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Il plonge depuis qu’il a six ans. Cependant, le 2 août 2021 à Tokyo, Cédric Fofana ne sait plus comment faire. À 17 ans, à sa première compétition olympique, il panique avant de grimper sur le tremplin. Il est sans repère et sans confiance. Il sait qu’il est en train de craquer.
L’échec est cuisant et le monde entier en est témoin. Il sort pétrifié de l’eau. Il ne voit pas les autres plongeurs, pas plus que sa note de 0 sur le tableau des résultats. Il ne voit plus rien tant il est déconcerté. Il ne s’était jamais imaginé essuyer un pareil flop. Il est bon dernier, blessé physiquement et heurté dans son orgueil.
Pire encore, il doit vivre ce moment sans son plus fidèle allié, son mentor César Henderson, contraint de rentrer au Canada deux jours plus tôt à cause d’un nombre limité de places pour les entraîneurs.
Cédric Fofana arrive à peine à se souvenir de ce qui s’est produit ce jour-là. Avec son entourage, il a bien voulu s’ouvrir sur ce douloureux chapitre de sa carrière, sur ce qui est arrivé avant et sur la façon dont il s’en est relevé.
Ce grand espoir du plongeon canadien a traversé bien d’autres épreuves. Plus jeune, il a ressenti un malaise d’être champion pendant la maladie soudaine de son père avant de s’en inspirer dans son ascension parmi l’élite mondiale.
La route qu’il a choisie pour les Jeux de Paris en 2024 n’est pas la plus facile non plus, mais il n’en voyait pas d’autre possible. Il s’est remis au travail avec César Henderson en dépit du souhait de Plongeon Canada de lui imposer un nouvel entraîneur. Ils seront complices jusqu'au bout, coûte que coûte, quittes à perdre des privilèges au centre national.
« Je ne me donnais pas le droit d’être fier »
Je n’ai pas assisté à une seule compétition de mon fils depuis 2014. La dernière fois, Cédric avait 10 ans. Ce week-end-là, à Montréal, il a été couronné champion canadien des trois épreuves au programme. J’étais très fier de lui, mais je ne me doutais pas que j’allais devoir attendre aussi longtemps pour l’applaudir à nouveau.
Assis chez lui auprès de sa femme, Souleymane Fofana se souvient des exploits de leur fils, à qui il avait pourtant prédit une courte carrière après l’avoir vu plonger la première fois.
Au deuxième cours, j’étais prêt à demander un remboursement : ce n’était pas beau, dit-il dans un éclat de rire.
Cet homme de 47 ans, originaire de la Côte d’Ivoire, a immigré au Canada en 2000. Depuis, il a fondé une famille avec Élaine Bouchard. Ils ont eu deux enfants, Cédric et Alexandre, leur fils cadet.
Radio-Canada / Arianne Bergeron
Radio-Canada / Arianne Bergeron
Souleymane n’est pas du genre à rechercher l’attention. Il a d’ailleurs longuement hésité avant de nous raconter son histoire. Il a accepté pour apporter un éclairage plus juste sur l’imprévisible et bouleversant parcours de Cédric.
Quand Cédric Fofana domine les Championnats nationaux juniors de développement, en 2014, il est déjà dans la ligne de mire du réputé Michel Larouche, l'homme qui a guidé la carrière d’Alexandre Despatie, le meilleur plongeur de l’histoire du pays, qui s’est révélé dès l’adolescence.
L’entraîneur-chef de l’équipe nationale n’avait pas tardé à suggérer aux Fofana, installés à Québec, d’envisager un déménagement dans la métropole au cours des années suivantes afin de permettre à leur fils de s'entraîner au centre national, au stade olympique, dans un environnement propice à son développement.
Souleymane Fofana chez luiPhoto : Radio-Canada / Arianne Bergeron
Si l'ascension de Cédric est phénoménale, Souleymane Fofana, lui, s’apprête à plonger dans le vide un mois à peine après le triple sacre de son garçon.
Je ressens des douleurs aux jambes. J’ai toujours mal, comme cette sensation qu’éprouve un coureur après un long effort, raconte-t-il. Mais mes souffrances sont permanentes. Après un mois de va-et-vient à la clinique, à la recommandation d’un ami médecin, je me rends à l’urgence. Je peine à me déplacer. Un spécialiste comprend vite que ma moelle épinière est atteinte. On découvrira plus tard que le virus de la varicelle est à l’origine de ma santé précaire.
Souleymane Fofana n’est pas au bout de ses peines. Les médecins lui prescrivent un traitement intraveineux à la cortisone qui devrait, en l’espace de trois jours, le ramener sur ses pieds et à une vie normale. Mais son système immunitaire ne répond pas bien à la médication.
L’hôpital de l’Enfant-Jésus à Québec devient sa nouvelle demeure. Souleymane, qui est pourtant un homme dans une excellente condition physique, réalise avec stupéfaction qu’il est dorénavant paralysé. Son corps l’a lâché, sournoisement, du milieu de son dos à ses pieds.
Cédric est profondément marqué par la maladie de son père, qui survient au moment où il vit de grands moments sportifs. Je ne me laissais pas le droit d’être fier. J’avais de la misère à accepter ce qui m’arrivait parce qu’autour de moi, ça n’allait vraiment pas bien, se souvient-il.
La famille Fofana raconte le coup du destin qui l’a parachutée dans une aventure aussi soudaine qu’inattendue.
Au top pendant que tout le monde est à son bas
Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron
Au fil des années, Souleymane a pu progressivement recommencer à marcher. D’abord avec deux béquilles, puis avec une seule.
« Par rapport à 2014, je peux me tenir debout. Je peux marcher sans béquille sur un terrain plat sans obstacle. Je peux conduire et faire des activités avec ma famille. Avant, il fallait traîner le fauteuil roulant, la planche pour s’asseoir dans l’auto et tout l’attirail. Il y a eu un fauteuil roulant dans ma vie jusqu’en 2019. Cinq années venues de nulle part… »
Il ne voulait jamais qu’on le photographie en fauteuil roulant parce que, selon lui, il s’agissait d’une situation temporaire, précise Élaine de manière à décrire l’esprit combatif de son conjoint qui dit ressentir encore dans ses jambes cette douleur apparue en 2014.
Le fauteuil roulant de Souleymane est depuis longtemps caché au fond d’une remise. Pour les besoins de la photographe de notre équipe, il accepte de le dépoussiérer.
Souleymane Fofana avec son fauteuil roulantPhoto : Radio-Canada / Arianne Bergeron
Il est en pièces détachées, ses fils le déposent devant lui. Il faut le rebâtir, morceau par morceau, comme il l’a fait durant cette tranche de sa vie où il a dû se reconstruire.
Toujours de bonne humeur, Souleymane devient plus songeur. Il s'assoit sur le divan, comme s’il voulait prendre un peu de recul pendant qu’Alexandre tient à essayer le fauteuil. Souleymane, plus silencieux, est perdu dans ses pensées.
Trois ans là-dedans, lâche-t-il, comme s’il profitait de l’occasion pour diriger une flèche au destin. L’homme a fait la paix avec ce passage de sa vie, mais il lui a fallu du cran.
Te souviens-tu, papa, le jour où à l’hôtel tu étais tombé en bas de ta chaise et que nous étions incapables de te relever et te placer dedans? lance Cédric, avec un léger sourire. Tu étais pesant!
Nous étions allés à un gala pour toi, Cédric, précise sa mère qui n’a rien oublié.
J’étais pas mal plus gras à l’époque, confirme Souleymane. La remarque fait rire tout le monde. Ce moment l’amène à réfléchir sur sa condition à l’époque.
La famille FofanaPhoto : Radio-Canada / Arianne Bergeron
La neurologue me disait que j’allais peut-être remarcher. Après trois ans, j'ai commencé à retrouver un peu de force dans mes jambes. Je me suis mis à l’ouvrage. Quand j’y pense, ça me rappelle mes amis à l’hôpital et au centre de réadaptation. J’ai passé tellement d’heures avec eux.
C’est dans cette pièce, où Souleymane se remémore ces moments, qu’il a d’abord pu savourer le fruit de ses efforts.
Je marchais du salon à la cuisine pour ouvrir l’armoire ou la porte du frigo. Je ne grimpais pas les escaliers, mais je marchais à nouveau.
Souleymane Fofana ne s'est plus jamais pointé à une compétition de Cédric en plus de huit ans, en raison de ses difficultés à se déplacer, mais aussi à cause de la pandémie et des restrictions sur les grands rassemblements.
Radio-Canada / Éric Santerre
Photo: Cédric Fofana a participé aux Jeux à 17 ans Crédit: Radio-Canada / Éric Santerre
Aux Jeux contre toute attente
Élaine est fébrile. Jamais une compétition de Cédric ne l’a rendue aussi nerveuse. En plus, elle ne peut même pas y assister puisque l’événement est tenu à huis clos afin d’éviter la propagation de la COVID-19.
Cédric est à la piscine à Toronto tandis qu’elle fait les cent pas au camping à Québec. Depuis une dizaine d’années, les Fofana louent un terrain au Domaine Notre-Dame à Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier. Ils y possèdent leur propre roulotte et s’entendent bien avec leurs voisins de longue date qui ont appris à connaître le petit Cédric au fil du temps.
Ce 30 juin 2021, le voisinage est bien sûr au courant que le jeune homme tente de se qualifier pour les Jeux olympiques qui débutent à Tokyo dans moins d’un mois.
Je suis en compagnie de mes voisins Mary-Ann et David et nous regardons la compétition sur l’écran de mon ordinateur. Plusieurs campeurs le font aussi. J'entends des cris, des sifflements et des applaudissements à chacun des plongeons de Cédric, résume la maman dont le cœur battait fort à distance ce jour-là.
Le père de Cédric, au boulot, surveille la compétition du domicile familial, d’où il travaille dorénavant en permanence. Il a l’habitude de ne pas assister aux compétitions. Il a une bonne idée de ce que doit vivre maman, tenue à l’écart. L’attente du verdict est interminable.
Le Canada n’a qu’une seule place au tremplin de 3 m masculin à Tokyo. La marge du plongeur est mince. Il doit absolument être couronné vainqueur des essais olympiques puisqu’il n’y a pas de deuxième laissez-passer.
Cette compétition est l’aboutissement d’innombrables efforts de la part de Cédric et des siens.
Depuis septembre 2017, la famille vit à moins de 10 minutes de l’Institut national du sport (INS) au stade olympique, où se trouve le centre d'entraînement de l'équipe canadienne de plongeon.
Les Fofana ont quitté leur résidence à Québec afin de faciliter la vie à Cédric, qui peut ainsi s’entraîner dorénavant à temps plein avec l’élite du pays, comme l’avait recommandé Michel Larouche.
César Henderson, partenaire de longue date de Larouche au club CAMO, puis avec l'équipe nationale, est désigné pour épauler Cédric dès l’arrivée du jeune homme dans la métropole.
Cet ex-plongeur de la République dominicaine ayant pris part aux Jeux olympiques de Moscou et de Los Angeles en 1980 et en 1984 a entrepris sa carrière d’entraîneur en sol canadien en 1988.
Radio-Canada / Arianne Bergeron
Radio-Canada / Arianne Bergeron
Sa mission auprès des plongeurs du club CAMO a vite dépassé le cadre initial.
Les JO, ce n'était pas pour moi. Je ne voulais pas ça, c’est une erreur de parcours!, dit-il sur un ton qui trahit cependant sa satisfaction d’avoir emprunté ce chemin.
Nos plongeurs québécois se sont bien développés. Michel ne suffisait pas à répondre à la demande. J’ai donc partagé mon expertise avec l’élite. J’ai travaillé avec nos vedettes montantes, notamment Annie Pelletier, Myriam Boileau et Alexandre Despatie. Participer à l’éclosion d’un talent comme Alexandre, c’est un cadeau.
Je me souviens que sa croissance accélérée à l’époque lui causait des ennuis, raconte César à propos de Cédric. À 14 ans, trop grand, tu perds de la qualité. Il a dû faire preuve de beaucoup de persévérance pour se maintenir parmi les meilleurs. Il a été capable d’accomplir de belles choses en raison de son volume d’entraînement.
César Henderson et Cédric FofanaPhoto : Radio-Canada / Arianne Bergeron
Cédric admet qu’il s’est interrogé à l’époque sur ses chances de réussite.
À 10 ans, j’étais juste un petit peu plus grand que les autres. Mais lorsque je me voyais grandir plus vite que mes amis, je me demandais si j'étais normal. Est-ce que j’allais pouvoir continuer à plonger si je devenais trop grand? J’étais devenu hyper instable sur le tremplin. Mais ça ne m’a jamais empêché de faire de gros plongeons, de tourner plus vite que les autres ou de sauter plus haut parce que j’ai travaillé pour arriver à accomplir ce que mes entraîneurs m’ont demandé. Aujourd’hui, je mesure maintenant 1,84 m, c’est environ 10 cm de plus que la moyenne des plongeurs.
À moins de 50 jours du début des JO de Tokyo, Cédric, accompagné de son mentor, débarque avec confiance pour les sélections olympiques. Il croit que ses chances de remporter la compétition sont réalistes.
Le stress s’empare bien sûr de lui. Il a fait ses débuts internationaux chez les seniors en 2019, il y a à peine deux ans, après avoir décroché une médaille de bronze aux mondiaux juniors en 2018. La marche est haute pour un gars de 17 ans en apprentissage.
Voici comment ça s'est passé.
Passer du primaire à l'université
Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron
Le directeur en chef technique de Plongeon Canada, Mitch Geller, est élogieux envers Cédric après les sélections olympiques. Il déclare à La Presse :
Il peut être fabuleux, il a un talent incroyable. La hauteur qu’il peut atteindre, ça dépasse l’entendement. Il a un avenir très prometteur.
À Québec, au camping, c’est l’heure des félicitations. Plus la compétition avançait, plus les campeurs étaient nombreux à la roulotte des Fofana. À la fin, ils étaient une dizaine autour d’Élaine qui, émue, et soudainement moins tendue, accepte au nom de son fils ces marques de reconnaissance pour le travail accompli durant toutes ces années.
Je me suis rempli une coupe de vin, peut-être ma deuxième, dit-elle, une remarque qui fait éclater de rire son conjoint.
Moi, je n’ai pas bu, mais j’ai aussitôt arrêté de travailler. Je ne pouvais plus, j’étais trop ému, se souvient Souleymane.
Ce moment, Cédric en garde un souvenir précis.
« J’ai appelé ma mère. Curieusement, elle ne pleurait pas. Je devine qu’elle devait avoir déjà beaucoup pleuré avant que je l’appelle! Et j’ai ensuite contacté mon père. C’était surréaliste. Je suis retourné à ma chambre et, le lendemain, je ne réalisais pas ce qui s’était produit. »
Les JO, c’est le summum et j’y allais. Même César était émotif. J’ai alors compris qu’il s’était passé quelque chose de gros.
Radio-Canada / Éric Santerre
Photo: Cédric Fofana a fini dernier aux Jeux à Tokyo Crédit: Radio-Canada / Éric Santerre
« Maman, j’ai honte »
À 17 ans, Cédric Fofana est le plus jeune membre de la délégation canadienne de 10 plongeurs à Tokyo. Il s’inspire beaucoup de Jennifer Abel qui, elle, participe à ses quatrièmes JO.
Je lui parlais beaucoup parce qu’on s’entraînait ensemble. On s’entendait bien. Mon parcours était similaire au sien et ça nous a rapprochés. Elle avait pris part à ses premiers JO à 16 ans. On se comprenait. Quand ça allait moins bien, je lui parlais.
Cédric marche sur les traces de Philippe Gagné qui, comme lui, à Rio en 2016, avait fait ses débuts olympiques au 3 m, à seulement 18 ans. Gagné semblait être le favori pour représenter le Canada, mais n’y est pas. Il n’a même pas participé aux sélections.
Il y a eu une cérémonie pour faire l’annonce de l’équipe olympique. Je me rappelle que lorsqu’on m’a remis mon sac de chandails et un maillot, il n’était pas à mon nom, se souvient Cédric Fofana. C'était celui de l’autre personne qu’on pensait envoyer aux JO. Pourtant, elle avait dit qu'elle arrêtait il y a déjà trois mois.
« J’aurais aimé avoir mon sac à mon nom. C’était mon accomplissement. Pourquoi le sac n’est pas à mon nom? J’ai quand même trouvé ça blessant. »
Une maladresse qui ne fait que le motiver davantage.
J’avais prouvé qu’un négligé pouvait y arriver. Que c’était possible. J’ai eu l’impression d’arriver comme un cheveu sur la soupe. J’avais quand même fini au 3e rang à ma première épreuve internationale chez les seniors à Calgary et eu d’autres bons résultats. Ça m’a fait réaliser à quel point on ne s’attendait d’aucune façon à ce que ce soit moi.
Cédric arrive à Tokyo en compagnie de ses coéquipiers à la mi-juillet. Il est sur un nuage.
Je voyais les murs tapissés de l’affiche Tokyo 2020. Je me disais : “Je suis vraiment ici? Ce n’est pas possible.” Nous prenions des photos d’équipe, j’adorais mes JO, jusqu’à quelques jours de mon épreuve.
César Henderson accompagne bien sûr Cédric qui s’entraîne chaque jour à la piscine dans l’attente de sa compétition. Le jeune plongeur est dans une forme resplendissante.
C’est rare qu’à la fin d’une semaine d’entraînement, je suis autant satisfait du travail que j’ai accompli, dit-il. Tout allait hyper bien. Je me disais que je ne gagnerais peut-être pas une médaille, mais une participation à la finale était possible.
César sait que son protégé nourrit de grandes ambitions. Il n’a pas l’intention de modérer ses ardeurs, mais ses attentes sont plus modestes. Il en est à ses sixièmes Jeux comme entraîneur et prône la sagesse parce que son plongeur doit faire ses classes sur la plus grande scène du monde sans jouir d’une préparation adéquate.
« Il pouvait, en faisant de son mieux, faire la demi-finale. Si on prend juste le côté pointage, il était capable de le faire. »
La première expérience olympique de Cédric est sur le point de basculer. À quelques jours de son épreuve, le ciel lui tombe sur la tête quand il apprend qu’il devra vivre les JO sans son mentor.
Nous étions à la piscine et César me confie qu’il doit s’en aller dans deux jours. Je n’en fais pas de cas. Je ne fais pas le lien entre “s’en aller” et “quitter le Japon”. À mes yeux, ça voulait dire qu’il changeait de lieu de résidence sur le site. C’est tout.
Son entraîneur ne blague pas. Il porte ce lourd fardeau sur ses épaules de l’annonce de son départ. Après avoir pris l’autobus pour rentrer au village des athlètes avec son protégé, César ramène le sujet sur le tapis.
« Il revient à la charge et me demande avec qui je veux m’entraîner. Et là, j’ai compris. Je lui dis : “Attends, tu t’en vas où et quand?” »
Cédric est sonné. César Henderson, l’homme en qui repose toute sa confiance depuis quatre ans, que Plongeon Canada a mandaté pour le guider vers une participation aux JO, vient de lui annoncer qu’il ne sera pas à ses côtés le jour de la compétition la plus importante de sa carrière. Ça n’avait aucun sens pour lui et ça n’en a pas plus aujourd’hui.
À Tokyo, il n’y avait pas de place pour tous les entraîneurs de tous les pays à cause de la pandémie, précise César. C’était le même règlement pour tout le monde. Tu finis ton épreuve et c’est bye. On n’avait pas un mot à dire.
Justement, l’épreuve de Cédric n’avait pas encore eu lieu.
Le Canada avait un nombre limité de places pour ses entraîneurs. Avant le début des JO, la fédération a établi un plan qui prévoyait mon départ peu de temps après l’épreuve de synchro des filles au tremplin de 3 mètres, poursuit César. Moi, je faisais équipe avec Arturo Miranda pour épauler Mélissa Citrini-Beaulieu et Jennifer Abel. Et c’est principalement pour cette raison que j'ai pu aller aux JO.
Ce duo féminin a d’ailleurs remporté l’argent le 25 juillet sous la supervision de César Henderson et d’Arturo Miranda. L’épreuve de Cédric, elle, avait lieu dans huit jours. De toute évidence, ce scénario cause un désordre de planification.
Si je sors, un autre rentre. L’entraîneur d’un plongeur à la tour aurait pu arriver plus tard, pour que je reste avec Cédric, explique César. Mais ça ne s'est pas passé comme ça pour des raisons hors de notre contrôle. La priorité allait aux athlètes pour les médailles [...] Je sais que la fédération a contacté le Comité olympique pour procéder à un changement. Il y avait un espoir jusqu’à la fin.
Cédric et César poursuivent leur conversation au village. Le jeune plongeur est dans tous ses états. Il se sent abandonné et frustré.
« J’étais conscient que cette situation pouvait se produire. L’équipe était derrière lui, que je sois là ou pas. Sa planification était faite. Il allait bien à l’entraînement. Mais une fois que la compétition commence, c’est l’athlète et son entraîneur… »
César cache mal sa peine. Il se pince les lèvres.
Cédric a l’impression qu’il est bien jeune, à 17 ans, pour se faire imposer un changement d’entraîneur en plein cœur des JO. Il doit maintenant travailler avec Arturo Miranda. Il se souvient du moment précis où les choses empirent.
Arrive la cérémonie d’ouverture, le moment où tous les plongeurs passent devant la caméra pour faire leurs salutations, raconte-t-il. Je suis aussitôt devenu stressé comme je ne l’avais jamais été auparavant. J’avais de la misère à respirer, mes jambes tremblaient. J’ai commencé à paniquer. J’avais 10 minutes devant moi pour me ressaisir. J’ai joué à des jeux sur mon téléphone pour me calmer, sans trop de succès.
CIO
Photo: Cédric Fofana rate complètement son quatrième plongeon Crédit: CIO
La compétition commence et le plongeur québécois est méconnaissable à chacun de ses sauts. À son quatrième, il touche le fond. Les juges lui accordent une note de 0.
J’ai pas sauté. Je me vois m'essuyer les pieds parce qu’il y a du sang. J’ai effleuré le tremplin et je me suis blessé. Ce plongeon, ce n’est pas un flat, c’est un flop, lance-t-il.
Cédric raconte sa douloureuse expérience à Tokyo et César, le cauchemar qu'il a vécu à distance.
Des Jeux qui virent au cauchemar
Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron
Au Québec, les parents de Cédric cherchent des réponses, chacun de leur côté. Souleymane est à la maison à Montréal, tandis qu’Élaine est au camping à Québec. L’épreuve est présentée durant la nuit, à 2 h, mais une soixantaine de campeurs sont tout de même réunis sous un chapiteau pour regarder Cédric plonger. Élaine préfère demeurer à sa roulotte pour vivre ce moment dans l’intimité.
Je me suis couchée peu de temps après l’épreuve. J’étais si triste, mais fâchée aussi. Je n’avais pas aimé ce qui s’était produit là-bas avant la compétition, confie-t-elle.
On va se dire les vraies affaires : il était démoli. C’est un Africain, nous, on est dans l’émotion, souligne son père. Ce n’est pas un gars qui est porté vers la technique du plongeon. Il vit les choses, il plonge avec son émotion. S’il y a quelque chose qui le déstabilise au moment de plonger, il faut travailler ça. C’est pour ça qu’on a des coachs. C’était pas le moment de lui enlever son entraîneur. Pas aux JO.
Après la compétition, Cédric ne fuit pas la presse. Bon dernier de la phase préliminaire, il commente son échec à la télévision sans rien laisser paraître. Il veut garder la tête haute. Il est assommé par un commentaire du grand patron de Plongeon Canada, Mitch Geller, à un journaliste sur place.
Sa performance est embarrassante pour lui et pour nous, dit-il. Mais ce n'est pas de sa faute, c’est la nôtre. Il n’était pas prêt pour la compétition. Il est l’un des plongeurs les plus talentueux de l’histoire canadienne. Cette performance n’est pas le reflet de son immense potentiel. Il doit comprendre qu’il doit mieux gérer ses émotions et s’améliorer techniquement pour éviter d’offrir des performances inégales. Il possède la force, la vitesse et la flexibilité.
La mère de Cédric se souvient de ce texto que lui a écrit Cédric.
Élaine est bouleversée. Elle comprend que l’article en question ne l’a pas aidé à faire la paix avec lui-même.
Une performance humiliante pour l’équipe canadienne, à 17 ans? Vraiment? s’indigne-t-elle. Dans mon cœur de maman, je me disais qu’il ne pouvait avoir honte. J’avais hâte qu’il rentre à la maison. Ces JO ne se sont vraiment pas passés comme prévu. Je voulais avoir des réponses.
Dans l’autobus ramenant les plongeurs au village des athlètes juste après la compétition, Cédric peut parler à son père qui essaye de lui remonter le moral.
Le lendemain, il quitte Tokyo, ébranlé, sans s’être entretenu avec Mitch Geller.
Radio-Canada / Arianne Bergeron
Photo: Cédric Fofana et son entraîneur César Henderson Crédit: Radio-Canada / Arianne Bergeron
César coûte que coûte
Après les JO de Tokyo, le contrat de César Henderson n’est pas renouvelé. Plongeon Canada fait le choix de miser sur une nouvelle garde. C’est la fin d’une longue association entre le réputé entraîneur et l’équipe nationale. César demeure cependant à l’emploi de CAMO, où il poursuit son enseignement auprès des jeunes plongeurs du club.
Plusieurs de nos principaux athlètes se retiraient après les JO. C’était l’occasion de commencer un nouveau cycle. Le directeur de la haute performance a choisi de procéder à un changement, explique sagement César Henderson, visiblement déçu de la tournure des événements. Mais j’adorais toujours le plongeon, j’avais toujours le goût de l’enseigner. Je ne le ferai peut-être plus au centre national, mais à CAMO.
Cédric, lui, traverse un passage à vide. De Tokyo, il se rend d’abord à Calgary rejoindre des amis pendant une dizaine de jours. Après son congé, il se rend au camping à Québec où une cinquantaine de supporteurs l’attendent pour lui transmettre leurs encouragements.
J’étais tellement gêné, se souvient Cédric, qui n'arrivait pas à garder une bonne impression de son passage aux JO.
Avant son retour à l’entraînement, Cédric et sa mère sont convoqués par la directrice de la haute performance junior à Plongeon Canada, Andrée Pouliot-Deschamps. La rencontre doit avoir lieu le 27 août au stade olympique. Les Fofana ne sont pas au courant du non-renouvellement de l’entente avec César Henderson et s’interrogent sur son absence. On lui promet une réponse lors du rendez-vous. Ça ne sent pas bon…
La mère de Cédric a d’ailleurs l'intention de faire la lumière sur l’épisode de Tokyo. Elle demande à la directrice de Plongeon Québec, Pascale Beaudry, de les accompagner. La rencontre sera de courte durée.
On nous annonce la restructuration du centre national. Et que le contrat de César Henderson prenait fin, se souvient-elle. Cette nouvelle nous a grandement affectés. Elle n'avait pas de réponse supplémentaire. Mais j’en voulais, et j’ai exigé une autre rencontre avec Mitch Geller.
Pour Cédric, il s’agit d’un coup de massue de plus sur la tête.
« Et le Canada se retire des mondiaux juniors prévus à Kiev en décembre. Ça m’a jeté à terre. C’est la seule compétition à laquelle j’avais hâte. C’est comme s’il n’y avait plus rien en avant. Et César n’était plus là. »
Cédric décide donc d’aller s’entraîner en sa compagnie au club CAMO.
Je n’étais pas d’accord. Notre histoire à César et moi, elle n’était pas terminée, encore moins après l’épisode à Tokyo. Je ne trouvais pas que c'était nécessaire au développement de ma carrière. Et on ne m’avait pas demandé mon avis...
La rencontre avec la direction de Plongeon Canada a lieu en novembre.
La rencontre a été longue. C’est normal de se parler afin de faire un post-mortem après les JO. Il s’était passé beaucoup de choses et nous sentions le besoin d’approfondir la situation, explique Élaine. Cédric perdait son entraîneur et il était en désaccord avec leur décision. J’ai expliqué aux gens de Plongeon Canada que le changement fait partie de la vie, mais qu’il y a une façon de faire les choses. Je ne pense pas qu’ils ont voulu mal faire, mais il y avait de l’amertume et beaucoup d’incompréhension.
Si tu veux continuer à plonger au stade, il va falloir que tu plonges avec le nouvel entraîneur, est l’essentiel du message de Plongeon Canada à Cédric.
Le jeune homme ne fléchit pas. Il ne promet que d’y réfléchir. Je ne voulais surtout pas les froisser, dit-il pour expliquer son attitude.
Cédric finit par faire un essai en novembre au centre national lors d’un camp junior.
« C'est la dernière fois que je suis retourné au centre national pour m’entraîner. À la fin de la semaine, je n’avais pas aimé ça. Le lundi suivant, je suis allé voir César au club CAMO pour lui dire que je ne retournerais pas au stade. »
Au début de 2022, une autre rencontre entre Plongeon Canada et Cédric ne donne aucun progrès.
Mitch Geller avait auparavant nommé à titre de nouvel entraîneur-chef de plongeon à l’INS Hui Tong, un ex-plongeur chinois avec une vaste expérience internationale.
Je le respectais. Je savais qu’il est hyper gentil et qu’il a été entraîneur en France et en Italie et qu’il a représenté son pays aux JO. Mais je ne voulais pas changer d’entraîneur, raconte Cédric. Quitte à perdre des privilèges au centre national, j’aimais mieux continuer à plonger avec quelqu’un qui me connaît bien, avec qui ça marche.
À la maison, la prise de position ferme de Cédric anime les conversations.
On entend dire aussi qu’ils lui avaient proposé d’aller s’entraîner à Calgary, avec les coachs de l’Ouest. Alors que nous vivons à côté à 10 minutes du centre national à Montréal. Ce n’était pas une option. Cédric répétait qu’il tenait à finir ce qu’il avait commencé avec César, se souvient sa mère.
Dans le sport d’élite, il y a beaucoup de non-dits, renchérit Élaine. Je travaille à la Maison des loisirs et des sports, nous sommes entourés des fédérations. Il y a beaucoup de gens qui ont peur de leur fédération. Te faire dire que si ça marche pas comme on veut, on va juste te tasser un peu. C’est du langage qu’on entend.
Ils craignaient que je perde tout. Que Plongeon Canada me pénalise parce que je ne m'entraîne pas avec eux. Qu’ils ne m'envoient pas à des compétitions internationales. Mais ils ne peuvent pas vraiment faire ça si je performe. S’ils le font, ça ne serait juste pas correct. Mon idée était faite. C’était avec César ou rien. Au début, ils ne comprenaient pas, relate Cédric.
Cédric tient son bout et sa famille se range derrière lui.
En route vers Paris avec César
Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron
Cédric s’entraîne à temps plein au club CAMO. Son choix a perturbé son quotidien. Il ne côtoie plus le personnel du centre national ni la plupart des athlètes de l’équipe canadienne. Mais comme il en fait toujours partie, il peut toujours jouir des services offerts à l’INS, notamment les traitements en cas de blessures.
Cédric doit gérer son nouveau mode de vie d’athlète de pointe. Comme la fois où il a subi une coupure derrière le bras, au-dessus du coude, après être tombé sur un verre à la suite d’un saut sur un matelas.
À la piscine, il a réalisé qu’il était incapable de plonger en raison du manque de flexibilité de son bras. Il a alors dû lui-même faire des appels pour planifier une rencontre avec un médecin à l’INS. Et si ça ne fonctionnait pas, chercher, comme n’importe quel Québécois, à obtenir un rendez-vous dans une clinique médicale sur le portail du gouvernement. La vraie vie, celle qu’il a choisie.
Ce jour-là du mois d’octobre 2022, Cédric s’est bel et bien rendu à l’INS pour recevoir des soins.
La nouvelle routine matinale de Cédric lui demande des efforts supplémentaires et du temps. Le matin, avant l’entraînement, il va souvent reconduire sa mère à son travail et son petit frère à l’école. Il emprunte la voiture de ses parents pour se rendre au club CAMO, à une douzaine de kilomètres. Coincé dans le trafic, il passe devant le stade olympique, où il aurait pu s’entraîner.
Auparavant, il avait besoin de 5 minutes d’autobus ou de 15 minutes de marche pour aller à la piscine. Son trajet actuel exige en général plus d’une heure de déplacements. Tout est plus compliqué, mais il trouve son bonheur en faisant équipe avec César.
Avant, je me demandais toujours ce que les autres allaient penser de moi, lance-t-il. Mais ce dont j’ai besoin, ce n’est pas ce que les autres veulent que je fasse. Ce qui me fait du bien, c'est d'aller m'entraîner avec César. J’ai envie d’y aller. Être heureux passe avant les performances. Et je crois que je peux avoir les deux.
César Henderson et Cédric Fofana
César Henderson et Cédric Fofana
César Henderson regarde Cédric Fofana à l'entraînement
Cédric Fofana
Cédric Fofana à l'entraînement sous le regard de César Henderson
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César Henderson et Cédric FofanaPhoto : Radio-Canada / Arianne Bergeron
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César Henderson et Cédric FofanaPhoto : Radio-Canada / Arianne Bergeron
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César Henderson et Cédric FofanaPhoto : Radio-Canada / Arianne Bergeron
Cédric Fofana à l'entraînement sous le regard de César HendersonPhoto : Radio-Canada / Arianne Bergeron
César est résilient. Il aime apprendre aux autres, c’est quelqu’un de calme, très calme. Je pense qu’il a monté le ton une fois avec moi en cinq ans! On a tous à apprendre de lui, estime-t-il. Parfois, il sort des proverbes. Il est un philosophe. Et il a toujours sa balle de baseball dans la main.
Effectivement, César fait toujours tourner une balle dans sa main pendant qu’il prodigue des conseils à ses plongeurs.
C’est parce qu'ils prennent beaucoup de temps à plonger à la tour, alors je tourne la balle, pendant que je patiente, dit-il en riant. J’adore simplement le baseball. J’ai joué quand j’étais petit dans mon pays d’origine, en République dominicaine. Une balle, c’est rond, comme le monde, comme la vie, ce n’est pas juste le plongeon, elle m’accompagne et me calme. Et si mes athlètes ne font pas de bons plongeons, je leur lance!
César Henderson tient toujours dans sa main une balle de baseballPhoto : Radio-Canada / Arianne Bergeron
L’histoire ne dit pas si César Henderson a déjà mis son plan à exécution. Mais à en juger par son sourire, il préfère la manière douce pour passer son message.
La rééducation de Cédric a finalement été plus longue que prévu. Il a été incapable de s’entraîner à fond pendant plusieurs semaines, car il était incommodé par sa coupure qui l’empêchait d’étirer son bras lorsqu’il fonçait dans l’eau.
Néanmoins, durant cette période, il a tenté un essai sans succès à la piscine pour satisfaire les besoins de notre tournage. Ce matin-là, Cédric est perturbé. Il n’ose pas s'affirmer, de crainte de nous décevoir. Il fait ses plongeons, la tête ailleurs, perdu dans ses pensées, jusqu’à ce qu’il se dévoile à César, qui constate, bien sûr, que quelque chose ne tourne pas rond.
C’est dans cette scène, particulièrement touchante et intense, captée au bord de la piscine, qu’on peut saisir l’engagement et le lien fort qui unit les deux hommes.
Le message de César
Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron
Cédric est un jeune homme sensible, conscient de ses forces et de ses faiblesses. Il apprend aussi beaucoup auprès de son frère Alexandre, même si parfois, il peut lui taper sur les nerfs.
Il est vraiment anxieux, différent des autres, mais il n’y a rien dans la vie qui va l’empêcher de réussir s’il est entouré des bonnes personnes, dit-il. Il ne sera peut-être pas médecin, mais s'il est capable de rester lui-même, mis à part sa différence, les gens ne vont pas le voir. Ils vont passer par-dessus et ils vont l’aimer comme il est.
Et l'une des activités plutôt amusantes qui les unissent est la création de vidéos musicales sur TikTok.
Voici à quoi ressemble la préparation de l’une d’elles.
Un TikTok en famille
Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron
Maman voit l’évolution de la relation entre ses deux fils de 14 et de 19 ans, si différents, justement.
Deux amis, mais avec un fil tendu, résume-t-elle. Alexandre a des besoins différents. Sa façon de penser et d’agir est différente. Mais en même temps, il éprouve des troubles de langage, de coordination et il a un déficit d’attention. Mais je pense que Cédric est aussi différent. Ce n’est pas la normalité ce qu’il a vécu tout jeune. Je pense qu'aujourd'hui, des enfants avec des besoins particuliers, il en pleut presque. Alexandre est en admiration devant son frère. Mes gars sont toujours capables de comprendre la réalité de l’un et de l’autre.
Tous mes amis l’adorent, mon frère. Il est tellement drôle, ajoute Cédric.
Radio-Canada / Éric Santerre
Photo: Souleymane Fofana n'avait pas vu son fils en compétition depuis huit ans Crédit: Radio-Canada / Éric Santerre
Huit ans plus tard
Ce n’est pas une journée comme les autres chez les Fofana. Ce matin, pour la première fois depuis le 13 juillet 2014, Souleymane se lève pour assister à une compétition de son fils.
Plus de huit ans d’attente et de péripéties depuis “mon accident”. C’est long, résume-t-il pour décrire ce passage de sa vie. Mais la nuit, elle, a été courte. Je n’ai pas beaucoup dormi. J’ai hâte d’être là.
Là, c’est le complexe sportif Claude-Robillard à Montréal. Curieusement, c’est justement dans ce même édifice à l’été 2014 que Cédric a été sacré triple champion canadien devant son père. Souleymane prendra place dans un siège de la rangée la plus élevée des gradins pour éviter les dangers d’une chute dans les escaliers. Il est assis presque au même endroit que la dernière fois…
Cédric participe à l’Invitation CAMO, une compétition amicale qui précède les Championnats nationaux. Remis de sa blessure au bras, il poursuit sa période de rodage avant le grand événement de la fin janvier.
Cédric m'avertit toujours de ne pas crier durant la compétition. Il me le répète depuis qu’il est tout petit. Il ne veut pas m’entendre, raconte sa mère avant l’épreuve.
Même après tant d’années à l’écart, Souleymane n’aura pas plus de privilèges. Cédric l’a aussi prévenu de rester discret. Dans son cas, c’est beaucoup plus facile. Alexandre, lui, trouve surtout comique de regarder sa mère tenter de contenir ses émotions!
Cédric est conscient qu’il a du travail à faire sur lui-même.
« J’ai encore de la misère à gérer mon stress dans les compétitions. Il m’arrive de me laisser impressionner par les autres. Je plonge avec des gens que j’admire. Il faut que j’accepte que je suis rendu là. »
Cédric veut gagner, mais il faut qu’il soit heureux pendant qu’il le fait, rappelle son père. Il développe cette fureur de vaincre. Je lui répète toujours ce proverbe ivoirien : montre-leur qui a mis de l’eau dans la noix de coco. Ça signifie que cette épreuve-là t'appartient. C’est notre secret.
Un autre rendez-vous est aussi au programme ce jour-là. Souleymane doit faire la connaissance de César Henderson.
Jamais ces deux hommes, si chers aux yeux de Cédric, ne se sont vus ou même parlé. Le temps était venu de se réunir.
La compétition des retrouvailles
Photo : Radio-Canada / Éric Santerre
Crédit pour les vidéos du plongeon raté de Cédric Fofana aux Jeux olympiques de Tokyo : images du CIO