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Dans le Nord de l’Ontario, l’Église a protégé des abuseurs sexuels allégués jusqu’à tout récemment.
Enquête lève le voile sur un vaste camouflage qui a perduré pendant des décennies dans le diocèse de Hearst, où 12 prêtres et bénévoles auraient infligé des sévices à une quarantaine de personnes, presque toutes mineures, entre les années 1950 et 2010.
Ce n’est qu’à la lumière de nos révélations que l’Église a fait le ménage dans ses rangs.
Avertissement : le texte qui suit comporte des passages qui pourraient choquer certaines personnes.
Nous sommes en 1980 à Opasatika, en bordure de la route 11, dans le Nord de l’Ontario, qui relie l’Abitibi et le Manitoba. Un coin de pays touché par un fléau récent : les drogues dures.
Le psychologue du village, René Poirier, un gaillard charismatique sur la voie de la prêtrise, se sent investi d’une mission divine. Il veut fonder un centre de désintoxication à vocation religieuse pour les 12 à 24 ans. Les dons ne tardent pas à affluer des quatre coins du diocèse.
René Poirier baptise son centre la Maison Arc-en-Ciel.
À l’intérieur des murs, c’est plutôt une maison des horreurs. Les vies de Joël Rivest, d'André Gagnon et de Raymond Breault en seront changées à tout jamais.
J’étais un enfant délinquant, accro au Valium. Mes parents étaient très catholiques, alors ils m’ont shippé là. J’avais maximum seize ans, se rappelle Raymond.
Ordonné l’année suivante, le curé trentenaire dort sur place. Le système de justice nomme Poirier agent de probation. Une situation catastrophique.
Le soir, il choisissait un gars différent pour le faire venir dans sa chambre pour des massages. C’était innocent au début. [...] Puis, le passage de doigts a commencé. Le frottage des testicules, du pénis. Ça a été à l’extrême… La pénétration avec les mains, poursuit Raymond.
Joël Rivest et André Gagnon subissent eux aussi des abus nocturnes à l’âge de 16 et 17 ans. Je n’avais pas le choix. Si je partais de l’Arc-en-Ciel, j’allais en prison et j’avais peur de ça, explique Joël, qui avait été arrêté pour des vols par effraction.
Le curé René Poirier dans les années 1980.
Joël Rivest, 16 ans.
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Le curé René Poirier dans les années 1980.Photo : Facebook/René Poirier
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Le curé René Poirier dans les années 1980.Photo : Facebook/René Poirier
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Joël Rivest, 16 ans.Photo : Joël Rivest
Et René Poirier n’est pas le seul adulte à s’en prendre à eux. Il y a aussi un bénévole très impliqué, Ghislain Plourde.
Ghislain, il nous apprenait à chauffer, mais pendant qu’il conduisait, il te taponnait entre les jambes [...]. Je l’ai dit à ma parenté, ils m’ont tous traité de fou, lance André, de la colère dans sa voix.
Tu sortais de ta douche et Ghislain était assis sur la toilette en se masturbant. Il te disait : "Tu as donc bien des belles parties [génitales]", puis il te flattait une fesse. C’était le chum à monsieur le curé! C’est lui qui nous nourrissait! ajoute Raymond.
Toutefois, en 1983, à la suite d’une dénonciation, les autorités religieuses interviennent. L’évêque Roger Despatie envoie René Poirier suivre une thérapie aux États-Unis. Après deux semaines, le curé met fin à son séjour et rentre au pays.
Seule conséquence pour Poirier, l'évêque le transfère dans la paroisse de Chapleau. Quant à Ghislain Plourde, il part diriger un camp scout du diocèse. Le nom de ce bénévole de la Maison Arc-en-Ciel reviendra d’ailleurs plus tard dans cette histoire. Il n’a pas accepté nos demandes d’entrevue.
Pour bien comprendre cette histoire, il faut saisir où elle se déroule. Le diocèse de Hearst a été fondé au siècle dernier par des prêtres venus du Québec. Ses paroisses sont dispersées sur un immense territoire à 11 heures de route de Toronto.
Il s'agit de mettre là-bas, sur les chemins de fer qui, comme des rubans d'acier, traversent la forêt de l'est à l'ouest, une bordure vivante et catholique, écrivait l’évêque Joseph Hallé en 1919.
Ce double isolement, géographique et linguistique, a permis à l’Église d’assurer son influence dans la région plus longtemps qu’ailleurs.
Mgr Joseph Hallé en 1926 avec des colons du diocèse de Hearst.Photo : Fonds Société Historique de Hearst et de la Région/Centre d’archives de la Grande Zone argileuse
L’histoire se répète
Malgré le départ de Poirier et de Plourde, le climat ne se serait pas amélioré à la Maison Arc-en-Ciel. Au cours des années suivantes, le diocèse de Hearst a continué de fermer les yeux et d’y affecter d’autres religieux. Le vicaire Roger Pronovost, 28 ans, est nommé directeur par intérim.
Quelques années auparavant, Gilles, qui veut taire son nom de famille, a rencontré Roger Pronovost, alors étudiant en théologie et animateur pour un mouvement catholique, l’Association des comités de liturgie des étudiants (ACLE). Gilles a 14 ans. C’est un jeune homme qui a souffert de l’inceste commis par son père et de l’homophobie enracinée dans sa région. Les activités jeunesse de l’Église étaient son refuge.
Aujourd’hui, ce cinquantenaire gagne sa vie loin de sa ville natale de Hearst et de ses traumatismes. Il nous accueille dans son appartement converti en salon de coiffure.
Gilles avec une cliente dans son salon de coiffure.Photo : Radio-Canada / Carl Mondello
Roger m'a démontré de l'affection que j'aurais aimé que mon père me donne. Mais en me faisant ses attouchements, en jouant avec mon pénis, puis avec mon anus, eh bien, je suis tombé en amour avec mon abuseur. Puis j'en ai eu honte après, confie-t-il.
Ils auront des rapports sexuels pendant des années, dit-il, et Roger Pronovost finira par l’emmener à la Maison Arc-en-Ciel.
J'aimais la ferme le jour, mais le soir, c'était une autre histoire. Je me rappelle qu'il y avait de la drogue et de la boisson. C'était censé être une place pour les cleaner.
D’autres prêtres fréquentaient eux aussi le centre à cette époque, dont Fernand Villeneuve.
Nous avons parlé à trois hommes qui affirment que le curé se serait masturbé en leur présence alors qu’ils étaient adolescents. Aucune accusation n'a été portée en rapport avec ces événements.
Gérard Papillon nous a raconté qu’il n’avait que 12 ans lorsqu’il a été soumis à des séances de prière qui le hantent encore aujourd’hui.
Comme Gilles, Gérard dit avoir été victime d’inceste à la maison et s’être confié au prêtre. Fernand a commencé à me demander si j'avais vu le pénis de mon père, de le décrire et de décrire où mon père m’avait touché, se rappelle-t-il.
Il voulait connaître tous les sales détails et il s'est masturbé sur son pantalon pendant tout ce temps, en me frottant les cuisses de plus en plus haut.
En 1985, après trois ans de sévices similaires, Gérard a trouvé le courage d’avertir Mgr Despatie, le même évêque qui avait retiré René Poirier de la Maison Arc-en-Ciel.
L’évêque m’a dit que "les hommes de Dieu se tournent souvent vers les enfants pour trouver du réconfort". Je n’en ai plus jamais entendu parler.
Les témoignages que nous avons recueillis au sujet de Fernand Villeneuve s’étendent des années 1970 aux années 2000. Deux femmes à qui nous avons parlé et qui souhaitent rester anonymes affirment elles aussi que pendant cette période, le père Villeneuve aurait agressé sexuellement l'une d'elles et embrassé l’autre de force.
M. Villeneuve a ignoré notre demande d’entrevue.
Des scandales étouffés
Au début des années 1990, un double scandale éclate dans le diocèse de Hearst.
Deux curés sont reconnus coupables d’agressions sexuelles à Chapleau.
René Poirier, qui avait été transféré dans cette ville, a abusé d'un adolescent en thérapie en 1989. Paul Letendre, lui, plaide coupable d'une agression sexuelle sur un jeune de 14 ans; les faits remontent à 1968. Tout comme Poirier, il aurait fait plusieurs victimes avant son arrestation.
Les prêtres reçoivent des sentences respectives de six mois et de 30 jours de prison.
Cependant, l’Église doit aussi rendre des comptes, cette fois-ci devant un tribunal civil. En 1994, le diocèse est condamné pour négligence grave et verse 43 000 $ à une victime de Poirier.
Dans le jugement, l’évêque Despatie est sévèrement blâmé. Poirier était dangereux, écrit le juge Boissonnault. L’évêque avait toutes les informations nécessaires pour conclure qu’il était un déviant mais l'a néanmoins renvoyé travailler auprès des jeunes.
C’est un précédent juridique au Canada, mais le jugement passe presque inaperçu.
Il est rare que les évêques soient tenus responsables. Ce jugement aurait dû être crié sur tous les toits, aurait dû inciter l’Église à se réformer et à cesser de déplacer discrètement ses prêtres, explique Rob Talach, un avocat spécialisé dans les cas d’abus du clergé.
Dans le diocèse de Hearst, c’est tout le contraire qui se produit. Après la prison, les deux prêtres retournent parmi les rangs de l’Église.
René Poirier est transféré en République dominicaine, puis aux Philippines. Il rejoint ensuite l’Église orthodoxe et meurt au Mexique en 2006.
Plus surprenant encore, Paul Letendre travaille en tant que vicaire à Kapuskasing jusqu’en 2002. Comme pour tourner le fer dans la plaie, le diocèse nomme un local scout en son honneur, la Maison Paul Letendre. Il meurt en 2019.
Des abus dans l’ombre
Durant ces années turbulentes pour le diocèse, Roger Pronovost a continué de travailler loin des projecteurs dans plusieurs paroisses, où il aurait laissé des traces.
Voyeurisme, exhibitionnisme, attouchements sexuels : nous avons retracé quatre autres personnes qui auraient été victimes de comportements inappropriés de sa part alors qu’elles étaient des enfants ou des adolescents.
C’est ce qui pousse enfin Gilles à l'affronter. Cette rencontre lui glace le sang.
Roger m'a raconté que c'était la cinquième fois [qu'il était visé par des allégations]. Je lui ai dit : "T’as pas de cœur." [...] J’ai vu le diable. C’est pas un être humain, cet homme-là.
Gilles appelle le diocèse et indique à un employé qu’il souhaite dénoncer Roger Pronovost, mais Mgr Vincent Cadieux ne répondra jamais à ses messages, dit-il.
En 2016, Roger Pronovost plaide finalement coupable d'une accusation réduite de voies de fait sur un mineur et écope de 12 mois de probation. Le curé est rapidement transféré dans une autre paroisse du diocèse, où il restera jusqu’à sa retraite, en 2019.
Et il n’est pas le seul prêtre à avoir récemment été réhabilité après de sérieuses allégations.
En juin dernier, à la cathédrale de Hearst, le diocèse a célébré en grande pompe les 55 ans d’ordination d’Armand Proulx. Cet homme d’Église a été accusé d'agression sexuelle sur huit fillettes en 1999, durant la confesse à Cochrane.
Selon les documents de la cour, le curé a contacté les enfants pour qu’elles se rétractent. Les accusations d'agression sexuelle ont été retirées par la Couronne, mais des accusations ont été déposées pour entrave à la justice. Proulx a été déclaré coupable et condamné à 12 mois de probation.
Nous avons retrouvé la plupart de ces fillettes, aujourd’hui des femmes. Elles ont confirmé avoir été victimes d’attouchements mais n’ont pas voulu témoigner à visage découvert parce qu'elles craignent à ce jour d’être stigmatisées par leur communauté.
Les gens se sont retournés contre nous. On se faisait traiter de menteuses, dit l’une d’elles.
Armand Proulx lors de la messe d’installation du nouvel évêque de Hearst à l’été 2022. (Photo d'archives)Photo : Radio-Canada
Après la condamnation de Proulx pour entrave à la justice, l’Église l'a transféré à Hearst, où il aurait continué de faire des ravages. Entre 2009 et 2013, ce prêtre aurait abusé de Nancy Lamarche, une ex-cocaïnomane qui dit avoir eu des relations sexuelles avec le septuagénaire alors qu’elle était dans la vingtaine.
Nancy affirme qu’elle n’était pas consentante en raison de la relation de pouvoir et de sa vulnérabilité. Une fois, il m’a amenée à la messe de minuit, et après on a été chez lui. Quand on est rentrés, il s’est mis les culottes à terre. On a eu du sexe oral. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. Elle ne l’a pas dénoncé, car elle ne faisait confiance ni à la police ni au diocèse.
Et en 2011, le diocèse a conclu un règlement avec un homme qui allègue avoir été victime, à l’âge de 15 ans, d’agressions sexuelles répétées de la part d’Armand Proulx à la fin des années 1960, des allégations niées par le père Proulx. Le religieux n’a pas répondu à notre demande de commentaires et est aujourd’hui à la retraite.
Roger Pronovost est lui aussi retraité, mais il a quitté la région. Nous l’avons retracé et convaincu de nous accorder une entrevue.
Roger Pronovost a accepté de nous accorder une entrevue.Photo : Radio-Canada / Carl Mondello
Je ne sais pas vraiment ce que je suis venu faire ici, lance-t-il d’entrée de jeu. Il prétend ne pas savoir qui est Gilles.
Est-ce que le nom vous dit quelque chose? Pas vraiment.
Est-ce que vous avez eu des rapports sexuels avec lui? Pas à ce que je sache.
Quelques minutes plus tard, le prêtre n’a plus de trou de mémoire.
Si on veut pousser des allégations, il faut aller jusqu'au bout. On ne peut pas juste dire: "Je m’appelle Gilles, j’ai 50ans et je regrette ce que j'ai vécu à 14ans... ou ce que je n'ai pas vécu."
Qu'est-ce que vous voulez dire? Qu'est-ce qu'il a vécu à 14ans? Bien, s’il dit que je l'ai abusé à quatorze ans… Je ne le connaissais pas nécessairement à 14ans.
Le prêtre accuse ses victimes alléguées de faire toute une histoire montée. Mais qu’en est-il de son plaidoyer de culpabilité, en 2016, pour des voies de fait sur un autre jeune? Une formalité, dit-il, pour mettre fin à son procès.
Ce que vous nous dites, c'est que vous n'avez jamais fait d’attouchements sexuels sur un mineur? Bien, pas vraiment. J'aurais aucune raison.
Radio-Canada / Natasha MacDonald-Dupuis
Photo: L’avocat Rob Talach est spécialisé dans les poursuites contre le clergé au Canada. Crédit: Radio-Canada / Natasha MacDonald-Dupuis
Le chasseur de prêtres
Je les appelle des monstres, même si, pour la plupart, ils ont l’apparence de vieux hommes gentils, généralement à la retraite, confie l’avocat Rob Talach dans son bureau à London, en Ontario.
« Ce sont des monstres à cause de la dévastation qu'ils font subir aux jeunes et de l’impact profond sur notre société. »
Dans le milieu juridique, Rob Talach est surnommé le Priest Hunter, ou chasseur de prêtres, parce qu’il a révélé certains des pires secrets des diocèses de l’est du pays, dont celui de Hearst.
Nous sommes allés lui parler d’un camionneur qui a poursuivi un curé toujours en fonction.
Rémi Lessard sur la couverture d’un magazine local en 1987.
Nous avons rencontré Yves Villeneuve à Hearst.
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Rémi Lessard sur la couverture d’un magazine local en 1987.Photo : Collection du magazine L’Élan/Centre d’archives de la Grande Zone argileuse
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Rémi Lessard sur la couverture d’un magazine local en 1987.Photo : Collection du magazine L’Élan/Centre d’archives de la Grande Zone argileuse
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Nous avons rencontré Yves Villeneuve à Hearst.Photo : Radio-Canada / Carl Mondello
Yves Villeneuve dit avoir rencontré ce prêtre à l’âge de 17 ans, alors qu’il traversait une période familiale difficile et qu’il songeait à la prêtrise. Rémi Lessard, alors dans la trentaine et populaire auprès des jeunes, l'aurait pris sous son aile et comblé de cadeaux.
L’année suivante, selon Yves, le prêtre lui aurait donné des massages et des baisers dans le cou. La relation aurait culminé jusque dans le lit du curé.
Il m'a dit : "J'aimerais que tu couches avec moi." J’ai dit : "Il y a une ligne imaginaire au milieu du lit, et que je ne te voies pas la dépasser", se rappelle Yves, que nous avons rencontré à Hearst.
Ça n'a pas été long que son pénis de deux pouces est venu frôler le derrière de ma jambe. J’étais comme pris au piège.
Le jeune le repousse et s'enfuit, mais ce contact le laisse profondément traumatisé. Le prêtre était devenu une figure paternelle. Les années suivantes seront difficiles et Yves fera une tentative de suicide.
« J’ai accepté de prendre sa cause parce que j’ai cru à son témoignage. Même s’il était majeur et que les sévices ont été brefs, c’est tout de même très significatif. Beaucoup de gens ne comprennent pas l’impact des abus sexuels, encore moins ceux perpétrés par le clergé. Tu perds ton Dieu, ton guide. »
Yves dit avoir tenté de dénoncer Rémi Lessard au diocèse, mais sans succès. En 2010, il a recours à une autre stratégie : enregistrer le curé et l’évêque Vincent Cadieux à leur insu. Nous avons obtenu copie de cet enregistrement.
Yves confronte Rémi Lessard
Photo : Radio-Canada / Maxime Lech
Malgré cette confession, l’évêque Cadieux se porte à la défense de son curé. Ce n'est pas évident de vivre une vie de prêtre. C’est une vie en marge de la société, lance-t-il.
Sidéré par l’attitude de l’Église, Yves porte plainte à la police, mais la Couronne refuse de porter des accusations.
Dans une note interne dont Enquête a obtenu copie, le procureur Robin Tremblay expliquait qu’Yves était crédible mais que le dépôt d’accusations ne serait pas dans l’intérêt public parce que le contact sexuel avait été de courte durée et qu’Yves avait 18 ans à l'époque.
« Mon opinion aurait probablement différé si le plaignant avait été mineur au moment de l’agression sexuelle présumée. »
Yves n’abandonne pas. En 2013, la Commission des victimes d’actes criminels de l’Ontario reconnaît qu’il a subi un crime violent et lui verse 6721 $, mais le curé Lessard demeure en fonction. En 2017, Yves dépose une poursuite civile contre Rémi Lessard et contre le diocèse de Hearst.
Dans sa défense, Rémi Lessard nie les allégations et suggère qu’Yves le harcèle avec ses plaintes auprès des autorités. Le diocèse, de son côté, rejette toute responsabilité, même dans l’éventualité où il y aurait eu une agression sexuelle.
Cependant, l’enregistrement audio aurait été déterminant dans cette affaire. Yves reçoit 75 000 $ dans une entente à l’amiable. En échange, le diocèse n’admet rien. Rémi Lessard finit par être reconduit dans ses fonctions. Le curé a refusé de nous accorder une entrevue.
Rob Talach s’explique mal que Lessard soit toujours en poste.
« C’est comme si on faisait prendre le volant à un conducteur ivre ou comme si on laissait un alcoolique diriger un magasin de spiritueux. »
Henry Dobbelsteyn, décédé en 1984, a fait face à des allégations d'agressions sexuelles répétées au cours de l'année 1958-59. L'âge de la victime alléguée était de 8-9 ans. Les événements se seraient produits à Hornepayne. Dobbelsteyn a été transféré au Québec, où il aurait récidivé, selon une demande de recours collectif. Il y a eu un règlement en 2021, dont le montant est inconnu.
Jean-Paul Décarie, décédé en 2014, a fait face à des allégations d'agressions sexuelles répétées au cours des années 1959-60. L'âge de la victime alléguée était de 13-14 ans. Les événements se seraient produits à Cochrane. Il y a eu un règlement en 2022, dont le montant atteint 200 000 $.
Gustave Lampron, décédé en 1974, a fait face à une allégation d'agression sexuelle en 1964. L'âge de la victime alléguée était de 7 ans. L'événement se serait produit à Chapleau. Il y a eu un règlement en 2017, dont le montant est de 90 000 $.
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Henry Dobbelsteyn, décédé en 1984, a fait face à des allégations d'agressions sexuelles répétées au cours de l'année 1958-59. L'âge de la victime alléguée était de 8-9 ans. Les événements se seraient produits à Hornepayne. Dobbelsteyn a été transféré au Québec, où il aurait récidivé, selon une demande de recours collectif. Il y a eu un règlement en 2021, dont le montant est inconnu.Photo : Facebook/Diocèse de Hearst
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Henry Dobbelsteyn, décédé en 1984, a fait face à des allégations d'agressions sexuelles répétées au cours de l'année 1958-59. L'âge de la victime alléguée était de 8-9 ans. Les événements se seraient produits à Hornepayne. Dobbelsteyn a été transféré au Québec, où il aurait récidivé, selon une demande de recours collectif. Il y a eu un règlement en 2021, dont le montant est inconnu.Photo : Facebook/Diocèse de Hearst
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Jean-Paul Décarie, décédé en 2014, a fait face à des allégations d'agressions sexuelles répétées au cours des années 1959-60. L'âge de la victime alléguée était de 13-14 ans. Les événements se seraient produits à Cochrane. Il y a eu un règlement en 2022, dont le montant atteint 200 000 $.Photo : Université de Hearst
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Gustave Lampron, décédé en 1974, a fait face à une allégation d'agression sexuelle en 1964. L'âge de la victime alléguée était de 7 ans. L'événement se serait produit à Chapleau. Il y a eu un règlement en 2017, dont le montant est de 90 000 $.Photo : Facebook/Diocèse de Hearst
Les poursuites civiles s’accumulent
En 2017, les poursuites civiles commençaient à s’accumuler contre le diocèse de Hearst. Des centaines de milliers de dollars ont été versés à des hommes qui auraient été agressés sexuellement par des prêtres.
Dans tous les cas que nous avons recensés, l’Église a nié les allégations avec véhémence avant de verser une indemnisation sans aveu de culpabilité.
Presque tous les cas se terminent en règlements parce que le processus est épuisant pour les victimes et parce que l’Église est prête à dépenser l’argent des paroissiens pour acheter le silence, explique Rob Talach.
La Presse canadienne / Nathan Denette
Photo: Une statue de la Vierge Marie dans le diocèse de Moosonee, au nord de Hearst. Crédit: La Presse canadienne / Nathan Denette
Stratagème financier
L’Église catholique au Canada détiendrait près de cinq milliards en avoirs, selon une estimation (Nouvelle fenêtre) du Globe and Mail. Comparativement aux grands diocèses, Hearst est loin d’être riche.
Selon nos calculs, il comptait tout de même plus de 30 millions de dollars en actifs nets en 2021, principalement des propriétés et des placements. Pour arriver à ce montant, il nous a fallu éplucher les états financiers de chaque paroisse, parce qu’elles sont incorporées séparément.
En d’autres mots, la structure du diocèse de Hearst est comme une toile d’araignée. Ce modèle, de plus en plus adopté après la crise des abus sexuels des années 2000, a permis à certains diocèses en faillite (Nouvelle fenêtre) de mettre à l’abri des propriétés détenues par leurs paroisses, s'évitant ainsi de devoir les vendre pour dédommager des victimes. Cependant, dans d’autres cas plus récents, comme à Terre-Neuve, des diocèses ont dû vendre des églises.
L’Église s’est donc tournée vers une autre stratégie pour économiser de l’argent : fusionner des diocèses un peu partout en Occident. Le Canada n’a pas été épargné. En 2019, le diocèse de Hearst a fusionné canoniquement avec celui de Moosonee.
La raison officielle : des revenus en baisse et un clergé vieillissant.Des documents internes obtenus par Enquête révèlent toutefois un autre motif caché : protéger davantage les avoirs du diocèse contre les poursuites judiciaires. En d’autres mots, l’évêque Robert Bourgon a voulu agrandir la toile d’araignée.
Une fois la fusion canonique complétée, la prochaine étape aurait consisté à fusionner les corporations, selon les lois canadiennes. Mais l’évêque et ses avocats avaient d’autres projets : créer une troisième corporation pour y transférer l’argent et les biens immobiliers des paroisses.
Celle-ci devait comprendre plusieurs sous-corporations, dont une société de portefeuille immobilier, pour brouiller les pistes. Les anciens diocèses allaient devenir des sociétés coquilles.
En 2020, les prêtres approuvent ce plan à l’unanimité, mais avant que Rome ne puisse l’approuver, Robert Bourgon quitte le diocèse. Le plan de restructuration est finalement mis sur la glace.
Mgr Tremblay participe à une cérémonie religieuse. (Photo d'archives)Photo : Radio-Canada / Jimmy Chabot
Un vent de changement
Un vent arctique s’abat sur Hearst. Nous allons à la rencontre de Pierre-Olivier Tremblay, le nouvel évêque du diocèse de Hearst-Moosonee.
Nous lui présentons le plan de restructuration préparé par son prédécesseur. Il affirme voir ces documents pour la première fois. La corporation qui semblait avoir été envisagée n'existe pas. On est encore avec les corporations telles qu'elles étaient. Et il n'est pas question de faire des démarches pour protéger quoi que ce soit de notre justice, martèle-t-il.
L’avocat Rob Talach est incrédule. Comment se fait-il que l’évêque ne soit pas au courant? Je pense que le diocèse a été pris en flagrant délit en créant une structure pour se protéger des litiges et de ses responsabilités. D’autant plus, dit M. Talach, que rien n’empêche le diocèse de mettre cette stratégie en branle plus tard.
Que sait le nouvel évêque?
Toutefois, au-delà des tractations financières, que savait Mgr Tremblay au sujet des allégations de nature sexuelle contre ses prêtres? Certains étaient toujours en fonction lorsque nous lui avons parlé.
Il dit en savoir très peu, mais en vertu du droit canon, l’Église doit conserver des archives sur ce genre d’allégations, et nous savons que ses prédécesseurs ont reçu des dénonciations.
Des archives ont-elles été détruites? L’évêque répond qu’il ne le sait pas.
Fernand Villeneuve a été retiré du ministère à la suite des révélations de l'émission Enquête.Photo : Radio-Canada / Jimmy Chabot
Il dit être au courant du litige impliquant le curé Rémi Lessard mais ne pas connaître les détails. Mgr Tremblay a aussi noté que le curé Fernand Villeneuve a subi un procès pour agression sexuelle l’an dernier mais qu'il a été déclaré non coupable et réintégré dans une paroisse. L’évêque Tremblay n’était cependant pas au courant des autres allégations que nous avons recueillies au sujet de Fernand Villeneuve et qui n’ont pas de lien avec la cause.
Pas plus que celles contre un troisième prêtre : l’archiviste et son propre conseiller René Grandmont, le seul religieux toujours en fonction qui ait accepté de commenter les allégations que nous avons recueillies contre lui.
Sa victime alléguée, Jean Trahan, nous a raconté avoir été agressée à l’âge de 16 ans par le père Grandmont à l'occasion d’une sordide thérapie sexuelle qui l’aurait mené à une tentative de suicide peu après. On allait boire de l’alcool à l’évêché. Il m'a fait une fellation et moi la même chose. Il m’a dit que c’était correct pourvu qu’on n’éjacule pas. C’était en 1981.
Quelques années plus tard, Grandmont aurait infligé des sévices similaires à Donald Dufour, un jeune dépressif de 18 ans. Selon M. Dufour, le père Grandmont l’a aussi obligé à lui faire une fellation avant de le masturber. Il m’a dit que Dieu voulait voir si ça [son pénis] marchait bien.
Dans un courriel à Enquête, René Grandmont a catégoriquement nié les allégations de M. Dufour sans toutefois démentir celles de M. Trahan.
J’ai un souvenir vague de ma rencontre avec lui. Je crois qu’il est venu me voir pour échanger sur son éjaculation précoce et échanger sur son orientation homosexuelle. [...] Comme j’avais toujours un verre de boisson près de moi, alors que j’avais un problème d’alcool à cette époque, je n'ai pas souvenir de lui en avoir offert, écrit-il.
Pas seulement des prêtres
C'est terrible. C'est terrible. Et chaque personne, c'est une vie qui est brisée. Chaque cas est une tragédie, a confié l’évêque Tremblay en réaction au fait qu’Enquête ait recensé une quarantaine de personnes qui auraient subi des abus sexuels non seulement de 10 prêtres mais aussi de deux bénévoles du diocèse.
Nous avons découvert que Jules-René Guillotte, un technicien pour la paroisse de Rémi Lessard, a été emprisonné en 1991 pour avoir agressé sexuellement des enfants de 7, 12 et 14 ans. À l’époque, il était leader scout, un mouvement associé au diocèse.
En 2008, M. Guillotte a encore été arrêté pour agression sexuelle contre un mineur, mais ces accusations ont été abandonnées. Joint par téléphone, M. Guillotte a contesté l’intérêt public de publier ces informations puisque tout le monde à l’église le sait déjà.
Nous avons aussi constaté que 40 ans après les sévices qu’il aurait commis à la Maison Arc-en-Ciel, Ghislain Plourde œuvrait toujours au nom de l’Église. Le septuagénaire a jusqu’à récemment célébré des messes dans son village en l’absence du curé.
M. Plourde a pourtant été accusé d’agression sexuelle en 2020 et plaidé coupable d'une accusation réduite de voies de fait sur un mineur. Il est aussi visé par un litige civil en cours où on l’accuse d’avoir agressé sexuellement un jeune de 15 ans en 1985. Il nie ces allégations.
À la suite à notre entrevue, l’évêque Tremblay a relevé de leurs fonctions tous les prêtres et bénévoles nommés dans le reportage qui étaient toujours en fonction. Rémi Lessard et Fernand Villeneuve ont été retirés du ministère public. René Grandmont n’est plus archiviste. Une révision d’antécédents judiciaires a été lancée pour tous les employés du diocèse.
L'élément le plus important, c'est de dénoncer, a dit Mgr Tremblay. Tout abus est une blessure. Quand c'est commis par des gens d'Église, c'est terrible, parce qu'on est des porteurs d'un espoir, d'un idéal, alors ça fait d'autant plus mal. [...] Ce que je constate, c'est qu'on a un immense défi de reconstruire la confiance. On va devoir le faire. Moi, je sais que je ne suis pas une victime. L'Église n'est pas une victime. Ceux qui ont vécu les abus sont des victimes.
Pour Gilles, qui a dénoncé Roger Pronovost sans succès en 2014, la branche d’olivier de l’évêque arrive trop tard.
Qu'il aille se faire foutre. Protéger des pédophiles si longtemps?
Le reportage de Natasha MacDonald-Dupuis et de Gil Shochat est diffusé à Enquête le jeudi à 21 h sur ICI Télé. Il est aussi disponible en rattrapage sur ICI Tou.tv (Nouvelle fenêtre).)