Le cocon
Marie-Josée et sa fille Léana ont établi leurs quartiers au deuxième étage de leur petite maison à Drummondville. Dans la chambre où entre à peine un lit à deux places, la télévision diffuse une série américaine. Elles ont passé les trois dernières semaines à se coller, à regarder des films et à se commander des repas au restaurant.
Le diagnostic de cancer du poumon de Marie-Josée Lajoie est tombé à Noël en 2017. Depuis, elle a vécu quatre fois son dernier Noël. À toutes les années, pendant quatre ans, ils nous ont dit qu’il restait moins d’un an. On considère que le chemin est fait et on a eu le temps de vivre plein de belles affaires
, explique Léana en souriant.
Je les ai fait mentir plus longtemps
rétorque Marie-Josée.
Cette fois-ci, c’est bien vrai : elle passe les dernières heures dans son cocon avant d’aller à la maison de soins palliatifs René-Verrier. Difficile de dire combien de temps elle y sera : tout au plus quelques semaines. C’est un choix déchirant pour Marie-Josée, qui ne voulait surtout pas quitter la proximité de sa fille.
Cependant, toutes deux vivent cette nouvelle étape comme une aventure. Elles préparent leurs valises comme si elles partaient pour un séjour à l’hôtel au bord de l’eau. J’aimais mieux être [dans ma maison], un peu plus dans mes choses, l’intimité, pas d’étrangers autour, vraiment vivre ce que j’ai à vivre avec elle
, explique Marie-Josée. Savoir que sa fille pourrait y venir aussi souvent qu’elle le souhaite et même y rester à coucher a tout changé pour elle. Mon adolescence a été vraiment difficile avec ma mère. Le cancer a été, je crois, un cadeau vraiment empoisonné, parce que si ma mère n’était pas tombée malade, jamais on ne se serait rapprochées comme ça.
L’été dernier, Léana Lajoie est allée seule en Gaspésie, comme tant de Québécois. Elle a pleuré en observant la mer et en pensant à sa mère. Quelques semaines plus tard, Léana a profité de quatre jours de congé pour refaire le voyage avec elle. Peu de temps après, Marie-Josée a fait un autre séjour à l’hôpital. Elle a décidé que c’était le dernier.
Au coin du lit, un appareil lui fournit l’oxygène nécessaire. Les médicaments et les injections sont administrés par Léana, qui a tout appris de Véronique Auger, infirmière de l’équipe de soins palliatifs à domicile du CLSC à Drummondville. Moi, ça me sécurisait de le faire à la base. Et ça me sécurise qu’ils viennent tous les jours. Tout est bien expliqué. Pour ma part, je trouve qu’il n’y a rien de vraiment compliqué. Ça a [permis] qu’on puisse rester proches tout le temps.
À 24 ans, Léana songe maintenant à une nouvelle carrière en relation d’aide. Elle y pensera après avoir terminé sa mission auprès de sa mère.
Travail d’équipe
C’est la dernière fois que Véronique Auger les visite; ses soins ne seront plus nécessaires une fois que Marie-Josée sera installée à la maison de soins palliatifs. C’est un moment déchirant pour l’infirmière qui s’est attachée au duo, comme avec tous ses patients. Toutes trois en profitent pour se faire des confidences, se prendre les mains, se remercier.
Moi, la mort, j’ai toujours trouvé ça beau. Parce que pour eux, c’est comme une délivrance. C’est des gens qui souffrent physiquement, mentalement. Oui, c’est émotif aujourd’hui avec Marie-Josée. Mais après ça, pour moi, la boucle est bouclée une fois qu’ils sont partis. Je me dis : moi j’ai donné tout ce que je pouvais. Je les ai soulagés, j’en ai pris soin, je les ai aimés
, confie Véronique.
C’est un privilège qu’ils me laissent entrer dans leur maison, dans leur intimité. Marie-Josée, on s'assoit dans son lit quand on vient. J’ai le privilège de réaliser leurs derniers désirs de fin de vie. Il n’y en a pas beaucoup qui peuvent faire ça!
Au sein de l’équipe, ils sont six à offrir les soins de fin de vie à domicile. Les dossiers qu’ils reçoivent sont de plus en plus nombreux. La réputation de leur ouverture, de leur humanité et de leur douceur les précède maintenant, si bien que la proportion de décès à domicile atteint presque 40 % dans le secteur de Drummondville. Malgré tout, l'équipe assure que toutes les demandes de soins sont traitées rapidement.
Ils font tout : ergothérapie, physiothérapie et travail social en plus des traitements médicamenteux, des injections et des changements de pansements. Chez une patiente atteinte de métastases à la colonne vertébrale, l’ergothérapeute fait installer une barre au lit pour lui permettre de se lever seule. Chez un autre patient, l’infirmière ajoute un appareil pour permettre d’administrer les médicaments plus facilement en son absence. Cette équipe est complétée par la précieuse aide des proches aidants.