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Le défi du cinéma écoresponsable en Colombie-Britannique
Texte et photos : Lyne Barnabé Illustrations : Elliott Sloan
Le cinéma, cet art qui divertit, transporte et fait rêver, cache une réalité bien terre à terre et plus sombre : sa production pollue. Face à cette réalité qui préoccupe de plus en plus les artisans du milieu, des initiatives se multiplient, notamment en Colombie-Britannique, pour diminuer l'empreinte carbone des tournages.
Le chemin pour y parvenir comporte son lot de défis, mais le virage vert porte ses fruits, une production à la fois.
On est vraiment rendus là. Je pense que ça doit vraiment faire partie des priorités, dit avec conviction la cinéaste, autrice et scénariste québécoise Anaïs Barbeau-Lavalette qui, en 2021, a tourné à Vancouver et à Montréal son dernier long métrage, Chien blanc, de manière écoresponsable.
Anaïs Barbeau-Lavalette sur le tournage de Chien blanc.Photo : Belen Garcia / Chien blanc
L’artiste militante, cofondatrice du mouvement écologiste Mères au front, est en effet fermement engagée dans une démarche pour un cinéma durable.
Je ne trouvais pas ça conséquent de faire mon métier sans être ultra vigilante par rapport à tous les types de gaspillage qui peuvent être faits dans chaque département [lors d’un tournage].
La cinéaste Anaïs Barbeau-Lavalette parle du covoiturage et du transport en commun pour diminuer l'empreinte écologique des plateaux de tournage:
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Un transport plus vert
Radio-Canada
Photo: Les tournages sont nombreux dans la région de Vancouver en Colombie-Britannique. Crédit: Radio-Canada
Des ambassadeurs comme Anaïs Barbeau-Lavalette, soucieux des questions climatiques, la Colombie-Britannique en compte un nombre croissant dans le secteur cinématographique, important pilier économique de la province. La Colombie-Britannique accueille annuellement plus de 120 tournages de films et de séries télévisées.
Parmi ces ambassadeurs, il y a Andrew Robinson qui, depuis quelques années, joue un rôle clé auprès des équipes de tournage de la province. Ce conseiller principal de Green Spark Group, une agence fondée à Vancouver, accompagne les artisans et les collaborateurs de l’industrie du film soucieux de réduire leur empreinte carbone.
Il explique, par exemple, que la série télévisée The Magicians tournée en Colombie-Britannique a réduit de façon concrète ses émissions de gaz à effet de serre en demandant aux fournisseurs de services alimentaires de réduire de 50 % la quantité de viande rouge servie sur le plateau.
Les émissions des productions cinématographiquesen Colombie-Britannique varient entre 400 et 1000 tonnes de gaz à effet de serre par production. En comparaison, une maison à Vancouver émet à peu près 7,5 tonnes par an, dit Andrew Robinson pour illustrer l’importance de privilégier les gestes écoresponsables dans le cinéma.
Il ajoute un autre exemple éloquent : rien qu’en 2021, dans la région métropolitaine de Vancouver, l’industrie cinématographique a utilisé 9,75 millions de litres de diesel, soit l'équivalent de 5700 véhicules qui circulent pendant un an.
Un plateau de tournage à VancouverPhoto : Green Spark Group
Une étude qui change la donne
Selon une étude publiée en 2021 par la Sustainable Production Allianceet menée auprès de 427 productions de films et de séries télévisées dans les grandes villes du monde, le carburant utilisé pour le transport et les génératrices arrive bien en tête de la liste des sources de pollution sur les plateaux. Ce phénomène se compte en millions de tonnes d’émissions de gaz à effet de serre.
En Colombie-Britannique, c’est précisément la taille des génératrices et la manière dont elles sont utilisées sur certains plateaux qui posent problème, comme l’explique Andrew Robinson.
Ces génératrices fonctionnent 80 % du temps, mais seulement à 20 % de leurs capacités. Donc, on a un équipement qui est utilisé de façon inefficace. C'est une mauvaise habitude qui contribue énormément aux gaz à effet de serre.
L'étude a pu être réalisée grâce aux données publiées pour la première fois par les grandes compagnies de production telles que Netflix et Disney.
« Si on pense à toutes les villes dans le monde [où se font des tournages], on commence à comprendre l’ampleur collective de la pollution reliée à cette industrie. »
Toutefois, l’expert-conseil se réjouit d’avoir en main cette analyse.
Le rapport nous a fourni des données concrètes qui nous permettent de mettre en place un plan d'action. Ce rapport sera publié tous les deux ans pour justement démontrer le progrès.
L'industrie cinématographique cherche des solutions pour diminuer le gaspillage sur les sites de tournage.Photo : Green Spark Group
Des outils utiles
Sensibilisé à la question environnementale, le milieu du septième art en Colombie-Britannique s’est mis, depuis plusieurs années, à la recherche de solutions pour diminuer lepoids climatique de ses productions.
L’écosystème de fournisseurs et d’artisans conscientisés et bien formés de la province est d’ailleurs devenu un allié important pour la réalisation des tournages écoresponsables tels que Chien blanc, comme l’explique Andrew Robinson.
Les syndicats sont impliqués, de même que le bureau du cinéma [Creative BC] et les municipalités. Par exemple, la Ville de Vancouver a mis en place des kiosques où on peut se brancher au réseau [électrique] municipal. Elle souhaite en développer deux à trois par année d'ici 2030 pour que les productions n'aient plus besoin de génératrices [au diesel], dit-il avec un brin de fierté.
Andrew Robinson, conseiller principal Stratégie et engagement développement durable chez Green Spark GroupPhoto : Radio-Canada / Lyne Barnabé
Andrew Robinson parle d'une mesure imposée par la Ville de Vancouver pour forcer les plateaux de tournage à utiliser l'électricité plutôt que des génératrices au diesel:
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Utiliser l'électricité
Ce genre de solutions, Creative BC en propose plusieurs dans Reel Green, son programme de formation et de guide de bonnes pratiques implanté en 2006.
La productrice déléguée et directrice de production de Chien blanc,Marie-Claire Lalonde, dit d’ailleurs avoir apprécié certaines initiatives favorisant des pratiques durables durant le tournage à Vancouver.
La Ville de Vancouver venait nous porter les stations de recyclage et de compostage, tandis qu'à Montréal c'est nous-mêmes qui devions trouver des organismes privés. On a aussi loué plein de véhicules hybrides à Vancouver. C'est vraiment plus difficile d'en louer au Québec, observe-t-elle.
« À Vancouver, ils peuvent même te fournir un "coordinateur vert", si tu en as les moyens. Au Québec, on n'a pas encore ces capacités-là. »
C'est relativement avancé à Vancouver, comparé au Québec, renchérit Anaïs Barbeau-Lavalette. Je pense qu'il y a des discussions à y avoir entre Vancouver et Montréal parce qu'il y aurait des alliances super intéressantes et des apprentissages mutuels à faire.
Une journée par semaine sans viande permet d’économiser 61 tonnes de CO2, soit l’équivalent de la fabrication de 4729 t-shirts de coton.
En achetant de l’eau en vrac et des bouteilles réutilisables, on peut économiser non seulement 48 000 bouteilles en plastique, mais aussi 23 400 $.
Une production efficace peut utiliser jusqu’à 2 millions de feuilles de papier par an, soit l’équivalent de 600 km, si on met toutes ces feuilles bout à bout. Des applications électroniques qui remplacent le papier permettent d’épargner 3800 $.
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Une journée par semaine sans viande permet d’économiser 61 tonnes de CO2, soit l’équivalent de la fabrication de 4729 t-shirts de coton.Photo : Radio-Canada / Elliott Sloan
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Une journée par semaine sans viande permet d’économiser 61 tonnes de CO2, soit l’équivalent de la fabrication de 4729 t-shirts de coton.Photo : Radio-Canada / Elliott Sloan
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En achetant de l’eau en vrac et des bouteilles réutilisables, on peut économiser non seulement 48 000 bouteilles en plastique, mais aussi 23 400 $.Photo : Radio-Canada
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Une production efficace peut utiliser jusqu’à 2 millions de feuilles de papier par an, soit l’équivalent de 600 km, si on met toutes ces feuilles bout à bout. Des applications électroniques qui remplacent le papier permettent d’épargner 3800 $.Photo : Radio-Canada / Elliott Sloan
Radio-Canada / Lyne Barnabé
Photo: Entrepôt de l'organisme Keep it green Recycling Crédit: Radio-Canada / Lyne Barnabé
Les décors au suivant
Outre le carburant, les matériaux utilisés dans l’industrie du film, notamment pour la construction des décors, sont aussi une importante source d’émission de gaz à effet de serre.
En effet, après leur utilisation unique, tous ces matériaux se retrouvent la plupart du temps à la poubelle une fois le tournage terminé.
C’est à cette étape qu’intervient Kelsey Evans, avec Keep it Green Recycling. Après avoir travaillé pendant de nombreuses années dans le milieu du cinéma, Kelsey Evans a fondé cette entreprise du Grand Vancouver il y a plus de 10 ans dans le but de répondre au besoin croissant de recyclage dans le domaine cinématographique.
Kelsey Evans, propriétaire de Keep it Green RecyclingPhoto : Radio-Canada / Lyne Barnabé
D’abord spécialisée dans le recyclage traditionnel (plastique, verre, papier), l’entreprise a ouvert en 2017, avec l’aide d’Andrew Robinson, son entrepôt de récupération Material Reuse, qui recueille les objets et les matériaux réutilisables provenant des productions du petit et du grand écran.
Quand on franchit le seuil de ce bâtiment industriel, la porte s’ouvre sur une sorte de magasin de seconde main recelant les trésors d’une véritable caverne d’Ali Baba. Patins à roulettes, caisses enregistreuses d’époque, enseignes commerciales, costumes, bibelots et autres breloques, mais aussi portes, fenêtres, contreplaqués et autres ayant connu leur heure de gloire dans une scène de film.
En 2022 seulement, on a détourné 342 tonnes de déchets. C’est l’équivalent de 141 camions, explique Kelsey Evans alors qu’elle s’apprête à aider son équipe à décharger un camion rempli d’étagères, de chaises et d’affiches provenant d’un studio de Burnaby sur le point d’être rénové.
Nous facturons un montant à ceux qui apportent leurs matériaux et leurs objets ici. En revanche, nous donnons tout. C’est gratuit, explique Kelsey Evans.
« Je crois fermement que chacun est responsable de ses déchets. Je pense que nous sommes les seuls au Canada à faire cela de cette façon. »
Dans cet entrepôt ouvert au public, Kelsey Evans a décidé de réserver le deuxième étage aux équipes de tournage.
Il y a toutes sortes d’objets uniques que les gens de l’industrie cinématographique recherchent : de vieux ordinateurs, des machines à écrire, des paniers à linge, dit-elle en désignant ces objets du doigt.
Parmi les compagnies de production ayant utilisé les services de cette entreprise, on retrouve l’équipe de la trilogie de Fifty Shades of Grey, tournée à Vancouver, qui a d’ailleurs remis 99 % de ses décors à Keep it Green Recycling,comme le précise Andrew Robinson.
L’équipe de Chien blanc s’est aussi rendue dans ce dépôt pour y dénicher des accessoires et des décors.
Comme de vieux téléphones, de vieilles calculatrices, de vieilles horloges parce que Chien blanc se passait dans les années 60, raconte Marie-Claire Lalonde.
Keep it Green Recyclingse dit par ailleurs proactive auprès des productions de passage dans la région. Si nous savons qu’un tournage est sur le point de commencer, nous appelons pour dire : "Hé, nous avons des tuyaux en PVC ou de faux rochers, si jamais vous en avez besoin!", dit Kelsey Evans en riant.
La propriétaire de Keep it Green Recycling se réjouit de voir que les mentalités changent dans le milieu.
Les gens parlent constamment de développement durable. Il y a vraiment du progrès, une prise de conscience.
Radio-Canada / Lyne Barnabé
Photo: Aire de repas sur un plateau de tournage. Crédit: Radio-Canada / Lyne Barnabé
Un recul à rattraper
Malgré ces avancées, certaines entreprises du milieu du cinéma qui mettent en place des mesures écoresponsables ont malheureusement dû reculer depuis 2020 en raison de la COVID-19. C’est le cas notamment des traiteurs qui ont dû revenir un peu en arrière dans leur approche durable à cause des mesures sanitaires mises en place par les compagnies de production.
Avant la COVID-19, on utilisait des assiettes en plastique et des couverts en métal qu’on nettoyait après les repas, dit Shirley McCooey, copropriétaire de Into The Forest Catering. On faisait aussi beaucoup de dons de nourriture aux banques alimentaires, ce qui est maintenant interdit.
Shirley McCooey, copropriétaire de Into The Forest CateringPhoto : DANIELA CIUFFA / Fournie par Shirley McCooey
« C'est dur parce qu'on était enfin arrivés là où il fallait être pour l'environnement avant la pandémie. »
Shirley McCooey et son mari, Joel, offrent leur service de traiteur sur les plateaux de tournage depuis 10 ans. Leur compagnie britanno-colombienne, qui se spécialise dans les produits locaux, biologiques, de saison et sans gluten, a à cœur non seulement de soutenir les producteurs de la région, mais aussi de faire des choix respectueux de l’environnement.
Depuis le début, on est vraiment centrés sur tout ce qui est compostable, recyclable, biodégradable, affirme avec fierté Shirley McCooey.Mon mari, quand il a le temps, va aller cueillir des champignons. On a aussi un potager à la maison [à Maple Ridge, en banlieue de Vancouver]. Mon équipe va utiliser, par exemple, des carottes du potager pour décorer la salade.
Être un traiteur ayant une conscience écologique comporte son lot de défis. Shirley McCooey ne connaît que deux autres traiteurs qui ont mis en place des pratiques durables.
Dans l'ensemble, les traiteurs font plus du jetable. C'est plus facile et plus rapide. Car, quand on apporte tout ce qui n'est pas jetable, c'est à nous de tout nettoyer. Et il faut que ça soit nettoyé d'une certaine façon et que ça soit stocké quelque part. Ça prend beaucoup plus de place. C'est beaucoup plus de travail.
Malgré la COVID-19, l’entreprise a limité ses déchets en réduisant à la source.
On a vraiment appris à éviter le gaspillage, à ajuster nos quantités pour être sûrs qu'il ne reste pas de nourriture. Ce qu’il reste, les membres de l’équipe vont le rapporter à la maison.
Shirley McCooey dit par ailleurs maintenir le cap en revenant constamment à la charge pour convaincre les équipes de production de revenir à la vaisselle réutilisable.
Tournage du film Chien Blanc d’Anaïs Barbeau-LavalettePhoto : Belen Garcia / Chien blanc
Plus écoresponsable, plus cher?
Ça dépend, répond Andrew Robinson. Si je veux louer une batterie électrique plutôt qu'une génératrice, la batterie coûte plus cher. Mais elle permet d'économiser du carburant. Même chose avec les voitures électriques.
Andrew Robinson donne l’exemple du tournage de la série X-Filesà Vancouver, entre 2016 et 2018, pendant lequel les solutions écologiques ont été favorisées. Grâce à ses efforts, la 20th Century Fox a pu détourner 81 % de ses déchets du dépotoir, tout en économisant de l’argent.
Dans la saison 10, ils ont pu économiser 48 000 $. En saison 11, ils ont économisé 150 000 $. Ils ont triplé les économies pour la production en réduisant notamment le papier et le montant des déchets.
On a sauvé beaucoup d'argent en essence, s’exclame quant à elle Marie-Claire Lalonde. Parce qu'avec l’auto hybride à Vancouver, on a fait juste deux pleins d'essence en six semaines!
Dans le domaine automobile, un des joueurs importants en Colombie-Britannique est Driving Force.La compagnie de location de voitures et de camions a décidé d’investir dans une flotte hybride et électrique après avoir entendu l’appel insistant de quelque 60 producteurs désireux de louer ce genre de véhicules.
Des efforts de récupération et réduction des déchets sont en place sur des plateaux de tournage en Colombie-Brotannique. Photo : Green Spark Group
Valoriser les pratiques
Malgré les défis, le virage vertest bien enclenché dans l’industrie cinématographique de la côte ouest canadienne, ainsi que l’espoir que les meilleures pratiques deviennent un jour la norme.
Je remarque que la réutilisation des matériaux est de plus en plus courante, dit Kelsey Evans. J’espère que, en 2023, ça va encore prendre de l’ampleur! Et si c’est le cas, on trouvera un plus grand espace pour aider l’industrie.
De son côté, Andrew Robinson encourageles équipes de production à se fixer un objectif qui semble hors d’atteinte pour stimuler les troupes.
Disons, par exemple, l’objectif d'avoir zéro déchet. Ce n’est pas nécessairement réalisable. Mais on y pense, on est mal à l'aise [à cause de la situation] et, donc, ça nous pousse à chercher des solutions de façon continue.
La productrice Marie-Claire Lalonde donne un exemple de mesure pour éviter le gaspillage:
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Pas de t-shirt comme cadeau de production
Tournage du film Chien Blanc d’Anaïs Barbeau-LavalettePhoto : Belen Garcia / Chien blanc
« Ça prend de la motivation, des locomotives. Si ce n'est pas le réalisateur, il faut que ce soit le producteur qui impose ça de façon lumineuse, inspirante et inspirée. Les autres vont suivre. C'est ça qui s'est passé sur Chien blanc. »
Anaïs Barbeau-Lavalette souhaiterait qu’on crée une prime verte pour encourager les artisans à se lancer dans des tournages écoresponsables.
Je pense que, tant qu'il n’y aura pas une compensation économique pour soutenir la volonté d’écoresponsabilité, malheureusement, on n'y arrivera pas.
Marie-Claire Lalonde, pour sa part, rappelle aux artisans qui décident d’emprunter la voie durable de ne pas abandonner.
Les gestes qui nous semblent radicaux au début deviennent finalement des habitudes. Et il faut aussi des Anaïs qui poussent pour que ça change.