Quand nous rencontrons Alexis Delcour à Saint-Cirgues-en-Montagne, il est déjà en train de remplir le réservoir de son camion.
Ce maçon, moins occupé à cette période de l’année, donne un coup de main à un ami qui dirige une entreprise de transport en se transformant en livreur.
Ce que livre Alexis Delcour est une ressource qui pourrait sembler abondante dans cette région parcourue par de nombreuses rivières, mais qui se fait très rare depuis des mois : l’eau.
Une fois les 12 000 litres dans le réservoir de son véhicule, Alexis Delcour prend la route pour une quinzaine de minutes avant d’atteindre sa destination, le village de Coucouron.
Depuis l’été, cette municipalité de 800 habitants est à sec, ses réserves naturelles étant épuisées.
On ne s'en rend pas compte le matin quand on ouvre notre robinet, mais le jour où il n'y a plus d'eau qui coule, on se dit que là, il y a un gros souci
, lance Alexis Delcour pendant que le contenu de son camion se déverse dans le réservoir municipal.
En tout, au cours de la journée, il fera cinq livraisons, pour un total de 60 000 litres d’eau. Ce résident d’une communauté avoisinante craint que la pénurie ne se répande à d’autres localités de la région.
« Est-ce que ça va continuer? Est-ce qu'on aura encore des étés comme on a eus, aussi chauds et secs? Est-ce que les précipitations vont continuer à diminuer comme ça à l'avenir? Il y aura certainement des problèmes d’eau sur d’autres communes. »
Des réserves déficitaires
Il suffit de se déplacer à quelques dizaines de kilomètres au sud de Coucouron pour constater que le manque d’eau est loin d’être un problème circonscrit à une seule communauté.
De grandes bandes de sable empiètent sur le réservoir du barrage de Naussac. Lors de notre passage, ce bassin n'était rempli qu’à un peu plus du tiers de sa capacité, une proportion qui a légèrement augmenté depuis.
Ce barrage, qui alimente la rivière de l’Allier et contribue également à alimenter la Loire, subit également les conséquences de la faiblesse des précipitations hivernales.
Selon Météo France, l’hiver qui vient de se terminer a été relativement doux, avec des températures supérieures à la moyenne de 0,8 degrés Celsius. Mais la saison a surtout été très sèche. Sur l’ensemble du territoire, l'organisme public a noté des précipitations déficitaires d’environ 25 %.
Cet hiver est ainsi en France la cinquième saison consécutive marquée par un déficit de précipitations et des températures plus élevées que la normale
, ajoute Météo France.
Conséquence : le niveau des nappes phréatiques est nettement inférieur à celui de l’année dernière dans plusieurs régions du pays.
Municipalités et agriculteurs doivent s’ajuster
C’est justement l’assèchement des nappes phréatiques qui cause de grandes difficultés aux résidents de certaines municipalités.
Le phénomène n’est pas limité qu’à Coucouron. À 100 kilomètres plus au nord, dans le département du Puy-de-Dôme, la commune d’Arlanc a elle aussi été frappée de plein fouet par la sécheresse hivernale.
Le réservoir de la ville s’étant vidé, une partie de la population a vu son accès à l’eau potable coupé pendant une dizaine de jours en février. Comme à Coucouron, Arlanc dû être alimentée par camion-citerne.
« Je n'ai jamais connu ça. On a connu ça sur les périodes d'étiage, c'est-à-dire fin août, septembre, voire début octobre, mais jamais en février on n'a vu une telle situation. »
Dans la fontaine publique à côté de nous, l'eau ne coule pas, et son bassin est à sec. C'est voulu : La collectivité se doit aussi de montrer l'exemple
, précise le maire, Jean Savinel.
Bien que le réservoir municipal soit de nouveau rempli, la région est sous le coup de restrictions liées à l'utilisation de l’eau depuis le début du mois de mars.
Pendant deux mois, les résidents de la commune ne peuvent pas utiliser d’eau potable pour arroser leur jardin ou leur potager, laver leur véhicules ou remplir leur piscine.
Habituellement, les printemps sont assez humides, mais là, on ne sait pas. C'est l'incertitude et c'est pour ça qu'il fallait qu'on prenne des mesures assez rapides pour pouvoir faire face à des situations comme ça
, explique Jean Savinel.
À la mi-mars, une quinzaine des 96 départements qui composent la France métropolitaine étaient placés en état d’alerte à cause de la sécheresse. Des restrictions liées à l’utilisation de l’eau ont été décrétées pour une partie de leur territoire.
Même que dans le département du Puy-de-Dôme, en Ardèche, une vingtaine de municipalités ont temporairement suspendu l’octroi de permis de construire, en raison du manque d’eau à partager sur leur territoire.
Une autre sécheresse, sinon c’est stop après
Si la sécheresse chamboule le quotidien des habitants de certaines municipalités, elle commence à ressembler à un véritable cauchemar pour les agriculteurs comme Jean-Luc Bouchet, dont la ferme laitière est située à quelques kilomètres d’Arlanc.
On a des gros problèmes de réseau d'alimentation. On a des coupures d'eau assez fréquentes et c'est très compliqué. On est souvent obligés d'aller remplir à la rivière pour abreuver les animaux
, raconte celui qui possède plus de 200 vaches.
Dans ce secteur agricole, les besoins en eau sont très grands. En période de production, chaque animal doit consommer 100 litres par jour. En ce moment, 120 vaches de la ferme de Jean-Luc Bouchet produisent du lait.
Pour l’agriculteur, les impacts de la sécheresse sont bien plus larges. Le manque d’eau a réduit la récolte de maïs que Jean-Luc Bouchet fait pousser pour nourrir ses vaches. De 18 tonnes en 2021, la quantité produite est passée à 6 tonnes seulement l’an dernier.
Pour compenser cette baisse de récoltes, l’éleveur doit se tourner vers des produits de substitution, ce qui a un impact financier sur ses activités. Je peux passer 2023
, assure Jean-Luc Bouchet, qui croit toutefois qu’une autre année de sécheresse aurait des impacts irréversibles sur sa ferme.
Une autre, pas plus. Sinon, après, c’est stop. Il va falloir vendre le cheptel, pas d’autres solutions
, lance-t-il.
Avec la sécheresse hivernale, le contexte est toutefois peu encourageant. Quand nous le rencontrons sur l’heure du midi, à la mi-mars, il fait déjà 20 degrés Celsius et de la ferme, on voit bien la couleur brune des arbres secs sur les collines avoisinantes. Vous regardez les bois, c’est en train de tout mourir
, constate Jean Luc Bouchet.
Pour tenter de s’adapter, l’agriculteur a lancé des recherches afin de trouver le meilleur endroit pour creuser un puits sur son terrain, mais il ne s’attend pas à une solution miracle. S’il ne pleut pas, ce sera pareil, on n'aura pas d’eau
, dit-il.
« Ça pose beaucoup de questions, mais des solutions, on n'en a pas beaucoup non plus, parce que vous savez aussi bien que moi que l'eau, c'est la vie. »