L’expédition des Premières Nations a parcouru plus de 4000 kilomètres en 17 jours avec pour objectif la réconciliation. Des liens presque familiaux se sont créés au fil des déboires, des bris, des pleurs, de l’entraide, des fous rires et des moments de partage.
Chercher à comprendre
Comment c’est possible?
La question revient en boucle dans la tête de l’avocat cri John Paul Murdoch alors qu’il avance avec sa motoneige sur le territoire innu.
Lors de la dernière journée de l’expédition des Premières Nations, le paysage se dessine sous ses yeux : de longs lacs glacés avec des bosses qui font sauter les motoneigistes, les sapins dodus de neige entre lesquels il faut slalomer, des montagnes sur le côté, des rivières dont on entrevoit le filet d’eau. Si peu de traces humaines, quelques empreintes d’animaux sauvages. Puis des pylônes électriques… et cette question qui revient : Comment est-ce possible?
.
Je descends et on commence à voir plus de routes, de lignes de transmission, c’est la civilisation; et je pense à Joyce Echaquan, aux femmes [autochtones] disparues et assassinées, aux enfants des pensionnats. Comment ça se fait que ça arrive? Pourquoi c’est possible? Pourquoi même c’est probable?
Comme tous les participants de l’expédition, le Cri est bien fatigué des milliers de kilomètres parcourus, mais le paysage incite à une profonde réflexion. Il pense à cette expérience qu’il vient de vivre entre différentes nations et des non-Autochtones. Ils ne se connaissaient pas ou peu et, en l’espace d’à peine trois semaines, ils sont devenus une famille.
La question du pourquoi trotte dans la tête de John Paul Murdoch.
Parce qu’on est vulnérable
, conclut l’homme, seul sur sa motoneige, mais entouré par le groupe.
« Tu prends un caribou et tu le mets à Laval ou sur l’autoroute 15, il est extrêmement vulnérable! Mais quand tu es dans ta famille, dans ton troupeau, qu’il soit composé d’autres nations ou d’autres allochtones, tu n’es pas vulnérable! »
Il enchaîne, envahi par l’émotion : Tu peux vivre par moins 43, n’avoir aucune idée où est ton chemin et tu ne seras pas vulnérable, tu ne seras jamais abandonné. Jamais toute seule ou disparue!
. Être ensemble, se tenir, ne plus fermer les yeux.
Trois causes véhiculées par l'expédition
- Les femmes autochtones sont 12 fois plus susceptibles d’être portées disparues ou assassinées que les femmes non autochtones, selon l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
- Plus de 150 000 enfants autochtones ont été forcés de fréquenter les pensionnats pour Autochtones et les conséquences sont intergénérationnelles.
- Joyce Echaquan, une femme atikamekw, est décédée dans un hôpital alors que sa mort était évitable. Le racisme systémique a contribué à son décès, selon la coroner. L’adoption par Québec du Principe de Joyce est réclamée.
Partir et revenir ensemble
17 jours plus tôt, au départ de Manawan, en territoire atikamekw, personne n’aurait imaginé que le groupe arriverait à destination sans blessures graves et presque au complet. Seul un allochtone a été exclu de l’expédition, car il ne respectait pas certaines règles. L’expédition a été difficile pour les participants, autant moralement que physiquement.
La mission principale d’une telle aventure demeure la réconciliation, afin de toucher le plus de gens possible, sans faire de la politique, mais avec des gestes!
, clame l’Atikamekw Christian Flamand, l’un des organisateurs.
« Passer le message de paix, de réconciliation et rendre hommage aux femmes autochtones disparues et assassinées, aux enfants des pensionnats et à Joyce Echaquan. Et je ne pensais pas que ça allait avoir un impact aussi gigantesque! »
Un véritable esprit de famille s’est installé parmi les participants, selon les messages qui ne cessent de pleuvoir dans un groupe privé sur un réseau social deux semaines après la fin de l’expédition. Entre nostalgie, souhaits de fête, souvenirs et blagues, les membres s’écrivent à longueur de journée, s’appellent frères et sœurs et indiquent qu’ils s’ennuient tous les uns des autres.
L’Innu de Nutashkuan Tony Malec se frappe la poitrine plusieurs fois de la main. Il reste encore 500 kilomètres à parcourir. Il a hâte de serrer son petit-fils, mais en attendant, son cœur est empli d’une immense joie
créée par ses nouveaux amis.
Les gens sont accueillants. Les allochtones aussi, ils ont été près de nous. Ils disent qu’on est une famille. La famille s'agrandit puis je trouve ça...
Il marque une pause, se frappe à nouveau la poitrine. Je rentre ça dans mon cœur. Il s’est créé un lien très uni, côté autochtone et côté allochtone. J’ai adoré mon expérience.
Martin Lusignan, de Bedford en Estrie, acquiesce. Ce qui m’a plu, c’est de voir comment l’esprit s’est développé entre tout le monde. Au début, c’était chacun pour soi, mais après ça, il y a eu vraiment une ambiance : tout le monde s’unit et s’aide
, dit-il le sourire aux lèvres.
Martin Lusignan, propriétaire d’une résidence pour personnes atteintes de troubles cognitifs et d’alzheimer, se prépare pour sa dernière journée en chantant Les matins se suivent et se ressemblent…
. Ça va être une belle journée
, affirme-t-il.
Pourtant, les matins se suivaient et ne se ressemblaient pas. Depuis deux ans, Martin Lusignan préparait l’expédition qui se voulait d’abord, à ses yeux, un grand voyage de motoneige.
Il s’attendait à ce que ce soit difficile, ce qui fut le cas : la vie en groupe, dormir dans des lits de camp avec de la neige dessus, les 13-14 heures de motoneige par jour, les bris mécaniques, le tout loin de sa famille. Ça, c’était trop dur
, souffle-t-il.
Mais comme tous les autres, si c’était à refaire, il n'hésiterait pas. Certains ont déjà même prévu de participer à la prochaine édition annoncée pour 2025.
Des fois, tu juges du monde et tu penses qu’il ne ferait rien pour toi. Et tu te rends compte que ce sont eux qui se démènent le plus. Apprendre à se connaître, c’est vraiment le fun. C’est fou comme j’ai des amis dans les communautés qui veulent que j’y retourne! C’est très plaisant!
, dit-il.
Car Martin Lusignan retient, avant le trip de motoneige, le trip humain avec le monde!
Il n’y a pas une communauté où je suis allé qui a fait des cérémonies où je n’ai pas été ému. C’est vraiment venu me chercher. Au début, on a nos raisons personnelles et, à un moment, tu te rallies à la cause
, poursuit-il.
Avec sa caméra GoPro vissée sur son casque, Vincent Chatigny, un restaurateur de Québec, a filmé les levers et les couchers de soleil, les aurores boréales, les moments d’entraide les pieds dans la gadoue à tirer une motoneige pour la sortir de là, mais sa caméra n’a pas réussi à capter à quel point ce voyage l’a chamboulé. Alors que l'expédition tirait à sa fin, il exprimait ne pas avoir envie de revenir en ville.
On rencontre plein de monde de communautés différentes, on apprend à travailler ensemble. Puis on voit qu’il y a un mood différent avec les Autochtones. C’est vraiment au jour le jour, « go with the flow
, explique-t-il, avant d’aller arranger son traîneau.
Décrocher, moins dramatiser
lui manque dans sa vie d’entrepreneur, affirme-t-il. De plus, il concède que sans l’aide des Autochtones, surtout les Cris et les Naskapis, il n’aurait pu finir le périple, car il était mal préparé.
À Chisasibi, un lui a donné des mitaines en peau de phoque, un autre lui a prêté son traîneau, un troisième, son gros sac pour mettre l’équipement. Et là, je suis rendu équipé. Je n’ai plus de problème. On tisse des liens comme ça. Ces gars sont devenus mes amis!
L’accueil des communautés
C’était le souhait de Peggie Jérôme. Alors que le moteur de sa motoneige vrombissait au départ de Manawan, elle regardait la foule mélangée sur le lac : Autochtones, allochtones, membres des forces armées et même journalistes français. Toute sorte de monde, on est mixé, c’est beau de voir ça!
, a-t-elle lancé.
Elle espérait surtout que l’expédition allait aider les gens à venir découvrir les Autochtones dans leurs communautés. Parce qu’on est des bons, on est bienveillants
, s'est-elle senti obligée de préciser avant de s’élancer.
L’accueil dans les communautés a été au-delà des attentes. Car chaque soir, quand la fatigue était présente, les mains crispées, le dos lourd, les habitants amassés à l’arrivée offraient une chaleur humaine réconfortante aux participants.
L’expédition Premières Nations s’est arrêtée dans dix communautés autochtones et deux villes allochtones, en traversant les territoires ancestraux atikamekw, anishinabe, cri, naskapi et innu.
Quand tu arrives dans les communautés, tu oublies la motoneige. La fierté des communautés ressort, elles sentent qu’elles existent enfin, qu’elles sont importantes, reconnues, et on le voit
, poursuit Vincent Chatigny, les yeux encore emplis d’images.
La fierté des enfants qui dansent, celle des aînés qui racontent leur vie au pensionnat, celle des familles de femmes disparues pour qui les motoneigistes sont une voix portant la leur, celle des joueurs de tambour, celle des participants qui, gonflés de fierté, font découvrir leur territoire.
À l’image de Terek Einish, un Naskapi de Kawawachikamach. Un quoi? D'où? Le jeune de 22 ans a entendu ces questions de plein de personnes
. Quand il est entré sur son territoire, avec son père et les autres Naskapis, guidant le groupe de motoneigistes jusqu’à destination, il a ressenti cette fierté que son visage laisse clairement transparaître.
J’étais fier de faire la route. J’ai aimé que les autres voient le territoire, comment on trace le chemin, comment on travaille en équipe. Ils ont découvert ma communauté. Je pense qu’après ça, tout le monde va savoir où est Kawawachikamach.
Non seulement, les participants savent, mais désormais ils portent un bonnet traditionnel naskapi, réputé pour être tricoté serré, offert par la communauté.
Sur le lac Boucher, au nord de Sept-Îles, flottent au vent des drapeaux orange, mauves et rouges, symbolisant les trois causes portées par l’expédition. Marie-Line Pinette et son père Adrien attendent sur le bord de leur chalet. Ils espèrent que les motoneigistes qu’ils suivent sur les réseaux sociaux vont s’arrêter. Du thé fumant et des biscuits les attendent.
Le groupe arrive et se stationne. La famille les accueille, prend des photos. Ça fait plaisir, c’est pour ça qu’on a mis les drapeaux, dit Marie-Line Pinette. Ça me touche qu’ils fassent ça. Surtout les non-Autochtones parce qu’ils vont connaître les Indiens comme on est.
Partout, ce besoin de montrer qu’ils existent, occupent le territoire, sont accueillants.
À Chisasibi, on est restés deux-trois jours et j’ai senti l’amour des gens. Toutes les communautés nous ont traités comme des rois!
Dany Sabourin de Saint-Félix-de-Dalquier ne tarit pas d’éloges. Il a fait l’expédition pour vivre une aventure avec son fils Samuel, mais aussi pour découvrir les communautés.
Il n’a pas été déçu de cette vraie belle expérience
. Il s’est fait beaucoup d’amis et d'amies dans le groupe, et l’accueil des communautés l’a profondément marqué. Ils nous ont tous considérés au même titre qu’eux. Je crois qu’il faut faire plus d’activités comme celle-là au Québec, de voir les modes de vie de tous. Vraiment un bel échange culturel!
Il enchaîne : J’ai plusieurs amis autochtones et c’est comme les Blancs, il y a des bons et des moins bons, quand tu fais des activités avec eux, tu vois que c’est du bon monde avec un grand cœur!
. Il se dit marqué aussi par les témoignages entendus de survivants.
J’ai vu des changements dans les allochtones
, soutient l’Atikamekw Viviane Chilton. Ils se sont beaucoup adaptés à nous et, à un moment donné, c’était le respect, l’entraide. J’ai bien aimé voir l’adaptation qu’ils ont faite!
À l’arrivée à Mani-utenam, près de Sept-Îles, après ces kilomètres avalés, Peggie Jérôme arbore un sourire immense. Pour l’accueil, époustouflant
, comme dans toutes les communautés. Pour la fierté qu’elle lit dans les yeux des gens. Pour la réconciliation aussi.
Les allochtones ont vu qui nous sommes, les Premières Nations, et comment on connaît notre territoire. On veut être là, exister. Les enfants et les femmes disparus, ça les touche aussi. On dirait qu’ils ont appris la compassion, l’empathie, c’est vraiment touchant
, raconte-t-elle avant d’aller serrer ses proches.
C’est beau de voir la réconciliation. On est rendus des frères et sœurs, une grosse famille
, poursuit Peggie Jérôme.
L'avocat cri John-Paul Murdoch propose une définition du mot réconciliation
, inspirée de l'expérience de l'expédition.
« Tout le monde utilise le mot réconciliation. Pour dire quoi ou comment le définir? C’est ça qui s’est produit. Que deux groupes complètement différents avec des préjugés profonds des deux bords soient capables de s’apprécier. »
Ne laisser personne derrière
Dany Sabourin parle de son idole
qui l’a marqué : John Sam, un ranger cri de Chisasibi. Il nous a montré plein de trucs en forêt, toujours souriant même quand ça va mal, une perle dans un groupe. Ce sont des modèles, ces gens-là.
Quand on entend le son de leur voix, c’est souvent dans un éclat de rire. Les neuf Rangers, ces réservistes autochtones de l’Armée canadienne, ont su se tailler une place dans l’expédition. Discrets, mais toujours alertes, ils ont contribué à ce que le groupe se soude.
On fait du soutien, on entraide ceux qui sont mal pris
, lance John Sam, les genoux dans la neige sur un lac lors d’un arrêt pour boire et manger. Avec Pinip Mestenapeo, il s’affaire à remettre des sangles en place.
Ce dernier, un ranger de Nutashkuan, précise : On est là, tout le temps!
. Après que deux personnes se furent perdues le deuxième jour de l’expédition, les Rangers ont décidé de fermer la marche. En tout temps.
« On se tient toujours en groupe. On ne laisse jamais quelqu’un derrière. Si ça ne vient pas, on va le chercher. »
Une chance qu’on a les Rangers. On n’en parle pas assez. Ils nous aident grandement. Sans eux, toutes ces motoneiges ne seraient pas rendues à destination. Dès qu’il y a quelque chose, ils sont là
, explique l’adjudant Sylvain Morel, responsable des Rangers.
Une nuit, pendant que les motoneigistes dormaient, les Rangers ont changé les pompes à essence. Et pourtant, au petit matin, ils étaient prêts, assis sur leur motoneige, en attendant le départ. Ils ne restent d’ailleurs pas souvent assis, toujours à bricoler, remplacer, peaufiner.
Pour les Rangers, l’expédition se voulait d’abord un exercice. Il y avait notamment de nouveaux systèmes de communication à tester. Mais sur le plan personnel, les causes les touchaient.
La réunion des nations
Pinip ne le sait pas, mais un autre Innu observait son équipe. Carlo Mckenzie, de Mani-utenam, dit avoir beaucoup appris de l’expédition.
J’ai observé comment la gang de Nutashkuan travaillait bien ensemble, bien synchronisée, dit-il. Je les regardais tirer une motoneige prise dans la glace. Ils l’ont montée dans une montagne, ce n’était pas long. Ils ont de l’expérience. J’ai vu John Sam réparer des pièces cassées, une suspension, avec du bois. C’était très intéressant. Et puis comment ils se préparent pour une expédition.
Le voyage lui a offert aussi un moment d’émotion personnelle. Arrivé sur le territoire ancestral innu, il a eu des flashbacks
. Il s’est souvenu de quand, petit, il allait chaque année avec ses grands-parents sur leur territoire de chasse jusqu’à ce qu’il entre à l’école. J’ai arrêté de monter à ce moment, dit-il. J’ai de vagues souvenirs lointains, mais je les ai encore, ça m'a permis de voyager en dedans de moi!
Alors que le convoi avance à bonne allure vers sa destination finale, Marcellin Michel fait un arrêt. Un peu en hauteur dans la neige se dessinent des croix. C’est le cimetière Ashuanipi, situé en plein cœur du Nitassinan, le territoire ancestral innu. Marcellin grimpe, se fraie un chemin dans la neige et se recueille.
C’est ici qu’il a fait ses premiers pas de chasse
avec son défunt père. Ce dernier entretenait le cimetière chaque année. Mais depuis qu’il est décédé, il y a 14 ans, Marcellin n’était pas revenu.
Ça fait quelque chose dans le cœur de voir ça, j'avais les larmes aux yeux, ça me fait chaud au cœur. Je suis fier d’avoir amené les nations ici.
Cette expédition est exceptionnelle
, répète-t-il avant de se reprendre : grandiose
.
« Ça va arriver une fois dans la vie seulement. Et on voit, lorsque les nations se rallient, comment c’est fort. On est capable d’aller loin, loin, loin. »
La mémoire du sang
Les mains accrochées à son guidon, Rylee Nepinak se sent un peu seul au départ de l’expédition. Cet Ojibwé du Manitoba ne connaît quasiment personne. Il est le seul à venir d’une autre province, anglophone, et il n’avait pratiquement jamais conduit de motoneige de sa vie.
Je ne sais pas à quoi je m’attendais, dit-il. À rencontrer beaucoup de gens et peut-être à nouer des liens, mais pas au type d’enseignements qui me sont parvenus et aux difficultés de se déplacer tous ensemble en groupe dans un climat rude. Je me sens très humble et j’ai l’impression d’avoir beaucoup appris de cette expérience.
Il s’est perdu le deuxième jour. Il a pleuré, prié. Il a touché son sac de médecine qu’il porte autour du cou, a réfléchi, a finalement rejoint le groupe. Il voulait se prouver et prouver à ses pairs que les jeunes Autochtones sont vraiment puissants.
La suite n’a été que succession d’apprentissages. Quand il réfléchit, il a une impression de déjà-vu.
« Je l’ai ressenti dans mon sang. Certains parlent de mémoire de sang. Ils parlent des souvenirs de nos ancêtres et de leurs expériences qu’ils ont transmises à la génération suivante. J’ai ressenti des sentiments familiers : ce que nos ancêtres ont vécu en tant que peuple nomade voyageant ensemble. »
Bien sûr, il y a eu des crises, des tensions, mais le long du trajet, il y a toujours eu un mot, une tape sur l’épaule, un coup de main, une barre tendre offerte, une banique (pain autochtone) improvisée.
Il raconte avoir pensé aux jeunes comme lui qui suivaient les conseils des plus âgés. C’est juste un peu différent. Et ce qui m’a conforté dans l’idée, c’est que tout le monde prenait soin de moi et s’assurait que j’allais bien, que j’étais au chaud. Ce sont mes oncles, mes tantes, mes mushum, mes kukum, mes frères, mes sœurs.
J’ai eu l’impression que nous formions une famille et que c’était ça, la communauté : nous devons prendre soin les uns des autres. Et je n’ai pas seulement pensé à ça, je l’ai senti dans mon sang!
, explique-t-il.
De ce voyage, il retient que beaucoup d’Autochtones ont conservé leur langue et que tout le monde est capable de faire ce genre de choses. Témoin des histoires et des épreuves traversées, il s’est rendu compte que ce n’était guère différent chez lui, dans sa communauté. J'ai l'impression de pouvoir mieux gérer ce poids, cela m’a préparé à surmonter les difficultés, affirme-t-il. Je fais aussi partie de ce processus de guérison!
Quand le froid mordait sa peau, que les bosses de la baie James gelée l’épuisaient, l’Anishinabe Marilyn Jérôme a puisé sa force dans les trois causes. Elle s’est laissée aussi porter par ses réflexions intérieures.
Le territoire nous enseigne beaucoup la guérison. Il nous a laissé beaucoup de messages.
Le début du parcours était comme de la crème
, explique-t-elle. Un beau sentier de motoneige qui était doux comme notre vie avant, comme [lorsque] nos ancêtres vivaient en harmonie avec la terre.
Puis, vers Matagami, c’est devenu plus difficile, mais j’ai vu les chemins de mes ancêtres
. Et arrivée à la baie James, où tout était glacial avec beaucoup de bosses, elle s’est demandé : quel message mes ancêtres veulent me donner de ce territoire?
Malgré nos blessures, nos souffrances dans la vie, il faut continuer à avancer, c’est comme ça qu’on trouve la guérison!
, répond-elle.
Le feu d’artifice dans les airs et les cœurs
L'Atikamekw Debby Flamand a fini l’expédition avec une fracture de l’humérus. Des larmes de douleur ont coulé, mais jamais elle n’a pensé repartir avec l’hélicoptère médical prêt à intervenir. Avec son courage, l’aide des autres et les récits entendus, elle franchit la ligne d’arrivée.
Beaucoup de personnes ont partagé leur histoire. Il y a eu beaucoup de résilience, ce qui nous a donné cette force et ce courage. Ce sont les gens qui nous donnaient la main, les câlins, ça nous a fait du bien. Et la réconciliation entre nations était vraiment présente
, soutient Debby Flamand.
À Mani-utenam, le feu d’artifice est dans les airs et dans les cœurs. Mission accomplie, de vrais guerriers de la réconciliation
, lance Christian Flamand.
L’autre organisateur du groupe, le Naskapi Derek Jeremy Einish, sourit. Le groupe, la famille, est là. De l’avis de nombreux participants, il en a été l’un de grands bâtisseurs. Les non-Autochtones pourront transmettre leur histoire, espère-t-il. Par là, il entend : donner une image différente des Autochtones.
« Nous nous soucions des autres, nous occupons notre territoire, nous sommes toujours là. Nous sommes des êtres humains. »
Carol Dubé, le conjoint de Joyce Echaquan, enlace ses enfants après avoir été accueilli en héros. Il n’avait prévu ne faire que le début de l’expédition. Il sera allé jusqu’au bout de ce convoi de l’espoir, comme il l’a surnommé, avec son sac à dos dans lequel il a transporté sa peine, sa poésie, sa résilience et dans lequel il a ajouté des amis, des câlins, des pleurs, des cadeaux… et peut-être un début de pardon.
« J’arrive peut-être au chemin du pardon. J’ai beaucoup pensé. Je sais que ça ne va pas effacer ce qu’on a vécu, ce que tous ont vécu, mais ça va guérir. »
Il a adoré parcourir les différents territoires, partager des récits avec les autres. Il y a eu des moments difficiles, on a eu froid, on a souffert, mais ce n’est rien comparé à ce que les enfants des pensionnats ont vécu, à ce que nos femmes autochtones ont vécu, ce que ma Joyce a vécu. Et de pouvoir porter ce message pour eux, je suis fier de mon groupe
, dit-il. Je n’étais pas seul. On était tout un groupe d’allochtones et d’autres nations, que j’appelle mes douze nations
, ajoute-t-il.
Images de drones fournies par Éric Francoeur