fallait éviter de voir des traces de pelles et de pneus de voiture, s’assurer de cacher les trottoirs, l’asphalte et les lignes de peinture au sol. Des panneaux ont aussi été confectionnés et des arbres ont été plantés pour cacher certains éléments de modernité qu’on ne pouvait déplacer, notamment dans le parc des Ursulines, devant le monastère.

Malgré le respect de mes courbes d’antan, il fallait aussi penser à cacher quelques-uns de mes traits trop modernes, particulièrement l’entrée avant de la maison. Caroline Alder, la directrice artistique, a donc fabriqué de faux murs, agencés avec ceux du studio de la grande métropole où les scènes intérieures allaient être tournées plus tard. Elle a même permis à mes propriétaires une visite de ce studio montréalais.

Sur la rue des Ursulines, le jour du tournage approchait et le décor extérieur prenait forme. L’environnement était de plus en plus réaliste et nous plongeait dans ce tournant des années 30. Les comédiens étaient sur le point d’arriver, il fallait leur trouver un espace d’accueil pour les tenir au chaud et se préparer en vue des scènes à tourner. Le monastère des Ursulines était l’endroit tout indiqué. Marie-Josée Bernard, la codirectrice des lieux de tournage, a accompagné ma propriétaire pour une visite unique des lieux.

Tout était religieusement ordonné. Des aide-mémoire étaient épinglés aux murs pour se rappeler le costume de chacun. Quel angle avait le chapeau? Combien de boutons étaient boutonnés? Le sac à main est-il le même? On vérifiait le moindre détail. La section musée du bâtiment avait cédé sa place à une cafétéria qui respectait les règles d’éloignement provoquées par ce virus étrange. Des panneaux séparaient chaque place de repas. Et finalement, le maquillage. Pour l’occasion, tous les personnages de Bernard allaient y passer pour la touche finale.

Voilà! Tout était enfin en place. Action.

Les personnages ont enfin pris vie dans l'œil de la caméra. Avant chaque scène, Bernard Émond donnait ses instructions avec une grande délicatesse à tous les comédiens et les techniciens. Il vérifiait les cadrages de la caméra. Le son des micros. Le costume des personnages. L’intonation des répliques.

De l’autre côté de la rue, face à la maison, assis bien au centre du décor, il bougeait à peine. Son regard était à l'affût du moindre détail. Il était concentré. Il s’imprégnait.

C’est à ce moment que j’ai compris…

J’ai compris pourquoi il avait mis si longtemps avant de venir frapper à ma porte. J’ai compris tout ce qu’il avait projeté entre mes murs pour s’assurer que ça tenait la route. J’ai compris ce qu’il voyait déjà, il y a un an, et que je ne voyais pas encore… l’histoire de Rose Lemay.

Le clap.

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