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Illustration montrant des caméras de surveillances qui pointent sur le Canada, au-dessus des États-Unis.
Radio-Canada / Émilie Robert

Texte : Stéphanie Dupuis Illustration : Émilie Robert

Le Canada se classe parmi les pires pays au monde en matière de piratage, selon un récent rapport de l'International Intellectual Property Alliance (IIPA), un regroupement qui représente notamment les intérêts des industries du cinéma et de la télévision.

« Il est pratiquement impossible de surestimer l'ampleur du problème de piratage au Canada. »

— Une citation de  Extrait du rapport de l’IIPA

En ces temps difficiles économiquement, nombre d’internautes sont en quête d'options abordables – mais pas toujours légales – pour avoir accès à du divertissement. Voici le quatrième article d’une série de cinq sur le sujet.

Selon ce qu’on peut lire dans le rapport de 241 pages, dont un chapitre est réservé au Canada, 22,4 % de la population canadienne a accédé à des services pirates en 2022.

Parmi les pratiques illégales les plus courantes au pays, on trouve le téléchargement de torrents pair-à-pair (P2P) par le biais de sites dédiés à ce genre de pratique. On compte aussi des dizaines de sites web, applications et logiciels proposant des services d’extraction de flux (stream-ripping), soit l’utilisation d’un logiciel pour enregistrer une vidéo sur un site de diffusion, afin de le rendre disponible sur des sites illégaux, par exemple.

Mais en termes de popularité, les services de TV IP, la télé par Internet, ne laissent pas leur place, dépassant même les sites P2P, selon l’IIPA.

Le rapport accuse notamment leurs sites d’imiter l’aspect et la convivialité des services légitimes de diffusion en continu. Et les personnes derrière ces sites participent même à développer des applications Android contrefaites qui permettent aux services de piratage par abonnement et aux décodeurs grand public d'accéder aux services de diffusion en continu sans autorisation.

« Les preuves montrent avec persistance que le marché numérique du contenu protégé par le droit d'auteur au Canada continue d'éprouver des difficultés à réaliser son plein potentiel en raison de la concurrence des sources illicites en ligne. »

— Une citation de  IIPA

Les constats de l’IIPA sont si accablants que l’organisation a placé le pays sur une liste à surveiller en 2023, aux côtés du Nigeria, des Émirats arabes unis, de Taïwan et du Brésil, entre autres.

La GRC montrée du doigt

Dans son rapport, l’IIPA pointe notamment l’inaction de la Gendarmerie royale canadienne (GRC) : Peu de ressources sont consacrées à la poursuite des affaires de piratage; les procureurs manquent généralement de formations spécialisées dans la poursuite de ces délits et, trop souvent, classent le dossier ou plaident la cause, ce qui se traduit par des peines peu sévères.

Le regroupement recommande notamment que le gouvernement canadien forme le personnel de ses autorités réglementaires pour lutter contre les services de télé sur IP (IPTV, en anglais), entre autres, et finance de manière adéquate l’application de la loi fédérale pour lutter contre le piratage. Il souhaite également que des poursuites pénales soient engagées dans les affaires de droits d’auteur.

Sollicité par Radio-Canada, le ministère de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique du Canada indique ne pas reconnaître la validité du rapport de l’IIPA.

« [L’IIPA] n’utilise pas une méthodologie claire et s’appuie principalement sur des allégations de l’industrie plutôt que sur des preuves empiriques et une analyse objective. »

— Une citation de  Hans Parmar, relationniste média du ministère de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique du Canada

Néanmoins, selon le professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal (UdeM) Pierre Trudel, la prolifération de ces services illégaux est notamment encouragée par le manque de proactivité du gouvernement pour identifier, et éventuellement mettre hors d’état de nuire les IPTV et autres distributeurs illégaux de contenus.

Le porte-parole du ministère ajoute que l’approche du gouvernement fédéral est conforme [aux] obligations internationales, notamment en vertu de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), et affirme avoir établi un équilibre entre la protection et la promotion de l'utilisation en ligne de contenus protégés par le droit d'auteur, la sauvegarde des droits et libertés individuels dans un Internet ouvert, et la facilitation d'un marché numérique florissant.

Le gouvernement dit être engagé à faire en sorte que les droits d'auteur soient respectés et que le piratage en ligne soit limité, et a également mené une consultation afin d’entendre la population sur la modernisation et l’encadrement des droits d’auteur en ligne.

S'inspirer d’autres pays

Pour légiférer, le Canada pourrait prendre exemple sur l’Europe, dont les initiatives des autorités contre le piratage sont plus vigoureuses et proactives, indique Pierre Trudel, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal (UdeM).

Le droit d’auteur est perçu de façon peut-être plus légitime en Europe qu’en Amérique du Nord, ce qui peut s’expliquer par l’association que font les gens entre la propriété intellectuelle et les gros joueurs d'Hollywood, donc des entreprises qui ne sont pas à plaindre, explique le spécialiste en droit des médias.

Aussi, en Europe, on réprimande l’utilisateur ou l’utilisatrice pour avoir téléchargé un contenu obtenu illégalement, et pas seulement le service qui l’a rendu disponible.

En France, par exemple, une personne qui télécharge un torrent reçoit un premier avertissement par la poste. Au bout de trois à l’intérieur de 12 mois, le gouvernement peut entamer des poursuites judiciaires, pour une peine maximale de 1500 € (2200 $ CA) d'amende. Et c’est le propriétaire de la connexion Internet qui est responsable, même si ce n’est pas lui qui a téléchargé le contenu illégal.

Cette façon de procéder est toutefois moins en phase avec les mœurs canadiennes, selon Pierre Trudel. Pourquoi? Il y a une vingtaine d’années, au début des torrents aux États-Unis, il y a eu des maladresses : on se mettait à poursuivre des ados.

Des entreprises multimilliardaires qui s’en prennent à un ado qui a téléchargé illégalement, ça a mal passé, ils ont très mal paru. Et ça a laissé beaucoup de traces au Canada, raconte Pierre Trudel.

Lors des dernières modifications du droit d’auteur au Canada, on a beaucoup insisté pour que les gens puissent faire ce qu’ils veulent d’une œuvre acquise pour un usage privé, ajoute le professeur de droit.

« Ce qu’il faut rechercher, c'est une façon d’attraper à la source les entreprises qui ont des pratiques déloyales. »

— Une citation de  Pierre Trudel

Octroyer au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) le pouvoir de réglementer ce qui se déroule sur Internet, comme le voudrait le gouvernement fédéral avec le projet de loi C-11, pourrait permettre d’assainir le secteur, croit Pierre Trudel.

Pirates contre-attaquent

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