Fin mai, il fait enfin soleil. Je plante des fines herbes et quelques légumes dans mes pots et plates-bandes, question d’expérimenter l’autonomie.
Il fait encore trop froid pour mettre mes plants d’aubergines en terre. Ça ira finalement au 24 juin.
À l’heure du premier gel, début septembre, je ne récolterai finalement que des fleurs. Jolies, mais pas très nourrissantes.
Depuis deux ans, les printemps sont pluvieux et froids. Ça retarde les semis et pas seulement les miens.
Les serres des maraîchers coûtent cher à chauffer. Les récoltes sont retardées et, parfois, irrécupérables. La saison est souvent trop courte pour se rattraper en cas de pépin.
Le jardin de Mycobio, installé à flanc de coteau, à Saint-Luc, produit pour 14 semaines de paniers d’été. À Montréal, ce genre de paniers est offert pour 21 semaines. Ils ont plus de possibilités de rentabiliser ça, juste à cause de la saison
, souligne le maraîcher Denis Morais.
Mycobio est une très, très petite exploitation de 1,3 hectare en maraîchage bio-intensif.
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Marie-Hélène Côté et Denis Morais sont propriétaires de l'entreprise Mycobio, à Saint-Luc.Photo : Radio-Canada / Joane Bérubé
Marie-Hélène Côté et Denis Morais ont réalisé le modèle idéalisé de l’alimentation locale : celui de jeunes qui s’installent en région, sur une fermette pour y produire biologiquement des produits vendus en circuits courts à leur communauté. Merveilleux. Sauf qu’il leur a fallu cinq ans avant de planter la première carotte.
Ni la terre ni le financement ne furent faciles à trouver. Le prix des terres est le frein majeur pour l’installation en maraîchage. Les très petites exploitations, comme celles de Mycobio, n’ont pas droit au soutien financier agricole.
Tous les producteurs rencontrés ont de très, très petites productions. On parle ici de l’hyperlocal, soit le marché d’une petite ville, d’une MRCMunicipalité régionale de comté. Certains n’ont que des amis et connaissances comme clients.
Rencontrer nos clients, c’est 50 % de la paie. Ça nous crinque pour la semaine. Des fois, on récolte nos produits et on pense à qui va le manger
, raconte la copropriétaire Marie-Hélène Côté.
Après huit ans de production, les maraîchers, qui ont trois enfants, ont atteint un certain palier de production ainsi qu’un bassin de clients suffisant pour bien vivre.
La mise en marché de leurs produits passe par les paniers d’été, d’automne et d’hiver, les marchés publics, les ventes en épicerie et aux restaurants.
La Matanie, où vivent environ 20 000 personnes, compte deux autres maraîchers qui vendent une production diversifiée directement au consommateur.
Le Jardin du petit domaine est installé dans un rang de Saint-Léandre depuis maintenant 30 ans. Tout se vend dans une roulotte installée au bout du jardin. Sa clientèle fréquente le jardin de Noëlla Côté grâce au bouche-à-oreille.
Au moment où le maraîchage semble en plein essor, la clientèle du Jardin du petit domaine se renouvelle peu, malgré des prix très abordables. Noëlla Côté n’a pas le personnel pour être au marché public. Elle n’a pas de page Facebook.
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Les propriétaires des Jardins de l'orme vendent leurs produits dans leur kiosque et aux marchés publics.Photo : Radio-Canada / Joane Bérubé
Le petit maraîcher ne peut pas être qu’un jardinier. Ce n’est pas suffisant. Pour survivre, il faut être partout, au jardin, au comptoir, au marché public, à l’ordinateur et à la cuisine.
Maraîchers depuis plus de 20 ans, Caroline Durette et David Porlier, des Jardins de l’orme, l’ont bien compris eux aussi. Ils ont démarré leur entreprise avec en tête un projet de vente de légumes aux restaurateurs. Les chefs changent, les commandes s’annulent. Une clientèle trop instable, commente David Porlier.
La vente en kiosque s’est imposée, même si l’endroit est à cinq kilomètres du centre-ville. Le reste des ventes s’effectue aux marchés publics.
Pour joindre les deux bouts, surtout l’hiver, les Jardins de l’orme fabriquent des savons, des bombes de bain, des tisanes, des herbes séchées, des marinades et des confitures. Les produits sont distribués dans plusieurs commerces du Bas-du-Fleuve et de la Gaspésie. Les ventes s’effectuent aussi en ligne.
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Les Jardins de l'orme fabriquent des savons pour diversifier leur offre de produits.Photo : Radio-Canada / Joane Bérubé
Sans cet apport, malgré une clientèle fidèle, la rentabilité ne serait pas au rendez-vous.
Y a-t-il de la place pour d’autres maraîchers en Matanie? Les principaux intéressés en doutent. « Si la mentalité de façon globale changeait pour s’approvisionner local, probablement qu’il y aurait de la place pour plus de maraîchers. Par rapport aux types de clientèle qui sont conscientisés, qui veulent le faire et pour qui c’est important, je pense qu’on répond à la demande actuellement », commente Denis Dorais.
Tous me parlent de quelques centaines de clients. Pas de milliers. Une centaine pour un, un peu plus pour d’autres. On reste dans la marginalité.