Le 17 mai 2013, des journalistes du Toronto Star affirment avoir visionné une vidéo du maire de l’époque, Rob Ford, en train de fumer du crack. La nouvelle, publiée en une du quotidien, crée une onde de choc qui dure pendant des mois et déstabilise la plus grande ville du pays. En plus de semer un chaos et de faire de Toronto la risée du monde, l’épisode du crack met en lumière le parcours d’un politicien atypique et celui de sa famille. Incursion dans la trajectoire de ce clan populiste qui a laissé sa marque du bureau du maire de Toronto jusqu’à celui du premier ministre de l’Ontario.

Texte : Julie-Anne Lamoureux Illustration par Mathieu Blanchette
Le choc
Il est 23 heures dans le stationnement désert d’un immeuble de logements dans l’ouest de Toronto. Kevin Donovan est assis sur la banquette arrière. Il attend depuis au moins une vingtaine de minutes dans la voiture de cet homme qui est venu les cueillir, lui et sa collègue, dans un autre stationnement, celui d’un centre commercial à un kilomètre de là.
Kevin Donovan est journaliste en chef des enquêtes du quotidien Toronto Star. Des enquêtes, il en a mené plusieurs, dont la plus récente portait sur les meurtres des milliardaires Honey et Barry Sherman.
Ce soir-là, sa collègue Robyn Doolittle est assise à l’avant sur le siège passager. Ils essaient tant bien que mal de faire la conversation avec le chauffeur, question de créer un lien et surtout d’éviter de tout faire dérailler.
On leur a promis de leur montrer une vidéo du maire de Toronto en train de fumer du crack. Rien de moins. Jusqu’ici, chaque rendez-vous a été annulé. Cette soirée-là, la rencontre s’est décidée à la dernière minute. Ils espèrent que ce sera enfin la bonne.
Ma plus grande peur, c’était de ne pas avoir l’histoire. C’était ça, la peur
, se rappelle Kevin Donovan 10 ans plus tard.
Kevin Donovan et Robyn Doolittle ont chacun des sources qui laissent croire que le maire de Toronto fréquente des gens liés au milieu criminel. Mais ils n’ont pas de preuve. Le conducteur leur en promet une.
Après une bonne attente, un autre homme arrive en trombe et s’assoit directement à l’arrière, à côté de Kevin Donovan.
Cet homme tient son téléphone comme si sa vie en dépendait. Pas question de laisser les journalistes y toucher. Les journalistes doivent user de persuasion pour le convaincre de pouvoir manipuler le cellulaire. Ils veulent bien voir et bien entendre la vidéo.
D’autant plus que les deux journalistes n’ont pas le droit de prendre des notes. Pas le droit d’enregistrer quoi que ce soit. Voilà les conditions imposées avant même d’entrer dans la voiture.
La vidéo leur est présentée trois fois. Ils y voient le maire de Toronto, Rob Ford, fumant une substance inconnue à la pipe. Il est assis sur une chaise, la chemise blanche détachée au haut. Il discute avec une interlocutrice. Ses propos sont à peine audibles.
« Dès que j’ai vu la vidéo, toute idée d’une fabrication, d’un trucage ou d’un montage a disparu, parce que c’était manifestement Rob Ford. Je ne sais pas quelle substance il fumait, mais il fumait quelque chose et il était sous l’effet de la drogue. »
La rencontre ne s’éternise pas. Kevin Donovan et Robyn Doolittle regagnent leurs véhicules et s’empressent de noter chacun de leur côté tous les détails dont ils se souviennent avant de contacter leurs patrons.
Durant des semaines, les deux journalistes tentent d’obtenir une copie de la vidéo. Mais les hommes rencontrés refusent de leur remettre le fichier à moins d’être payés. Ils réclament de l’argent. Beaucoup d’argent. Dans les six chiffres, leur répète-t-on, sans préciser un montant.
Le Toronto Star a toujours refusé de payer, craignant que l’argent ne serve à commettre un crime.
Puis, le soir du 16 mai 2013, le site Internet américain Gawker publie un article dans lequel son auteur soutient avoir vu une vidéo du maire de Toronto, Rob Ford, fumant du crack.
Kevin Donovan entraînait une équipe de soccer amateur lorsqu’il a reçu un appel de ses patrons pour l’en informer. Comme bien d’autres, il a été rappelé à la salle des nouvelles pour une nuit des plus occupées.
S’en est suivie une course contre la montre. Plusieurs reporters sont dépêchés pour tenter d’obtenir des commentaires de la famille Ford. Kevin Donovan parvient à obtenir une réaction de l’avocat de Rob Ford.
Le lendemain matin, le 17 mai 2013, les Torontois se réveillent avec une première page choc du Toronto Star. Kevin Donovan et Robyn Doolittle racontent en détail ce qu’ils ont vu et entendu dans la vidéo.
À 6 heures du matin, Kevin Donovan se fait réveiller par des animateurs de radio en colère. On m’a mis directement en ondes. Et on m’a engueulé!
Comment osez-vous écrire une histoire sur notre maire Ford bien-aimé sans avoir la vidéo?
Comment savez-vous que c’est une vraie vidéo?
Une vidéo dont tout le monde parle, mais que peu de gens ont vue.
Une vidéo alors introuvable.
C’est le début de l’une des périodes les plus surréalistes de l’histoire politique municipale de Toronto.


La traque
Choc et consternation à Toronto en ce matin de la publication du Toronto Star, un quotidien crédible, parmi les plus lus au pays.
Le maire tente de faire comme si de rien n’était, qualifiant les allégations de ridicules et participant comme prévu, le matin de la publication, à la cérémonie de lever du drapeau pour souligner la Journée internationale contre l’homophobie et la transphobie.
Mais la vie ne peut pas reprendre son cours normal. Le maire est suivi pas à pas; il est pourchassé afin qu’il donne sa version des faits. De sa maison jusqu’à l’hôtel de ville. Et ça ne fait que commencer.
Le journaliste Jonathan Goldsbie, de Canadaland, un site d’information et de balados financé par ses abonnés, s’en souvient très bien. Il se lançait alors dans la couverture la plus absurde de sa carrière. Il travaillait pour le magazine Now.
« Il y a eu une poursuite alors qu’il [Rob Ford] a soudainement quitté le toit de l’hôtel de ville pour se rendre à l’ascenseur le plus près. Je me souviens de cette course. J’étais l’une des nombreuses personnes criant des questions très simples, comme lui demander s’il a été filmé en train de fumer du crack ».
Des poursuites à l’hôtel de ville, dans le stationnement souterrain, il y en aura plusieurs au cours des mois suivants. Des cordons pour délimiter un chemin entre l’ascenseur et le bureau du maire sont installés dans le but de lui permettre d’entrer et de sortir. Chaque fois qu’il tente de se frayer un chemin, c’est le chaos.
Le maire et les journalistes jouent au chat et à la souris.
Je me souviens de manquer de souffle. Quand on parle de courir après les gens en journalisme, on le dit comme une métaphore. Mais dans ce cas, c’était littéralement la course à travers l’édifice
, se souvient Jonathan Goldsbie, qui coanime maintenant un balado sur la famille Ford.
Tout ça alors que la chasse à la vidéo se poursuit et alors que les policiers mènent des enquêtes parallèles. Des enquêtes qui impliquent des proches du maire et qui font l’objet de documents de cour détaillés qui seront plus tard étalés sur la place publique.
Les frasques se multiplient. Dans une autre vidéo, Rob Ford apparaît intoxiqué et agité dans un restaurant de la métropole. Il imite l’accent jamaïcain et utilise des mots vulgaires.
Le maire aurait également été grossier, agressif et enivré le soir de la Saint-Patrick l’année précédente. Les nouvelles révélations s’accumulent de jour en jour.
Lors d’une désormais célèbre mêlée de presse devant son bureau, Rob Ford fait référence à son degré de satisfaction sexuelle à la maison.
Puis, le conseil municipal le dépouille de ses pouvoirs. Rob Ford est en colère, promet de se venger et bouscule une conseillère municipale lors d’un conseil de ville des plus rocambolesques.
La vie à l’hôtel de ville est devenue chaotique.
Près de six mois plus tard, le 31 octobre, le chef du Service de police de Toronto de l’époque, Bill Blair, annonce avoir récupéré la fameuse vidéo au cours d’une enquête policière. Un fichier qui contient des images vidéo qui semblent être les images dont il a été question dans les médias
, dit-il lors d’une conférence de presse.
Quelques jours plus tard, le 5 novembre, le maire Rob Ford sort de l’ascenseur pour se rendre à son bureau. Il est attendu pour réagir aux plus récentes déclarations de son frère, le conseiller municipal Doug Ford, venu à sa défense plus tôt dans la journée.
Rob Ford est calme et serein. Il s’arrête de plein gré pour parler aux médias. Rapidement, il se retrouve entouré de journalistes et de caméramans. Tous sont pendus à ses lèvres.
La question lui est posée à nouveau : Fumez-vous du crack?
Sans attendre et sans hésiter, Rob Ford répond avec aplomb. Il admet ce qu’il niait 6 mois plus tôt.
« Exactement. Oui, j’ai fumé du crack. »
Il nie toutefois avoir un problème de dépendance au crack. Mais il admet avoir eu des soirées de grande ivresse. Et que l’épisode du crack est survenu l’année précédente lors de l’une de ces incartades.
Son admission ne met pas fin au cirque. Loin de là.
Rob Ford est largué par certains. Mais jamais par ses plus proches alliés : ses partisans de la Ford Nation et sa famille, un clan tissé serré, prêt à tout pour défendre l’honneur du nom Ford. Quand on attaque un Ford, c’est toute la famille qui est attaquée.


Les fondements de la Ford Nation
Quand Joël Étienne voulait parler à Rob Ford, c’est sur le terrain de football de l’école secondaire Don Bosco qu’il le retrouvait.
Les deux hommes sont de bonnes connaissances, voire des amis. Ils ont fait du porte-à-porte ensemble, ils se sont aidés, ils ont socialisé. Ils ont aussi haussé le ton à certains moments. Ils n’ont jamais eu peur de se dire leurs quatre vérités.
Joël Étienne s’assoyait dans les gradins et attendait son tour. Rob Ford faisait d’abord son exercice personnel, puis entraînait les jeunes joueurs. Entraîner les jeunes joueurs était une de ses grandes passions, une mission qu’il s’était donnée et qu’il a poursuivie, même lorsqu’il est devenu maire.
La première fois que Joël Étienne s’est rendu au terrain de football pour lui demander conseil, Rob Ford lui a d’abord demandé s’il réalisait où il se trouvait.
« Je sais exactement où je suis », a répondu Joël Étienne, sachant qu’il s’agissait là d’une référence culturelle puisqu’ils se trouvaient dans un quartier pauvre.
« Et il me demande si John Tory [futur richissime maire de Toronto] sait où on est ici. C’était à la blague... C’était un revers de la médaille des travailleurs de Toronto qui en avaient marre des élites qui, pour nous, ne nous respectent pas. »
Rob Ford s’est toujours dit près des gens et à l’écoute de leurs besoins et leurs préoccupations. Et bien des électeurs le confirment. Son authenticité, son approche antiélite et son caractère antipoliticien ont fait de lui un homme populaire.
Ce sont des traits qui lui ont permis de conserver l’appui d’une bonne proportion de la population lors du scandale du crack, selon Joël Étienne. Rob Ford n’avait jamais prétendu être parfait. « Le public ne s’est jamais senti trahi par Rob », dit-il.
Et ils ont été nombreux à continuer à soutenir Rob Ford malgré ses frasques. Ils formaient une base loyale, baptisée la Ford Nation, qui existait avant le scandale, mais qui a été renforcée et mise en lumière après.
« Vous avez les originaux qui étaient là derrière les Ford quand personne n’y croyait et vous avez ceux qui sont venus après coup. Ceux-là, on les appelait les bootlickers, les lécheurs de bottes. On n’était pas les lécheurs de bottes. Nous, on se pensait les originaux », raconte à la blague Joël Étienne.
La Ford Nation est constituée de gens de la banlieue de Toronto qui se sont reconnus dans le discours de Rob Ford et plus tard dans celui de son frère Doug. Rob Ford s’est présenté en politique municipale en s’opposant aux élites et à ce qu’il voyait comme leur dilapidation des fonds publics. « Stop the gravy train » : arrêtez le gaspillage, voilà le slogan de sa campagne à la mairie en 2010.
Une partie de cette Ford Nation se retrouve au Ford Fest, un grand barbecue en plein air organisé par la famille Ford depuis la fin des années 1990.
À l’origine, le barbecue se déroulait dans la cour arrière de la maison familiale. Avec la croissance de la Ford Nation, l’événement a souvent eu lieu dans des parcs municipaux.
Jonathan Goldsbie a assisté à quelques Ford Fest. Il se souvient des longues files d’attente pour obtenir un hamburger ou une bière gratuitement. Beaucoup de gens voyagent de partout à travers la ville et le Grand Toronto pour venir montrer leur soutien et venir faire une longue file pour rencontrer Ford et lui serrer la main. Il y a presque un parallèle religieux
, dit-il.
Tout le monde était admis. Dans la Ford Nation, on ne discrimine pas sur la base des origines. Au contraire, se souvient l’avocat Joël Étienne.
« Les Ford ou ces politiciens populistes nous ont donné un espace à nous, minorités, que les grands partis et les autres ne nous donnaient pas. Il n’y avait pas d’autre espace politique pour un gars comme moi, immigrant à Toronto d’origine haïtienne. Avec les Ford, on a vraiment senti qu’on parlait avec un pair, un égal. La gauche aime jouer que la droite est raciste, aime envoyer ces balles de neige à la droite. Ça n’a jamais collé avec les Ford. Ça ne peut pas coller parce qu’on sait que ce n’est pas vrai »
Ça a permis en tout cas aux Ford de s’enraciner et de s’imposer.
Il y a évidemment eu Rob et Doug. Mais avant eux, il y a eu Douglas Ford père. C’est avec lui que l’aventure politique de la famille a réellement commencé.


Une histoire familiale
Douglas Ford père était un homme d’affaires d’Etobicoke qui a cofondé la compagnie Deco Label dans les années 1960. La compagnie d’étiquettes et d’emballages a fait la fortune de la famille. Il a été élu député progressiste-conservateur d’Etobicoke-Humber en 1995 lors du premier mandat de Mike Harris.
Le militant et ancien stratège politique Paul Demers l’a côtoyé à Queen’s Park.
Dans ce temps-là, en 1995, M. Harris avait été élu sur une plateforme économique. Il avait attiré plusieurs gens, [des] homme d’affaires. On savait que monsieur Ford avait une entreprise qui avait beaucoup de succès. Il n’était pas un homme qui avait à s’inquiéter trop trop de l’hypothèque et de faire ses paiements d’auto.
Douglas Ford était plus discret que d’autres, selon Paul Demers. Il décrit un député qui ne s’est pas particulièrement distingué.
La carrière politique de Douglas Ford père s’est terminée abruptement lors du redécoupage de la carte électorale qui a réduit le nombre de circonscriptions et donc de députés. Il n’a siégé que pendant un seul mandat.
En 2010, après sa mort, des élus municipaux ont nommé un parc en son honneur, le parc Douglas B. Ford, situé tout juste à côté de la maison familiale des Ford. Un signe d’une reconnaissance locale, croit Paul Demers.
« C’est l’influence que M. Doug Ford Senior a eue à Etobicoke avant qu’il devienne député en 1995. Lorsque les politiciens municipaux ont décidé de nommer un parc Douglas B. Senior, ce n’est pas juste à cause de son rôle de député d’arrière-ban. »
Au contraire, Douglas père a jeté les bases d’une longue histoire politique chez les Ford. Certains parlent de dynastie, d’autres refusent d’aller si loin. Mais de Douglas le député à Rob le maire, puis à Doug le premier ministre de l’Ontario, les fondements d’une famille politique sont là.
Et la relève s’organise, près de 30 ans après l’entrée du patriarche en politique. Le neveu, Michael Ford, a repris le siège de conseiller municipal de ses oncles. Il est maintenant député provincial dans le gouvernement de Doug Ford, qui l’a nommé ministre.
Lorsqu’elle préparait sa candidature à la mairie de Toronto, l’équipe de Rob Ford a approché la conservatrice Tasha Kheiriddin, aujourd’hui auteure, chroniqueuse politique et directrice pour Navigator, une firme de gestion et de communication stratégique, pour qu’elle dirige les communications de la campagne. Elle y a songé sérieusement, mais comme elle venait d’avoir un enfant, elle a décliné l’offre.
Elle se souvient tout de même d’avoir participé à des appels téléphoniques. Elle pouvait y entendre les deux frères, Rob et Doug. Ils étaient toujours ensemble selon son souvenir.
« Les deux se sont aidés mutuellement à travers leurs carrières. Comme ça, c’est très dynastique parce que c’était une paire. The brothers. C’est ce qu’on disait toujours. On les appelait the brothers. Il n’y en avait pas juste un. C’était the brothers. »
Et elle estime que ces frères sont arrivés au bon moment pour faire résonner leur message populiste.


Populisme et cristallisation d’une marque
Les astres étaient effectivement alignés lorsque Rob Ford s’est lancé dans la course à la mairie, selon le sociologue Dan Silver, de l’Université de Toronto, et le politologue Zack Taylor, de l’Université de Western Ontario.
Surtout parce que le ressentiment lié à la fusion municipale était encore bien présent.
Les résidents des banlieues comme Scarborough, Etobicoke et North York avaient l’impression d’avoir perdu leur nom, leur identité. Ils se sont sentis engloutis par Toronto. La bureaucratie s’est alourdie avec la fusion, selon M. Silver. Le lien de proximité entre les élus et le peuple s’est estompé. Les divisions entre banlieusards et résidents de la ville centre se sont intensifiées.
Rob Ford a misé sur ce fossé. Les gens contre les élites. Tout ça avec une authenticité et un style unique : rien de poli, une authenticité déroutante, un lien direct avec les gens. Sa marque de commerce, de rappeler tous ceux et celles qui le contactaient, demeure légendaire.
Le tour de force de Rob Ford aura été, selon les professeurs Silver et Taylor, d’adapter le modèle populiste au monde municipal.
Très souvent, le populisme est observé sur le plan national, avec l’idée de la défense de la nation menacée. Justement, cette idée de nation en danger a été reprise par Rob Ford, avec la Ford Nation.
Si vous pensez au lien symbolique entre ce qui s’est passé en politique municipale à Toronto et ce qui se passe au niveau du populisme national, la nation est le dénominateur commun. L’idée est qu’il y a une mini nation ici, dans les banlieues, et qu’elle doit être défendue. Contre quoi? Contre les élites déconnectées du centre-ville. C’est devenu un cri de ralliement collectif qui peut rassembler les gens
, explique Dan Silver.
Les symboles de la Ford Nation et la rhétorique de Rob Ford sont si forts qu’ils sont devenus plus grands que l’homme, selon l’analyse des experts. À tel point qu’ils ont pu être repris au bon moment par un successeur. Ce successeur, c’est son frère, Doug. Il a fait une première tentative en 2014 lors de sa course à la mairie infructueuse. En 2018, lorsqu’il est devenu chef progressiste-conservateur puis premier ministre de l’Ontario, il a pu pleinement se réapproprier cet héritage.
Tasha Kheiriddin se souvient du 7 juin 2018 au soir à Etobicoke, lorsqu’il a été élu à la tête de la province.
« J’étais dans la salle avec tous les journalistes et on regardait les pancartes quand il était au podium. Il n’y avait pas le mot conservateur nulle part. C’était Ford, Ford, Ford, Ford, Ford. C’est très populiste. C’est ce que Donald Trump avait fait aussi. Trump, Trump, Trump. C’est faire un rebranding du parti dans son image. »
Heureusement, dit-elle, l’exercice du pouvoir et une pandémie à gérer ont obligé Doug Ford à réajuster sa stratégie. On sent que son deuxième mandat est très différent. Il est toujours populiste, mais il est plus rassembleur parce qu’il a été forcé d’être rassembleur durant cette période.
Image en-tête de chapitre par Nathan Denette de La Presse canadienne.


Des ambitions plus grandes?
Quelque part entre 2004 et 2006, des conseillers de Rob Ford se sont réunis à l’hôtel de ville de Toronto pour évaluer les chances de Rob Ford de devenir chef du Parti conservateur du Canada. Rob Ford était alors conseiller municipal. Le chef conservateur fédéral Stephen Harper venait de perdre son élection contre Paul Martin.
C’est du moins ce dont se souvient l’avocat Joël Étienne, qui a participé à la rencontre.
Durant 90 minutes, Rob Ford a écouté sans dire un mot les arguments des uns et des autres qui voulaient l’inciter à se lancer sur la scène fédérale. Et Rob Ford a tranché à la toute fin de la rencontre en quelques secondes en disant qu’il n’y avait rien à envisager, que Stephen Harper allait être premier ministre. Il a mis ses ambitions sur la glace.
« Il comprenait le vote et il comprenait les citoyens d’une façon que personne d’entre nous les comprenait. C’était une chose fascinante »
Rob Ford a reçu un diagnostic de cancer tout juste avant l’élection municipale de 2014. Il venait de faire une cure de désintoxication et se préparait à affronter l’électorat pour solliciter un deuxième mandat à la mairie. Rob Ford est mort moins de 2 ans plus tard.
Plusieurs attribuent maintenant à Doug Ford des ambitions fédérales. Chaque fois que le Parti conservateur se cherche un chef, son nom est évoqué et circule.
En 2020, une journaliste francophone l’interpelle en anglais en utilisant l’expression prime minister, le titre du premier ministre du Canada, au lieu de premier, qui désigne un premier ministre provincial. En souriant, Doug Ford a répondu pas encore, je ne suis pas encore premier ministre du Canada
.
Chose certaine, Doug Ford est bien en selle comme premier ministre de l’Ontario. Il vient de gagner un second mandat majoritaire, au printemps 2022. Une majorité plus écrasante que la précédente. Un fait d’armes rare pour un politicien réélu. Après une pandémie historique.
C’est une douce revanche, selon Joël Étienne, alors que la carrière politique du père s’était terminée abruptement.
Et pour la suite? La chroniqueuse politique Tasha Kheiriddin éclate de rire quand on lui pose la question : Avec cette famille, on ne sait jamais ce qui va arriver
.
Image en-tête de chapitre par Nathan Denette de La Presse canadienne.