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Un jeune gorille, dans son habitat naturel, face à la caméra.
Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair
Envoyé spécial

L’espèce, longtemps menacée d'extinction, connaît une croissance importante depuis quelques décennies. Tellement que Kigali veut agrandir son habitat.

Texte et photos : Raphaël Bouvier-Auclair

Il faut marcher plusieurs heures à travers une forêt de bambous pour finalement voir apparaître de petits points noirs au loin.

Les gorilles regardent avec curiosité notre micro, mais ils ne s’en inquiètent pas outre mesure. Ce groupe a été familiarisé avec la présence humaine. Chaque jour, un petit groupe de touristes, formé d’un maximum de huit personnes, vient passer une heure à les observer.

Les règles sont strictes. Une distance de plusieurs mètres est imposée entre les animaux et le visiteur qui doit porter un masque, compte tenu des craintes liées à la transmission de maladies respiratoires. Lors de notre passage, en juin 2022, un test de dépistage négatif à la COVID-19 était obligatoire pour accéder au parc national des Volcans.

En conservation, la préservation est nécessaire. Même si nous n’avons pas eu de cas de COVID chez les gorilles, nous voulons les protéger, explique Patrick, notre guide.

Des gorilles de montagne au Rwanda.
Après avoir connu un long déclin, la population de gorilles de montagnes est désormais en augmentation.Photo : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair

Les quelques centaines de gorilles vivant au Rwanda sont suivis sur une base quotidienne par des pisteurs, qui observent leurs mouvements et peuvent ainsi avertir les touristes de l’endroit où ils se trouvent, mais qui peuvent aussi alerter de toute irrégularité.

Les efforts ne sont pas ménagés pour protéger cette espèce, longtemps menacée d’extinction. Au début des années 1970, les chercheurs américains Amy Veder et Bill Weber ont constaté qu’entre 1959 et 1973, la population de gorilles de montagne était passée d’entre 400 et 500 individus à moins de 300.

Un groupe de pisteurs au Rwanda.
Les pisteurs, qui suivent les gorilles, sont souvent issus des communautés avoisinant le parc.Photo : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair

Aujourd’hui, la Fondation pour la protection de la nature dénombre plus de 1000 gorilles de montagne dans les trois pays qui les abritent : le Rwanda, l’Ouganda et la République démocratique du Congo.

Derrière les efforts qui ont permis ce revirement impressionnant de situation se trouvent des experts de conservation comme Eugène Rutagarama.

Aujourd’hui retraité, ce spécialiste de biologie a occupé différentes fonctions au cours de sa longue carrière. Eugène Rutagarama a notamment dirigé le parc de Nyungwe, célèbre pour sa population de chimpanzés, en plus de travailler au parc national des Volcans et d’être à la tête d’organisations transnationales de protection des gorilles.

« Vous sentez vraiment que la nature est grande et que vous ne pouvez que faire partie de cette nature; et la détruire, c’est détruire une partie de soi. »

— Une citation de  Eugène Rutagarama

Pendant des années, Eugène Rutagarama a tenté d’améliorer la cohabitation avec les populations vivant à proximité des parcs nationaux. Faute de ressources suffisantes, certains habitants allaient s’y approvisionner en nourriture et en eau, ce qui contribuait à détériorer l’habitat naturel des gorilles.

Pour illustrer l’importance de cette problématique, Eugène tient à nous emmener à la lisière du parc national des Volcans, dans un petit village traversé par une route en terre battue.

Un groupe de femmes nous y attend pour nous montrer le dernier ajout à une maison du village : une citerne à eau financée par une coopérative qui reçoit notamment de l’aide internationale.

Des femmes qui dansent au Rwanda.
Les membres de cette coopérative, qui accueillent les visiteurs en dansant, fournissent des citernes d'eau à leurs membres.Photo : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair

Voici un exemple du son capté de manière immersive.

Temps du média: 0:04:01
Chant de femmes rwandaises

Vous pouvez écouter le balado complet réalisé au Rwanda.


Ils avaient besoin d’eau, il n’y avait pas d’alternatives. Ils avaient besoin de bambou, il n’y avait pas d’alternatives. C’était parler sans résultat. C’est en répondant à leurs besoins de première nécessité que les gens comprennent, explique Eugène Rutagarama, qui, bien que retraité du monde de la conservation, s’implique toujours dans ce projet.

Cette initiative s’ajoute à une politique menée par le gouvernement du Rwanda, qui vise à redistribuer une partie des revenus générés par le tourisme, et ainsi faire réaliser la valeur de ce secteur à la population. En 2022, les autorités estimaient que les activités liées au tourisme allaient rapporter plus de 350 millions de dollars américains au pays.

Une bénévole qui offre des citernes d'eau au Rwanda.
Athanasie est responsable de la coopérative qui offre des citernes d'eau à ses membres.Photo : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair

Depuis 2005, Kigali reverse une partie de ces recettes à des projets dans des communautés avoisinant ses grands parcs nationaux, dont celui des Volcans. La proportion redistribuée, d’abord fixée à 5 %, a désormais atteint 10 %.

Je crois que c’était essentiel de le faire, lance le chercheur américain Bill Weber, un ami d’Eugène Rutagarama, qui se consacre depuis des décennies à l’étude des gorilles de montagne avec sa femme Amy Veder, elle aussi scientifique.

L’Américain a milité pour le développement du tourisme à une époque où cette industrie était très peu développée. Il se souvient qu’à une certaine époque on surnommait le parc des Volcans le parc de l’Enfer vert, tellement l’idée de visiter cet espace mal aménagé était peu attirante.

Plus d’espace pour les gorilles, mais à quel prix?

Mais aujourd’hui, même le tarif très élevé (1500 $ US pour une rencontre d’une heure) ne freine pas les milliers de touristes qui viennent des quatre coins du monde pour voir les gorilles de montagne.

Conséquences de ces politiques de tourisme et de conservation : la population de gorilles du Rwanda augmente à un point tel que leur nombre croissant présente des difficultés pour les autorités. Un problème de succès, comme le décrit le chercheur Bill Weber.

Premièrement, on a vu parmi les gorilles une augmentation inhabituelle des incidents d’infanticides, constate le directeur du parc des Volcans, Prosper Unwingeli.

L’autre difficulté que souligne le responsable du parc est l'augmentation de conflits entre le parc et la population, puisque les gorilles maintenant viennent à l'extérieur du parc et veulent explorer de nouveaux aliments.

Un projet d’agrandissement de cet espace naturel d’environ 160 kilomètres carrés a donc été lancé. Les autorités souhaitent ajouter au parc près du quart de sa superficie.

Dans un pays très densément peuplé, où 13 millions de personnes vivent sur une superficie à peine plus grande que celle de l’État américain du Vermont, cet agrandissement signifie nécessairement que des villageois installés à la lisière actuelle du parc devront être déplacés.

Prosper Uwingeli, directeur du parc des Volcans, au Rwanda.
Le directeur du parc des Volcans, Prosper Uwingeli, défend le projet d'agrandissement de l'espace naturel.Photo : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair

« Oui, bien sûr, la transition peut choquer. Mais c’est un projet auquel nous pensons sérieusement. Nous ne voulons pas revenir en arrière. On veut aller de l' avant, continuer à améliorer le tourisme, augmenter les bénéfices du tourisme et continuer à travailler avec les communautés. »

— Une citation de  Prosper Uwingeli, directeur du parc des Volcans

En tendant notre micro dans l’un des villages touchés, nous recueillons surtout des commentaires favorables à cette expansion.

Ma maison va être détruite, mais l’État va me donner une autre belle maison à étage, lance, un sourire aux lèvres, l’un des habitants touchés.

Un village au Rwanda.
Ce village se trouve dans la zone d'agrandissement du parc. Ses habitants devront déménager.Photo : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair

Le représentant d’une association de Batwas, un peuple autochtone qui vivait dans la région qui accueille aujourd’hui les parcs des Grands Lacs, jette un regard plus critique sur le projet. Mais dans un pays où contester les autorités comporte son lot de risques, il a préféré partager son opinion dans le cadre d’une entrevue virtuelle, loin des regards.

Les raisons derrière cela ne sont pas de protéger les gorilles. C’est une industrie, déclare cet homme, bien que certains membres de sa communauté travaillent aujourd’hui dans cette industrie.

N’empêche, pour certains Rwandais, le jeu en vaut la chandelle.

Des travailleurs cultivent des pommes de terre au Rwanda.
La terre est fertile près du parc des Volcans, au Rwanda.Photo : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair

C’est le cas d’un agriculteur rencontré dans un champ de pommes de terre, à quelques centaines de mètres à peine de la limite actuelle du parc des Volcans.

Il sait qu’avec cet agrandissement, il perdra une partie de cette terre très fertile, mais se dit convaincu que les revenus touristiques liés aux activités du parc compenseront la diminution des activités.

Le lac Kivu sépare le Rwanda et la République démocratique du Congo.
Le lac Kivu sépare le Rwanda et la République démocratique du Congo.
Radio-Canada / Michel Montreuil
Photo: Le lac Kivu sépare le Rwanda et la République démocratique du Congo.  Crédit: Radio-Canada / Michel Montreuil

Les gorilles, victimes collatérales des conflits

Au-delà de l’élargissement du parc national des Volcans, le chercheur Bill Weber souligne que des enjeux sécuritaires dans cette région, marquée par des années de conflits et de tensions, représentent un défi pour le bien-être de la population de gorilles.

La région du lac Kivu, qui sépare le Rwanda de la République démocratique du Congo (RDC), a souvent été le théâtre de tensions. Depuis plusieurs mois, l’est du Congo est de nouveau le théâtre d’affrontements entre les forces congolaises et le groupe rebelle M23. Les combats ont même touché le parc des Virungas, que la frontière sépare du parc rwandais des Volcans.

Signe que les conflits peuvent avoir un impact bien réel sur l’habitat des gorilles, peu avant notre passage au Rwanda, fin mai, une roquette a atterri dans le parc national des Volcans. Un représentant d’une association de protection congolaise des gorilles expliquait par ailleurs que, faute d’accès au parc des Virungas, les gardes et les vétérinaires ne sont pas en mesure d’effectuer le suivi nécessaire pour assurer la santé des animaux.

Si cette région peut trouver la paix, ils peuvent avoir beaucoup d'espace, lance Bill Weber, en parlant des gorilles qui ne connaissent ni les frontières ni la géopolitique.

Le reportage de Raphaël Bouvier-Auclair et de Michel Montreuil est diffusé à l’émission Désautels le dimanche le dimanche de 10 h à midi et en rediffusion le lundi à 3 h sur ICI Première.

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