À l'École nationale de police du Québec (ENPQ), beaucoup d'aspirants policiers les disent un peu fous
d'accepter d'aller travailler comme policiers à Montréal. Quelle idée, après tout, d’être volontaire pour aller « se faire tirer dessus » et d'affronter les caméras des médias et des citoyens, dégainées à la moindre intervention mouvementée.
Mais les 72 recrues qui ont accepté de composer la toute première cohorte de l'histoire de l'ENPQ destinée au seul SPVM ont tourné la page sur ces jugements depuis bien longtemps pour se consacrer à leur préparation physique et mentale.

Moi, je vais à Montréal pour faire mon métier du mieux que je peux en tant que policière
, lance Victoria Eymard, 26 ans. Peu importe où tu décides de faire ce métier, tu vas avoir la pression de performer.
À ses côtés, Camilo Cruz, un Lavallois de 24 ans, dont la famille a immigré de Colombie en 2015, est fébrile. Il dit avoir choisi le SPVM pour voir de l'action.
« Montréal, c'est une ville qui bouge. Et il y a plein d'escouades spécialisées, les enquêtes, le groupe d'intervention… Les opportunités sont immenses! »
Fin janvier, à Nicolet. Tous ces jeunes volontaires, recrutés pour combattre la violence armée sur l’île de Montréal, sont réunis dans le vestibule d'un des pavillons de l'ENPQ.
Le groupe se connaît depuis à peine six semaines. Mais déjà, on les sent unis : ils savent qu’ils se retrouveront sous le même uniforme.
La leçon du jour? Apprendre à garder son sang-froid professionnel lorsqu'on se fait asperger par des agents irritants. La température à l'extérieur est glaciale pour l'occasion.
La formation paramilitaire de 15 semaines – mais d'une durée de 18 semaines pour cette cohorte – est difficile tant sur le plan moral que physique. Pas de passe-droit, même si les besoins en policiers sont criants dans la métropole.
Leurs instructeurs leur expliquent qu’une fois aspergés, ils devront garder leur concentration et s'orienter, malgré la douleur, et regagner leur voiture-patrouille pour demander des renforts.
Des policiers motivés comme Victoria, Camilo et leurs 70 autres camarades de cohorte, il en faudra beaucoup dans la métropole.
Si les récentes vagues de départ au SPVM ont semé l'inquiétude, elles ne sont que la pointe de l'iceberg. D'ici les trois prochaines années, près de 1700 policiers, toutes sections et tous grades confondus, seront admissibles à leur retraite.
Et ce chiffre ne tient pas compte des démissions. En 2022 uniquement, 38 policiers ayant moins de 10 ans de service au SPVM ont troqué leur uniforme pour celui de la Sûreté du Québec.
Victoria est la première à commencer l'exercice. Durant plusieurs secondes, elle reçoit les agents inflammatoires directement dans les yeux et les voies respiratoires.
Aveuglée, respirant difficilement, elle franchit la cinquantaine de mètres nécessaires pour appeler les renforts.
Ce qu'on veut voir, ce sont des policiers en contrôle malgré la douleur physique, nous glisse à l'oreille l'un des instructeurs en intervention policière du SPVM, en prêt de service à l'ENPQ.
Camilo Cruz est aspergé à son tour. Même s’il semble en grande forme physique, les effets des agents inflammatoires ont un effet sur sa concentration. Mais l'aspirant policier garde son attention sur les instructions.
Une partie de l'exercice d'aujourd'hui, c'est aussi de comprendre les effets du poivre de Cayenne sur une personne interpellée et de lui porter assistance rapidement quand elle est maîtrisée
, commente Camilo, qui a passé plus de 25 minutes à avoir du mal à ouvrir les yeux en raison des effets secondaires.
Un après l’autre, les aspirants policiers viennent encourager Camilo qui reprend son souffle.
L'esprit d'équipe est palpable. Ils savent qu'ils vont tous se revoir au mois d'avril prochain dans la métropole, là où se produit 72 % de la criminalité.
Leurs formateurs veulent bâtir un esprit de famille dès maintenant. C'est dans l'adversité que les liens se tissent solidement, plaident-ils.
La création de cette cohorte spéciale a entre autres été rendue possible par le ministère de la Sécurité publique, qui a octroyé le 27 août 2022, avant le déclenchement de la dernière campagne électorale, une somme de 250 millions de dollars à la Ville de Montréal afin de l'aider dans sa lutte contre violence armée.
Selon l'École nationale de police du Québec, qui a sondé ses 72 recrues, plus de 95 % d’entre elles ont l’intention de respecter leur engagement et de commencer leur carrière policière dans la métropole.
Autre avantage : la majorité de ces recrues sont des anciens cadets du SPVM qui connaissent déjà les réalités de l’île de Montréal.
En fait, c’est leur intérêt manifeste pour Montréal qui leur a permis d’entrer directement à l’ENPQ au lieu d’être placés sur la liste d’attente, comme tous leurs autres camarades.
Le directeur du SPVM, Fady Dagher, leur futur patron, verrait d’ailleurs d’un bon œil qu’ils se trouvent un logement dans la métropole pour s'imprégner davantage de la ville. Mais, ce n’est pas gagné d’avance.
La majorité des recrues, qui ont présentement des adresses sur les couronnes nord et sud, sont rebutées par le coût exorbitant des logements, surtout que le salaire d'entrée de 36 939 $, qu’ils toucheront pour les 24 premiers mois d'embauche, est le plus bas de la majorité des corps policiers du Grand Montréal.
Des conditions qui pourraient tenter certains d’entre eux de changer de service de police pour travailler plus près de chez eux, dans les premières années de leur carrière.
« Si vous faites des erreurs, je vais être là pour vous »
C’est par ces paroles que le directeur du SPVM, Fady Dagher, a accueilli son groupe de recrues, rencontré pour la première fois depuis son entrée en fonction.
« Si vous faites des erreurs, je vais être là pour vous. Ce qui est défendable, je vais être là. Et je vais sortir dans les médias pour vous défendre. Mais ce qui ne l'est pas, [ce qui est] condamnable, je vais le condamner. Je ne peux pas permettre à une ou deux personnes qui ont commis des fautes de faire mal à toute l'organisation qui travaille bien. Pour moi, ce sont deux choses différentes », a expliqué Fady Dagher à ses jeunes policiers, qui ont tous en poche une promesse d'embauche au SPVM.
Une mise au point bien accueillie. La concentration des médias nationaux dans la métropole et le militantisme de citoyens munis de téléphones intelligents font partie des préoccupations des futures recrues.
« Si vous avez vu le début de la vidéo de Tyre Nichols à Memphis, on voit des techniques avec les bras qui sont enseignés. Mais plus ça avance, on ne voit plus rien qui a à voir avec la formation des policiers. Et ce genre d'exemple fait mal à toute la profession. Ça fait mal à la police de Memphis et ça nous fait mal jusqu'à Montréal. »
Pendant trois heures, les recrues du SPVM, qui portaient leur uniforme distinctif composé d'une chemise noire et d'épaulettes bleu pâle, ont écouté attentivement leur futur patron.
La question des salaires et du coût de la vie plus élevé à Montréal qu’ailleurs a refait surface au moment des questions.
Fady Dagher a rassuré la cohorte, expliquant que la Ville de Montréal et la Fraternité des policiers et policières étaient présentement en négociations en vue d'améliorer les conditions de travail des jeunes recrues au SPVM.
Je suis conscient qu'il y a des enjeux financiers. Nous sommes en négociation présentement. Je veux que vous soyez fiers non seulement de faire partie du SPVM, mais également de vos conditions de travail
, a insisté le numéro un de la police de Montréal.
Le président de la Fraternité Yves Francœur, à qui nous avons parlé par la suite, confirme qu’il travaille avec la Ville à rendre les conditions d'embauche plus attrayantes pour la relève.
L'an dernier, les embauches n'ont pas réussi à combler le nombre de départs en raison des retraites et des démissions
, se désole le chef syndical.
« On est conscient que pour le marché de l'emploi dans le secteur policier, les conditions de travail ne sont pas attirantes pour venir travailler à Montréal. On veut non seulement qu'ils viennent chez nous, mais qu'ils demeurent au SPVM. »
À l'École nationale de police de Nicolet, on se félicite de la création de cette cohorte spéciale destinée au SPVM, mais on est aussi bien conscient que les besoins de policiers sont criants partout au Québec. Son directeur général, Pierre St-Antoine, assure d’ailleurs que la capacité de formation de l'institution fonctionnera à pleine vapeur dès l’an prochain.
L'école compte diplômer 50 % plus de policiers qu'avant la pandémie de COVID-19 afin de répondre aux demandes croissantes des corps policiers au Québec.
Il y a deux ans, l'ENPQ formait 648 policiers par année. D'ici la fin du mois de juillet prochain, nous aurons déjà formé 828 policiers pour le Québec, précise Pierre St-Antoine. Et dès 2024, l'ENPQ formera annuellement 1000 policiers, ajoute M. St-Antoine.
Policiers formés annuellement à l'ENPQ
- 2019 : 648
- 2024 : 1000
Source : ENPQ
Finalement, Victoria et Camilo ont pu avoir un entretien en privé avec Fady Dagher. Les deux futures recrues du SPVM sont unanimes, le discours et la vision de la police de leur prochain patron les ont rassurés quant à leur décision de venir dans la métropole.
« Moi, je voulais un service de police dynamique. À Montréal, tu changes de secteur, c'est comme si tu changeais de ville. Tu as des enjeux sociaux et de criminalité différents », dit Camilo à son futur directeur de police.
Toi tu es un gars qui veut de l'action, hein?
lui répond le directeur Dagher en souriant.
Oui!
réplique la recrue en lui rendant son sourire.
Tu vas en avoir, de l'action. Tu vas voir. Mais utilise toujours ton jugement, ton instinct et tes valeurs. Dans certaines situations, tu vas sentir les choses selon les appels
, explique Fady Dagher à son futur protégé.
Victoria, elle, confie à son futur chef qu'elle voulait vivre un défi après avoir grandi à Trois-Rivières.
Je voulais vivre quelque chose de plus gros et plus grand, affirme-t-elle. Je suis une personne qui aime votre vision du communautaire. J'aime comprendre ce que le citoyen vit. J'aime gratter pour comprendre une situation pour éviter que la semaine suivante, nous retournions sur le même appel.
L'échange privé se termine sur les compliments du chef à leur endroit, en apprenant leur âge.
Vous avez une belle maturité. Qui sait, on ira peut-être patrouiller ensemble?
conclut Fady Dagher avec un sourire de fierté.
Camilo Cruz et Victoria Eymard et les 70 autres aspirants policiers de la cohorte du SPVM devraient donc être à bord d'une voiture-patrouille à Montréal, dès le 6 avril prochain.