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Depuis le début de l’année, la grippe aviaire décime des élevages de volailles partout sur la planète : Asie, Afrique, Europe, Amérique du Nord. Un nombre sans précédent d’oiseaux d’élevage sont abattus : 50 millions aux États-Unis, 20 millions en France.
En Vendée, d’immenses fosses temporaires ont été creusées par les autorités sanitaires françaises pour enfouir des millions de carcasses de volailles.
La semaine verte nous fait découvrir l’ampleur de la crise et nous explique pourquoi elle se démarque des précédentes.
L'ASSOCIATION L214
Photo: Les autorités sanitaires françaises ont créé d’immenses fosses temporaires pour enfouir les carcasses. Crédit: L'ASSOCIATION L214
Des éleveurs de volailles impuissants
En France, en Bretagne, dans les Pays de la Loire et en Vendée, on trouve une forte densité d’élevages de volailles. Mais l’année 2022 a ceci de particulier que les oiseaux migrateurs transportent avec eux un bagage dangereux et dévastateur : le virus H5N1. Une souche de l’influenza aviaire hautement pathogène et plus contagieuse que jamais.
Dans la commune d’Essarts en Bocage, l’éleveur de poulets Christian Drouin se souvient des premiers cas apparus en Vendée en janvier dernier. Il assiste, inquiet, à la flambée des cas, jusqu’à ce que la grippe aviaire s’invite chez lui à l’aube du printemps.
Le troupeau de l'éleveur de volaille, Christian Drouin, a été fortement touché par la grippe aviaire.Photo : Radio-Canada / Pier Gagné
« Le 17 mars, j'ai commencé à avoir quelques morts dans l'élevage. C'est passé le lendemain à 200, après à 500, à 1000. On voit les animaux en forme, deux heures après, ils sont morts. Ça a été d'une violence vraiment extrême. »
En Vendée, le virus contamine alors une quarantaine d’élevages par jour. Les services vétérinaires et les centres d’équarrissage sont dépassés par les événements et complètement débordés. Christian Drouin n’a d’autre choix que d’euthanasier lui-même ses 14 000 volailles.
« On nous a dit, un peu en off, vous fermez la ventilation de votre bâtiment toute une nuit et après vous ramassez les cadavres et on les enterre sur l'exploitation. On les a ramassés un jeudi matin. J'étais complètement abasourdi. »
À vingt kilomètres de là, l’éleveur de poulets biologiques Étienne Blanchard subit également les foudres du virus. L’épizootie le force à enfermer ses poulets dans les deux poulaillers. Mais le jour même où il doit envoyer ses volailles à l’abattoir, il trouve des oiseaux morts. Le H5N1 s’est infiltré dans un bâtiment.
Il perd 4000 poulets et doit patienter 10 jours avant que l'équipe d’équarrissage ne vienne finalement récupérer les cadavres. Le moral est au plus bas.
À la demande des autorités sanitaires de France, Étienne Blanchard a mis fin à l’élevage en plein air de ses volailles.Photo : Radio-Canada / Pier Gagné
« On prenait les nouvelles chez chacun. Est-ce que ça va, toi? Oui, est-ce que tu as besoin de quelque chose? Est-ce que tu veux que je vienne t'aider? Dans des cas de crise comme ça, ça ne semble pas du tout une bonne idée de garder les choses pour soi, quoi. »
La Vendée compte aussi plus de 1000 fermes de canards gras. Dans l’atelier de gavage de la Ferme du Lion d’Or, les 630 cages sont vides depuis plusieurs mois et les étals de la boutique sont dégarnis. L’entreprise de transformation de canards gras de Christophe Teillet et sa conjointe était prospère, jusqu’à ce que le vent tourne en février dernier.
Cinq jours après un arrivage de canards, Christophe Teillet a dû euthanasier ses oiseaux, atteints de la grippe aviaire. La situation est plus dramatique encore chez d’autres gaveurs de la région.
Fin février 2022, le gaveur Christophe Teillet a perdu toute sa production de canards gras.Photo : Radio-Canada / Michel Riverin
« Des bâtiments avec 10 000 canards morts, ce n'est vraiment pas agréable. On a de la chance qu'il n’y en ait pas qui se soient suicidés dans notre entourage. Quand on a ramassé leurs volailles chez eux, ils avaient le moral à zéro. »
Radio-Canada
Photo: Les oiseaux migrateurs transportent avec eux un bagage dangereux : le virus H5N1. Crédit: Radio-Canada
Une crise sans précédent au Canada
Le H5N1 est d’abord apparu sur la côte Atlantique, au printemps dernier, avec l’arrivée des oies sauvages. Puis il s’est rapidement propagé au Canada d’un océan à l’autre.
« On est dans une situation où le virus est exceptionnel. On n’a jamais vu ça avant. »
Manon Racicot fait partie de la cellule de crise nationale de l’Agence canadienne d’inspection des aliments. Photo : Radio-Canada / Pier Gagné
Le virus force l’Agence canadienne d’inspection des aliments à faire euthanasier plus de 4,6 millions d’oiseaux d’élevage. Les provinces de l’Ouest sont particulièrement touchées.
Nombre d’oiseaux abattus
Alberta : 1 400 100
Colombie-Britannique : 1 180 500
Ontario : 698 800
Saskatchewan : 542 300
Québec : 532 500
Manitoba : 286 800
Terre-Neuve-et-Labrador : 400
Nouveau-Brunswick : moins de 100
Au 7 décembre 2022
La grippe aviaire a décimé les élevages de volailles partout sur la planète. Photo : Shutterstock
De nouveaux foyers d’infection
En Colombie-Britannique, 14 fermes ont été infectées en une semaine en novembre dernier.
À Saint-Alphonse-de-Granby, en Estrie, deux producteurs ont dû faire euthanasier leur troupeau de volailles en octobre : 45 000 poulets et 30 000 poules pondeuses sur un premier site d’élevage, et 11 500 dindons à la ferme Dindons du Roy.
« Tu ne souhaites pas ça à ton pire ennemi, des aventures comme ça. »
Elle ne le saura jamais avec certitude, mais la productrice soupçonne que la présence d’attrapeurs de volailles dans le bâtiment une semaine avant l’éclosion du H5N1 a permis au virus de se propager.
Le 19 octobre dernier, l’Agence canadienne d’inspection des aliments a euthanasié les 11 500 dindons de la productrice Marie-Christine Parent.Photo : Radio-Canada / Pier Gagné
Les équipes d’attrapeurs peuvent faire deux, trois sites d’élevage pendant la nuit, explique Marie-Christine Parent. Quand ils sont venus chez nous, c’était leur dernier chargement du matin.
Au moindre soupçon, l’Agence canadienne d’inspection des aliments intervient sans tarder. Dès que le diagnostic de grippe aviaire est confirmé, toutes les volailles sont abattues. Des mesures de quarantaine et une zone de protection de trois kilomètres sont mises en place autour du site.
Pour éliminer les carcasses, l’ACIA privilégie le compostage, à l’extérieur ou à l’intérieur des bâtiments. On dépose les cadavres d’oiseaux, les œufs et la litière contaminée sur un lit de copeaux de bois, en couches successives, puis on y ajoute de l’eau pour favoriser l’activité bactérienne. Lorsque la température du compost dépasse les 37 degrés Celsius durant 6 jours consécutifs, le virus devient inactif. Trois mois plus tard, ce compost peut servir de fertilisant et être épandu sur les terres agricoles.
Le compostage des cadavres d’oiseaux atteints du virus H5N1
« C'est quelque chose qui fonctionne bien, qui est vert, le compost peut être mis dans l'environnement d'une façon sécuritaire. Alors oui, c'est ça qui est favorisé quand on a des grands élevages. »
C’est ensuite un long et complexe protocole de nettoyage et de désinfection des bâtiments d’élevage qui débute. Les installations doivent être nettoyées dans les moindres recoins.
Ce tas de compost fait avec les carcasses témoigne du passage du virus à la ferme Dindons du Roy. Photo : Radio-Canada / Pier Gagné
À la ferme Dindons du Roy, l’ACIA considère que le parquet du poulailler, usé, pose un risque de contamination. Pour éviter le retour du virus, la productrice Marie-Christine Parent fait remplacer les planchers.
« Tant que les planchers ne sont pas changés, je ne peux pas avoir l'approbation du nettoyage complété. Ce qui m'empêche de passer à l'étape de désinfection. On va pouvoir réintroduire des oiseaux une fois la désinfection approuvée. »
Elle prévoit relancer la production le 10 janvier 2023, mais elle appréhende le retour du virus.
Le président des Éleveurs de volailles du Québec, Pierre-Luc Leblanc, appréhende le pire dans les régions où il y a une forte concentration d’élevages.Photo : Radio-Canada / Pier Gagné
Le président des Éleveurs de volailles du Québec se dit bien conscient des inquiétudes que vivent les producteurs touchés. Les éleveurs sont très, très, très préoccupés tant mentalement qu'émotionnellement et financièrement, souligne Pierre-Luc Leblanc. Y a pas une journée, pas une soirée que je me demande qu'est ce qu'on pourrait faire de plus qu'on fait pas.
La grippe aviaire décime aussi les élevages de volailles partout sur la planète. Photo : Shutterstock
Comment en est-on arrivé là?
L’activité autour des fermes, les mouvements de personnel, de véhicules, et le transport des oiseaux posent un très grand risque.
« C'est une industrie sur roues. On vient chercher des œufs de consommation ou des œufs d'incubation. On les envoie au couvoir, dans des sites de classement. Il va y avoir des déplacements d'oiseaux. À mesure qu'ils grossissent, on va les amener vers un autre site. »
D’autre part, des élevages ayant accès à l'extérieur ont des contacts directs avec la sauvagine infectée. La proximité des bâtiments avec les plans d’eau est aussi un enjeu. Les fientes laissées par les oiseaux sauvages, porteurs du H5N1, contiennent une forte charge virale. Le virus peut alors survivre dans l’environnement pendant des mois.
Enfin, le H5N1 pourrait se disperser dans la poussière et dans l’air. De forts vents et un milieu très poussiéreux favorisent le déplacement de particules virales autour des élevages.
En été 2022, la grippe aviaire a tué des centaines de fous de Bassan dans l’est du pays.Photo : Radio-Canada / Pier Gagné
La faune sauvage infectée
Un nombre élevé et une grande diversité d’oiseaux sauvages sont touchés par la grippe aviaire. Depuis un an, les scientifiques observent des taux de mortalité anormalement élevés dans les colonies d’anatidés comme les bernaches, les oies blanches, les fous de Bassan et les eiders à duvet. Plusieurs cas d’infection sont aussi documentés chez les pygargues à tête blanche, les buses et les goélands.
Le virus H5N1 se transmet aussi aux mammifères comme les phoques.Photo : Radio-Canada / Julie Ouimet
Le virus se transmet également aux mammifères. Au Québec, depuis le début 2022, une centaine de phoques ont été trouvés morts dans l’estuaire du Saint-Laurent. Les analyses réalisées à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal par l’équipe du professeur Stéphane Lair ont démontré que plusieurs de ces phoques avaient contracté la grippe aviaire.
Au Canada et aux États-Unis, on a également découvert des renards, des mouffettes, des ratons laveurs, des ours et des visons atteints du virus H5N1. Ils se seraient infectés en mangeant des carcasses d’oiseaux morts.
Stéphane Lair est directeur régional pour le Québec du Réseau canadien pour la santé de la faune et directeur du Centre québécois sur la santé des animaux sauvages.Photo : Radio-Canada / Pier Gagné
« L'animal a l'air tout simplement malade. Et dans certains cas, on peut voir des signes neurologiques. L'animal peut avoir la tête renversée, des tremblements, une incoordination, la tête penchée sur un côté, de la difficulté à se déplacer. »
Des risques pour l’humain?
À ce jour, la transmission du virus aux humains est faible. Les rares cas connus touchent des travailleurs qui étaient en contact étroit avec des volailles contaminées. Mais certains craignent que la grippe aviaire puisse un jour infecter l’humain.
« Pour l'instant, il n'y a pas de raison de paniquer, mais c'est une possibilité. Le risque est loin d'être zéro. Les ancêtres de ce virus ont un certain talent pour devenir zoonotiques et avoir éventuellement la capacité de se transmettre de l'animal à l'être humain. Si on laisse au virus l'opportunité de se répliquer à travers plusieurs espèces comme ça, éventuellement, on pourrait devenir une des espèces. »
Pour le Dr Vaillancourt, la transmission du virus aux humains est faible, mais le risque est loin d'être zéro. Photo : Radio-Canada / Pier Gagné
La vaccination, une solution?
Partout dans le monde, les producteurs de volailles cherchent un remède efficace pour sortir de cette crise.
La vaccination, bannie par les grands pays exportateurs de volailles, est maintenant envisagée.
« Ça fait longtemps qu'il y a des vaccins, il y a des vaccins illégaux. On voit ça en Asie. Ces vaccins-là, bien souvent, sont des vaccins vivants atténués. C'est problématique parce que c'est comme un virus atténué, mais qui pourrait muter et devenir pathogénique. On ne veut pas ça. »
Des vaccins autorisés pour les poulets et les dindes sont à l’essai en Europe. En France, le spécialiste des pathologies aviaires Jean-Luc Guérin dirige deux projets pilotes de vaccination des canards.
En France, Jean-Luc Guérin dirige deux projets pilotes de vaccination des canards. Photo : Radio-Canada / Pier Gagné
« Les essais se déroulent bien. Ça va nous permettre d'avoir une information éclairée. Ce n'est pas LA solution. C'est une solution complémentaire des autres. On ne peut pas se reposer sur la vaccination et dire : la biosécurité, on arrête, on arrête de tester. Ce serait extrêmement dangereux. »
Une autre vague de H5N1 frappe actuellement la France et le Canada. Malgré l'apparition de nouveaux foyers d’éclosion en Vendée, Christian Drouin a relancé la production de poulets, cette fois avec la peur au ventre. On ne supportera pas une deuxième fois, lance-t-il, inquiet. On n'élève pas des animaux pour les voir mourir comme ça. C'est vraiment traumatisant.
Selon Jean-Pierre Vaillancourt, le virus devrait perdre de la vigueur avec l’arrivée de l’hiver et réapparaître en force au printemps prochain.
Son collègue à l’École nationale vétérinaire de Toulouse, le professeur de pathologie aviaire Jean-Luc Guérin, craint qu’on ne puisse se débarrasser du virus de sitôt. Il estime que la situation demeurera difficile pour les éleveurs de volailles pendant plusieurs années encore.
Des millions d'oiseaux abattus
Le reportage de France Beaudoin et de Pier Gagné est diffusé à l'émission La semaine verte le samedi à 17 h et le dimanche à 12 h 30 sur ICI TÉLÉ. À ICI RDI, ce sera le dimanche à 20 h.