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Maria devant un bâtiment en ruine.
Radio-Canada / Jean-François Bélanger
Envoyé spécial

Les villageois qui habitent près des zones de combat en Ukraine sont bien souvent laissés à eux-mêmes, mais l’aide humanitaire s’organise.

Texte et photos : Jean-François Bélanger

Dans le nord-est de l’Ukraine, tout le long de ce qui était, il y a quelques mois encore, la ligne de front, les villages ne sont qu’un chapelet de ruines. Drobycheve ne fait pas exception. La maison de Maria Davidenko en est une bonne illustration.

Elle a été bombardée deux fois, lance cette septuagénaire en élevant la voix. Elle désigne les trous d’obus dans son jardin et s’excuse de ne pas entendre la question quand on lui demande la date à laquelle c'est arrivé. Je suis un peu sourde depuis. Je n’étais qu’à cinq pas, sous cet arbre.

Elle remercie Dieu d’être encore en vie, ajoutant du même souffle que sa vie n’est plus très drôle. Elle est seule chez elle. Son mari est mort, sa fille est partie en Allemagne. Pendant de longs mois, elle a vécu recluse dans sa cave. Puis, les soldats ukrainiens ont été accueillis en héros lorsqu’ils ont repoussé les forces russes. Mais pour les villageois, la vie ne s’est guère améliorée.

« Je n’ai plus d’électricité, je n’ai pas d’eau, je n’ai pas de gaz. Et tout l’argent de ma retraite sert à acheter du bois de chauffage. »

— Une citation de  Maria Davidenko, résidente de Drobycheve

De toute évidence, elle ne brûle le bois qu’avec parcimonie. La température dans sa maison n’est pas bien loin du point de congélation. Les tuiles du plafond, en partie arrachées, témoignent de la force des explosions. Son lavabo plein de vaisselle sale et ses doigts noircis confirment les difficultés pour se procurer de l’eau. Comble de malheur, sa maison a été cambriolée pendant son absence. Envolées, ses économies. Idem pour ses pièces d’identité. Impossible, donc, pour elle, de voyager.

Maria Davidenko dans un jardin.
Maria Davidenko dépend de l'aide humanitaire pour survivre.Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

Alors Maria dépend presque entièrement de l’aide humanitaire pour survivre. Comme les autres habitants de Drobycheve, elle converge chaque semaine vers le bureau de poste du village, transformé pour l’occasion en centre de distribution.

À l’intérieur, les bénévoles s’activent afin de répartir équitablement les denrées. Nadiya Abramova prépare des paquets individuels avec une miche de pain et des boîtes de conserve. Nous avons tous besoin de cette aide, explique-t-elle. Parce qu’avec la guerre, nous avons passé l’été cachés dans nos caves et nous n’avons pas pu cultiver les champs ni faire de provisions.

Une femme prépare des paquets.

Dehors, Dmytro Artemov coordonne la distribution tout en échangeant avec les habitants. L’aide humanitaire est son initiative personnelle. Originaire de la région, il est attaché aux gens du coin et ne pouvait pas se résoudre à ne rien faire.

Les petits villages comme celui-ci ont beaucoup souffert, explique-t-il. Dans les villes, il y a des épiceries, les marchés sont ouverts. Mais ici, il n’y a rien.

D’un geste de la main, il montre ce qu'il reste de l’épicerie du village, détruite pendant la guerre. Personne ne vient ici, déplore-t-il. Et pour cause : si le village a été libéré par l’armée ukrainienne il y a quelques mois, les combats font encore rage 5 km plus à l’est, comme le rappelle le grondement sourd de l’artillerie à proximité.

Des bâtiments partiellement détruits.
À l'est d'Izioum, les villages ne sont plus qu'un chapelet de ruines.Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

À la fin de l’occupation, moi et mes amis étions convaincus qu’en l’espace d’un mois ou deux, la reconstruction commencerait et tout reviendrait rapidement à la normale, explique-t-il. Mais il s’est vite rendu compte qu’il n’en était rien et qu’une initiative populaire était nécessaire.

Les villages, les agriculteurs qui font pousser du grain pour faire du pain qui nourrit le peuple, sont le socle de notre pays, dit-il avec une touche de poésie dans la voix. Il est important de les aider actuellement, car ces villages sont aussi l’avenir de notre pays.

Tous les jours, Dmytro entreprend donc une tournée des localités situées tout le long de la ligne de front. À bord de son cher camion transpercé d’éclats d’obus, il parcourt les routes peu recommandables de la région pour répondre aux besoins des gens. Je les écoute, explique-t-il. Et j’essaie de me rendre utile. C’est ainsi qu’il a pris contact avec une ONG néerlandaise pour distribuer des vélos afin de combler les besoins en mobilité dans les villages.

À chaque arrêt, les villageois rassemblés l’attendent et il est accueilli comme le père Noël. Il prend le temps de discuter avec eux, de prendre de leurs nouvelles, de blaguer aussi.

« Quand on arrive, partout où on voit l’horreur, la peur et la douleur, on essaie de changer ça pour des sourires. »

— Une citation de  Dmytro Artemov, travailleur humanitaire

C’est aussi pour cette raison que Dmytro s’est adjoint les services d’un clown venu d’Italie. Depuis quatre mois, Marco Rodari fait la tournée des villages pour se produire devant les enfants.

Avec son nez rouge et une casquette ornée d’une hélice bien plantée sur la tête, Pimpa le clown blague avec les enfants tout en faisant des tours de magie devant un auditoire conquis. Pour un clown, il n’y a rien de plus génial que de faire rire des enfants, confie-t-il.

Il invite une gamine à souffler sur une corde qui, aussitôt, se raidit et défie la gravité. Dans le sous-sol qui servait autrefois d’abri, le silence est total. Les enfants sont bouche bée.

« Ce qui est le plus important pour moi, c’est de susciter l’émerveillement. Quand ça se produit, pendant une demi-heure, les enfants oublient la guerre. »

— Une citation de  Marco Rodari, alias Pimpa le clown

À la fin du spectacle, les enfants se mettent spontanément à rire et à danser lorsque Pimpa pointe vers eux des canons qui les aspergent de milliers de bulles de savon. Pour faire durer ce moment de distraction, le clown distribue des cadeaux à chacun d’eux. Ce sont des jeux et des jouets pour tromper l’ennui.

L’initiative de Dmytro est entièrement financée par des dons populaires. À ses yeux, il s’agit non pas de charité mais plutôt d’un investissement dans l’avenir de l’Ukraine. Pour cultiver l’espoir dans un pays qui en a bien besoin.

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